19 octobre 1960

(Veille des fêtes rituelles consacrées chaque année en Inde à la déesse Kâli, l’aspect guerrier de la Mère universelle. C’est ce qu’on appelle le «Kâli-poudja»)

Elle est là depuis deux jours déjà et... oh! hier spécialement, elle était tellement... tellement dans une humeur – comme une batailleuse. Et je lui ai dit: mais enfin! pourquoi ne pas les changer par... par un excès d’amour?

Alors elle m’a répondu (je me souviens de sa réponse): «D’abord, un bon coup de poing dans la poitrine (elle n’a pas dit «sur le nez»! ), un bon coup de poing dans la poitrine, et puis quand ils sont comme ça, suffoqués, ils sont prêts.»

C’est une opinion!

(A propos d’un tantrique)

Ces gens-là nient la réalité de tous les besoins physiques.

C’est très bien quand on est au bout, quand on est arrivé à être totalement maître de son corps par la conscience spirituelle. Mais jusque là, je ne suis pas d’accord – pas d’accord du tout.

C’est la même chose quand X. dit aux gens: «Je vous donne à manger, mangez.» Et il vous sert dix fois plus que vous n’en pouvez. On lui dit: «Mon estomac ne digère pas.» Il vous répond que c’est une blague: «Mangez, vous verrez bien!» Et en fait, là-haut, c’est-à-dire quand on est arrivé à la maîtrise, c’est parfaitement vrai. Mais il s’en faut de beaucoup! Lui-même est malade tout le temps.

Alors il vous répond: «Tout le monde est malade» – Ce n’est pas une raison.

C’est très bien de vous dire: si vous vivez dans l’Esprit, ce n’est pas comme ça. Ça, c’est très bien, mais... beaucoup plus tard. Moi, je suis en train, depuis deux ans, je suis en train d’apprendre cela, et je vois comme c’est difficile, et il ne faut pas se vanter. C’est une façon de se vanter que de dire: oh! moi, ça m’est égal. Ça ne doit pas vous être égal. Ce corps, ce n’est pas pour nous – ce n’est pas pour nous qu’on l’a donné: c’est pour faire le Travail, et par conséquent il faut que ça marche.

C’est cela qui m’irrite parfois: pourquoi ne pas avoir la maîtrise? On DEVRAIT avoir la maîtrise. Avec de la conscience, on devrait pouvoir être maître de son corps.

Oui, c’était justement cela, cette chose extraordinaire que Sri Aurobindo avait. Il ne faisait pas d’effort... Mais pour lui-même il ne l’a pas fait!

Mais ça, ça a été une chose impensable pour des êtres humains.

Il voulait s’en aller.

N’est-ce pas, il avait décidé de s’en aller. Et il ne voulait pas que nous sachions qu’il le faisait exprès parce qu’il savait que si, un seul moment, je savais qu’il le faisait exprès, j’aurais réagi avec une telle violence qu’il n’aurait pas pu partir!

Et il a fait cette chose... n’est-ce pas, de supporter tout cela comme si c’était une inconscience, une maladie ordinaire, simplement pour ne rien nous laisser savoir – et il est parti au moment où il fallait qu’il s’en aille. Mais...

Et je ne pouvais même pas penser qu’il était parti quand il était parti, là, en face de moi, tellement c’était loin... Et puis après, quand, sortant de son corps, il est entré en moi et que j’ai compris tout ça... C’est fantastique!

Fantastique.

C’est... c’est absolument, absolument surhumain. Il n’y a pas un être humain qui aurait été capable de faire une chose pareille. Et quelle – quelle maîtrise de son corps, absolue, absolue!

Mais pour donner aux autres... il vous enlevait les maladies comme ça (Mère fait un geste comme pour prendre la maladie du bout des doigts, tranquillement, et la sortir du corps). Cela t’est arrivé une fois, n’est-ce pas? Tu m’as dit que je l’avais fait pour toi – mais ce n’était pas moi: c’était lui qui l’avait fait... Il vous donnait la paix mentale comme ça-(Mère fait le geste d’effleurer son front). N’est-ce pas, ses actions étaient absolument... Sur les gens, cela avait tout le caractère de la maîtrise totale... Absolument surhumain.

Un jour, il te dira tout cela lui-même[1].

Maintenant je le sais.

C’est for-mi-dable...

Je voudrais bien te demander quelque chose... Pourquoi fallait-il qu’il s’en aille?

Ah! ça, on ne peut pas le dire.

(long silence)

On peut le dire, mais d’une façon tout à fait superficielle... C’est parce que, pour qu’il fasse immédiatement, c’est-à-dire sans quitter son corps, ce qu’il avait à faire, eh bien...

(silence)

On peut dire la chose comme cela: le monde n’était pas prêt. Mais pour dire la vérité, c’était l’ensemble des choses qui étaient autour de lui qui n’était pas prêt. Et alors, il a vu cela (c’est une chose que j’ai comprise après), il a vu que ça irait infiniment plus vite s’il n’était pas là.

Et il avait absolument raison, c’était la vérité.

Quand j’ai vu cela, n’est-ce pas, j’ai accepté. C’est quand j’ai vu cela, quand il m’a fait comprendre cela que j’ai accepté, autrement...

Il y a eu une période difficile.

(silence)

Ça n’a pas été long, mais ça a été difficile.

J’ai dit douze jours, quand il est parti, douze jours[2]. Et au fond, j’ai donné douze jours pour l’Œuvre tout entière, pour savoir si... Extérieurement, j’ai dit: après douze jours, je vous dirai si l’Ashram (l’Ashram n’était qu’un symbole naturellement), si l’Ashram continue ou si c’est fini.

Et après (je ne sais pas, cela n’a pas pris douze jours: j’ai dit cela le 9 décembre, et le 12 c’était tout décidé, clair, vu, compris), le 12 j’ai vu des gens, j’ai vu du monde. On a recommencé toutes les activités seulement après douze jours à partir du 5 décembre. Mais le 12 c’était décidé.

Tout a été comme cela, en suspens, jusqu’au moment où il m’a fait comprendre la chose complète, tout entière... Mais ça, c’est pour plus tard.

C’est lui-même qui le dira, c’est vrai, plus tard.

@

[1]. En effet, Il est venu nous le dire quinze ans plus tard, quand nous écrivions Le Matérialisme divin.

[2]. Mère a arrêté toutes les activités pendant douze jours à partir du 5 décembre 1950, départ de Sri Aurobindo.

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