25 octobre 1960

Il y a une vague noire sur l’Ashram. L’origine en est assez particulière et très intéressante:

S. a de la famille à Bombay, un neveu; et un jour de la fin du mois d’août ou du commencement de septembre, il est venu me raconter une histoire extraordinaire, d’un neveu (il m’a apporté la photo: le neveu a l’air d’un médium, d’ailleurs) qui avait disparu. Il est revenu le surlendemain, je crois: on l’avait trouvé dans un train, en état hypnotique; quelqu’un l’avait secoué heureusement et, tout d’un coup, il s’est réveillé: «Pourquoi suis-je ici, qu’est-ce que je fais ici?» (Il n’avait pas l’intention de voyager, n’est-ce pas; il était sorti de chez lui pour se rendre dans une maison voisine, à Bombay). Il est donc revenu chez lui sans savoir ce qui lui était arrivé. Et il était tout à fait comme ça, bizarre.

Quelques jours plus tard, le neveu devait se rendre quelque part, je ne sais où; il va à la gare – revient plus. Impossible de savoir ce qu’il est devenu, il ne revient plus. Les jours passent, la famille se décide à m’envoyer une photo et à me raconter l’histoire en me disant que ce devait être la suite du premier incident quand on l’avait trouvé dans cet état hypnotique (ce devait être des gens qui font de l’hypnotisme), et ils me demandent: où est-il, que lui est-il arrivé?

Tout cela se passait juste le jour du départ de X[1]. J’ai donc dit à S.: «Allez avec votre lettre, votre photographie et racontez l’histoire à X.» X. a consulté un livre, a fait un petit japa, tout petit, pendant quelques secondes, et il a dit: «Oh! il reviendra avant le 26 septembre, mais prévenez Mère, qu’elle s’en occupe.» Alors je me suis concentrée un peu, comme ça.

Au bout d’une quinzaine de jours (c’est-à-dire à peu près une dizaine de jours avant le 26 septembre), autre nouvelle: le frère aîné de ce garçon, qui habite Ahmedabad (pas à Bombay), était venu voir le père, la mère et la grand-mère (il y a aussi une grand-mère) et il demande des nouvelles de son frère. Il était venu avec un ami. On lui explique: «Ton frère a disparu, nous ne savons pas ce qu’il est devenu.» Ils décident donc de faire des recherches: «Nous allons le retrouver.»

Avant de s’en aller, la veille du départ, l’ami du frère aîné annonce qu’il va rendre visite à la grand-mère (elle habitait peut-être à cent mètres de là). Il sort – revient plus. Disparu.

Ils sont terriblement inquiets, n’est-ce pas; on se demande ce qui est arrivé. J’ai fait écrire à X., je me suis concentrée et, quatre jours après, le garçon (c’est-à-dire l’ami du frère aîné) revient dans un état lamentable: blanc, maigre, pouvant à peine parler. Et il raconte son histoire:

Avant d’aller chez la grand-mère, en cours de route, il était passé devant la gare et il est entré pour boire quelque chose. Pendant qu’il buvait, deux individus qui se trouvaient là se sont mis à jouer avec des boules devant lui. Il a regardé. Et soudain, il s’est senti tout à fait mal à l’aise: il a voulu s’en aller et il a couru vers une sortie qui donnait sur les voies de chemin de fer – c’était fermé, pas pu sortir. Et ces deux individus étaient là, derrière lui – tout d’un coup il a perdu connaissance: «Je ne sais plus ce qui m’est arrivé.»

Il s’est réveillé dans une gare, quelque part entre Bombay et Poona, et il a commencé par leur dire qu’il avait faim (il était avec ces deux individus). Ils lui ont donné des coups de poing dans le ventre et mis un mouchoir sur le nez – parti encore! A Poona, il s’est réveillé (il n’avait plus faim! ), on lui a encore mis un mouchoir sur le nez. Et ça a duré comme cela: ils lui ont donné beaucoup de coups de poing. Quand il s’est réveillé dans la campagne, aux environs de Poona, quatre hommes étaient autour de lui en train de discuter dans une langue qu’il ne connaissait pas (lui, connaît le Goudjérati). Sans doute parlaient-ils une autre langue, je ne sais laquelle – ils étaient noirs, paraît-il. Il ne comprenait pas, mais à des signes certains, il a vu qu’ils étaient en train de discuter pour savoir s’ils allaient le tuer ou non. Finalement, ils lui ont dit (probablement dans une langue qu’il comprenait): «Ou tu fais partie de notre bande, ou nous te tuons.» Il a répondu par un grognement pour ne pas s’engager. Les autres ont décidé d’attendre le chef (le chef n’était donc pas là): «Nous déciderons quand il sera là.» Et pour être plus sûr: de nouveau quelques coups de poing dans le ventre et le mouchoir sur le nez – parti!

Quelques temps après (il ne sait pas combien de temps, parce qu’il n’a su le temps que quand il est rentré), il se réveille dans une maison basse, en pleine campagne, assez sombre, où ils étaient cinq et non plus quatre. Ils étaient en train de manger. Alors il a fait bien attention de ne pas bouger. Ils étaient surtout en train de boire (c’est un endroit où il y a la prohibition). Quatre étaient déjà ivres mort. Il s’est soulevé pour voir. Le cinquième qu’il ne connaissait pas (ce devait être le chef) n’était pas encore ivre mort; quand il a vu que le garçon remuait, il a poussé un grognement terrible; alors le pauvre s’est aplati dans son coin, il n’a plus bougé – il a attendu. Au bout de quelque temps, le cinquième (il y avait encore une bouteille qu’il a bue) était lui aussi ivre mort. Alors quand il a vu qu’ils étaient tous profondément endormis, il s’est levé avec grand soin et – il dit qu’il a couru pendant une heure et demie!... Un garçon plein de coups de poing et qui n’avait pas mangé depuis quatre jours! Ça, je crois que c’est un miracle.

Il a couru pendant une heure et demie et il s’est retrouvé à la gare de Poona, sait pas comment. Il a pris le train et il est rentré à Bombay, sachant à peine comment il avait réussi à faire.

Quand j’ai su cette nouvelle, tout de suite j’ai pensé: «Bon, ce garçon a attrapé la formation que X. avait faite pour l’autre[2], et il est revenu avec.» Parce que c’est vraiment miraculeux qu’il ait pu réussir. Et l’autre, le neveu, est resté en plan, introuvable. Mais il est évident que c’était la même bande et le même procédé.

La police est donc intervenue; on a voulu l’emmener là-bas dans la campagne de Poona (naturellement je pense qu’ils l’ont soigné entre-temps). On n’a pas pu en tirer grand-chose: il paraît qu’à tous les endroits où il se souvenait avoir vu ces gens, quand il disait qu’il les avait vus, il s’évanouissait. Finalement on me raconte l’histoire et ces pauvres gens eux-mêmes m’écrivent: «Quels sont ces démons qui ont un pouvoir si grand que cela résiste au pouvoir de Mère et de X., et qui gardent notre fils?» On a donc encore prévenu X. qui a dit, sachant l’histoire de l’ami du frère aîné: «Ah! maintenant je sais où est l’autre et j’espère que ça ne va pas durer trop longtemps.» Mais le 26 septembre était passé – désespoir général dans la famille. On m’écrit. Je me suis concentrée.

C’était juste avant Dourga poudja[3], ou juste après, je ne sais plus (les dates et moi, ça ne va pas!) – non, c’était après Dourga. Alors je suis entrée dans une profonde concentration et j’ai vu que, en effet, il y avait là un pouvoir râkshasique[4] très puissant et dangereux. Et là-haut, dans ma chambre, quand je me suis mise à marcher pour mon japa (j’avais pensé un peu à cette histoire et tâché de demander que quelque chose soit fait), je vois tout d’un coup Dourga devant moi, comme ça, qui lève une lance de lumière blanche – la lance de la lumière qui détruit les forces adverses – et qui frappe dans un tas noir de gens qui grouillaient.

Mais alors est venue une réaction... effroyable! J’ai été un jour, pas tout à fait aussi malade mais presque aussi malade qu’il y a deux ans[5] (c’est-à-dire que ce devait être le même mantra qui avait été utilisé). N’est-ce pas, moi qui ne vomis jamais... des vomissements terribles – tout ce qui était dedans sortait! Seulement, j’ai un peu plus d’expérience qu’il y a deux ans (!) alors ça s’est arrangé... Ça m’est arrivé ici, en bas, dans l’après-midi. Je suis remontée tout droit dans ma chambre (je n’ai vu personne cette après-midi là) et je suis restée en concentration pour chercher à savoir ce qu’il y avait. J’ai vu que ça venait de là, que c’était le choc en retour de ces gens qui essayaient de se défendre.

J’ai fait le nécessaire.

Mais le malheur, c’est que cela s’est répandu sur l’Ashram, sur tout le monde – une vague noire partout. Enfin c’était assez... ennuyeux.

Mais quatre jours après, téléphone: le garçon est retrouvé à Ahmedabad, et on le ramène à Bombay.

L’histoire du garçon... fantastique! Elle est fantastique. Il était maigre, blanc, la tête vide. Je ne me souviens plus de tous les détails, mais finalement c’était la même histoire: aussi dans une gare il a été pris comme cela; il a vu des gens; un état hypnotique; et puis il ne sait plus ce qui lui est arrivé, plus du tout. Je ne sais pas si pour lui on s’est servi aussi d’un mouchoir, mais on l’a «hypnotisé». On lui a aussi donné des coups de poing quand il demandait à manger. Mais après cela, plus faim du tout! Ils lui ont comme enlevé l’envie de manger – même s’il y avait de la nourriture, il n’y touchait pas. Et la tête absolument vide.

Il se souvient pourtant qu’ils lui répétaient: «Tu n’as pas de famille; ce nom-là n’est pas ton nom; tu t’appelles par tel autre nom (ils lui avaient donné un autre nom); tu es tout seul et tu dépends exclusivement de nous.» Mais alors probablement, ce garçon devait avoir une conscience un petit peu plus profonde, car, bien que sa tête ne marchait pas extérieurement, il y avait quelque chose au fond qui était capable d’observer et de se souvenir.

Finalement, ils l’ont mis comme garçon de bar dans un petit café d’Ahmedabad, près de la gare. Il se trouve même qu’un jour son frère et l’ami de son frère sont passés par là (il se souvient vaguement de les avoir vus) mais il n’était pas capable de les appeler ou de se faire reconnaître. Une fois aussi, il a essayé de partir et il s’est dirigé vers la gare, mais au bout d’un moment il ne pouvait plus marcher, il était arrêté net par quelque chose (il ne savait pas quoi) et il a dû revenir. C’était comme cela, un état tout à fait... particulier. Mais un jour, un ami du frère est venu boire dans ce café, et c’est lui, ce garçon, qui a servi la boisson. Il était très changé mais l’autre l’a reconnu tout de même et lui a demandé: «Comment t’appelles-tu?» Il a vu que le garçon était comme hébété et ne répondait pas. Alors il n’a rien dit, il a couru tout de suite chez le frère aîné, ils sont venus, ils ont pris le garçon dans un coin et ils lui ont lavé la figure avec de l’eau de Seltz. Il paraît alors qu’il a commencé à être un peu plus vivant. Puis ils l’ont emmené et on a averti la police.

Plus de détails, je n’en ai pas encore...

(Deux mois plus tard, Mère a donné les détails de l’histoire, que nous introduisons ici, en parenthèse:)

J’ai su les détails: ce garçon devait aller à la gare et il est entré dans un magasin de chaussures, juste à côté de la gare, pour acheter une paire de sandales. Et quand il est entré, il a vu là un homme qui était en train de choisir des souliers de femme! Ça lui a paru drôle: «Qu’est-ce que c’est que cet homme qui achète...» et il a regardé – et tout d’un coup, plus rien. Il a perdu connaissance et il ne sait plus ce qui lui est arrivé. Mais c’est comme cela que l’histoire a commencé: un homme qui choisissait des souliers de femme dans une boutique! Il devait faire des choses étranges – exprès probablement – pour attirer l’attention des gens. Naturellement le garçon s’est mis à regarder avec intérêt et ça a été fini – tout d’un coup, blanc, plus rien! Et il s’est retrouvé longtemps après, tout à fait ailleurs, dans le train avec cet homme. C’est lui qui a donné ces détails: il est ici en ce moment avec sa mère; ils sont venus remercier. C’est un gentil garçon, mais ça lui a laissé une anxiété, surtout quand il parle de ces choses. Il essaie d’oublier. Il m’a dit qu’il voulait entrer dans l’armée et m’a demandé ma permission. C’est un garçon qui sent le besoin de la force et il a eu l’impression que d’être incorporé dans cette force serait pour lui très bien (bien sûr, il ne m’a rien dit de tout cela, il n’est pas conscient à ce point. Mais c’est cela qu’il sent: le besoin d’être soutenu par une organisation de force). Alors je l’ai encouragé, j’ai dit: très bien. Sa mère n’était pas trop heureuse! Elle avait l’impression qu’il tombait de Charybde en Scylla!

Autre détail curieux: après lui avoir enlevé l’envie de manger et l’avoir mis dans ce bar, ils lui ont dit: «Maintenant, il faut que tu manges.» Il a donc essayé de manger et, pendant quatre jours, tout ce qu’il prenait, il le vomissait, tout noir! Après, il a pu recommencer à se nourrir un peu. C’est une histoire fantastique!

(La conversation reprend ici)

...Mais j’ai été intéressée surtout par le fait que j’ai senti le danger que représentait ces gens – non pas parce que c’étaient des brigands, mais parce qu’ils avaient un pouvoir: des brigands avec un pouvoir, et d’après ce que j’ai vu, il m’a semblé que ce n’était pas seulement un pouvoir hypnotique. Il devait y avoir une force tantrique là-dedans, autrement ils ne seraient pas aussi puissants, et surtout si puissants à distance. Je me suis dit: il faut qu’ils soient attrapés. Et c’est pour cela que... (ça continuait à travailler, n’est-ce pas). Et hier a paru dans le journal qu’une bande de cinq hommes, huit femmes et une demi-douzaine d’enfants, avait été prise à Allahabad se servant de moyens que le journal qualifie de «mesmériques», pour voler les gens, les attaquer, etc., et qu’ils ont été arrêtés par la police (ils travaillaient à Poona, ils travaillaient à Bombay, ils travaillaient à Ahmedabad, et c’est à Allahabad qu’ils ont été pris). Probablement, quand ils se sont aperçus que le garçon était parti, ils ont pris peur et ils se sont enfuis dans le Nord. Et à Allahabad ils ont été arrêtés – j’avais fait une très forte formation, j’avais dit: il faut qu’ils soient pris.

Maintenant, je suis sans autres nouvelles... N’est-ce pas, on les attrape, on peut les empêcher de faire du mal extérieurement, mais leur pouvoir est là. Il va falloir être... Et tout le monde ici dit la même chose: comme un voile noir d’inconscience qui est tombé sur nous. Même ceux qui n’ont pas l’habitude de ces choses ont senti. Je suis en train de nettoyer l’endroit – ça donne du mal. Tout est sens dessus dessous.

J’ai fait prévenir X. Mais je ne lui ai pas dit ma difficulté (ce mantra qu’ils ont jeté sur moi pour me tuer), je ne lui ai rien dit du tout. Parce qu’il avait insisté, il avait dit dès le début: «Il faut que Mère s’en occupe, c’est la grâce de Mère qui peut les sauver.» Et j’ai compris: c’était juste au moment de Dourga qu’ils faisaient leur coup; j’ai compris qu’il fallait que Dourga intervienne. Voilà l’histoire.

Chez X. non plus ça ne va pas: ça grince partout. Probablement c’était très important... J’ai l’espoir que ça peut changer quelque chose.

Mais normalement, ce mantra leur retombe dessus?

C’est évident: ça leur retombe dessus. Ça doit être assez mauvais pour eux, mais c’est tant pis! Ça, ils n’échapperont pas.

Je ne sais pas ce qui va leur arriver... Ils ont dû tuer un certain nombre de gens, n’est-ce pas. Si on le découvre, leur compte est bon, on sera débarrassé – ils deviendront des petits démons sans corps! C’est moins dangereux.

A moins qu’ils ne se réincarnent ailleurs. Il y a toujours des gens pour accepter les démons, c’est cela qui est ennuyeux!

(A peine Mère avait-elle fini de raconter cette histoire que, par une «coïncidence» curieuse, quelqu’un est venu lui apporter un portrait qui avait été dessiné par P.K., l’un des peintres de l’Ashram. Il faut dire que quelques jours auparavant, en pleine nuit, à deux heures du matin, alors qu’il y avait un orage et des éclairs d’une violence tout à fait inusitée, P.K. a vu tout à coup dans le ciel, au milieu des éclairs, une tête assez formidable, démoniaque, devant lui. N’ayant rien d’autre sous la main, il a hâtivement dessiné sa vision sur une ardoise d’écolier, à la craie. C’est ce portrait que l’on vient d’apporter à Mère. Regardant le portrait, Mère remarque:)

Tiens, P.K. est donc voyant! C’est bien lui, c’est cet être qui était derrière ces gens. C’est pour cela qu’ils avaient tant de pouvoir. Et il est venu ici à cause de cela: il était furieux. Un beau démon!

Je l’ai vu aussi cette nuit-là, et il disait: «You fools with your small crackers (c’est l’époque des fêtes de «Dipavali», la fête des lumières, où les gens ont l’habitude de faire partir toutes sortes de pétards), I will show you what real crackers are!»[6] – et ces éclairs d’une violence surprenante... Oh! il a dit toutes sortes de choses, annoncé des catastrophes... Mais ce sont des histoires très complexes et je ne veux pas entrer ici dans les détails.

(Quelques jours plus tard, Mère a ajouté encore ceci:)

Il y a un enfant ici qui a attrapé la fièvre rien qu’à regarder ce portrait[7]!

Moi, je n’ai pas osé le regarder longtemps!

Oh! c’est effrayant! Il y a un petit ici, je ne sais pas qui a eu la stupide idée de lui montrer cela, mais quand il l’a vu, il a eu la fièvre pendant trois jours, il a été pris de frissons terribles. Et je crois bien que le peintre a été malade aussi après avoir fini son dessin!

Peu après

Et toi, la santé va mieux? (le disciple était souffrant)

Quand il faut faire glisser presque sept heures de japa dans une journée, ça fait une vie un peu extravagante!

C’est tellement en contradiction avec non seulement l’éducation mais la formation des êtres d’Occident! Pour un Indien, un Indien moderne, ce serait très difficile, mais pour ceux qui ont gardé la vieille tradition ce ne serait pas difficile. Les enfants qui ont été élevés dans un monastère ou près d’un gourou, c’est facile pour eux...

(silence)

J’ai regardé, j’ai vu quel était le domaine qui dépend de la pensée – le pouvoir de la pensée sur le corps – , c’est formidable! On n’imagine pas à quel point c’est formidable. Même une pensée qui est subconsciente et quelquefois inconsciente, ça agit, ça provoque des résultats fantastiques!... J’ai étudié cela. Depuis deux ans, je suis à étudier cela en détail – c’est incroyable! Si un jour j’ai le temps d’expliquer tout cela, ce sera intéressant...

Des toutes-toutes petites réactions mentales ou vitales, toutes petites, qui dans notre conscience ordinaire paraissent n’avoir aucune espèce d’importance – ça agit sur les cellules du corps, et ça peut créer un désordre... N’est-ce pas, quand on observe attentivement, on s’aperçoit tout d’un coup d’un tout petit malaise, trois fois rien (si on est occupé, on ne s’en rend même pas compte), et alors si on suit le malaise, pour voir, on s’aperçoit que ça venait de quelque chose qui, dans notre conscience active, est imperceptible et «sans importance» – ça suffit à créer un malaise dans le corps.

C’est pour cela que, à moins qu’on ne soit à volonté et constamment dans ce qu’ils appellent ici la conscience du Brahman, c’est pratiquement impossible à contrôler. Et c’est cela qui donne l’impression que certaines choses arrivent dans le corps, qui sont indépendantes de... non seulement de notre volonté mais de notre conscience – ce n’est pas vrai.

Seulement il y a tout ce qui vient du dehors – ça, c’est le plus dangereux. Constamment, constamment: on mange, on attrape... quelle masse de vibrations! Vibrations de la chose que l’on mange, quand elle était vivante (il en reste toujours), vibrations de la personne qui l’a cuite, vibrations de... N’est-ce pas, tout le temps, tout le temps, ça n’arrête pas – on respire, ça rentre. Naturellement, quand on se met à parler à quelqu’un ou à se mêler aux gens, là on devient un peu plus conscient de ce qui vient, mais même quand on est assis comme ça, immobile, sans s’occuper des autres – ça vient! C’est une interdépendance presque absolue, l’isolement est une illusion... On peut, en forçant son atmosphère (Mère fait le geste de dresser un rempart autour d’elle), on peut tenir ces choses en partie à distance, mais rien que cet effort pour les éloigner, cela crée aussi des (je suis en train de penser en anglais et de parler en français! ) ça crée des «disturbances» (dérangements). Enfin, tout cela maintenant, c’est vu.

Mais je sais d’une façon absolue que si on peut maîtriser toute cette masse du Mental physique et y apporter la conscience du Brahman d’une façon continue, on peut, on est le maître de sa santé.

Et c’est pour cela que je dis aux gens (non pas que j’espère qu’ils pourront le faire, en tout cas maintenant, mais il est bon de le savoir), je leur dis que ce n’est pas une fatalité, que ce n’est pas une chose qui échappe complètement à notre contrôle, que ce n’est pas une sorte de «Loi de la Nature» sur laquelle nous n’avons aucun pouvoir – ce n’est pas ça. Nous sommes vraiment les maîtres de tout ce qui a été rassemblé pour créer notre individualité passagère; et le pouvoir de contrôle nous est donné, si nous savons nous en servir.

C’est une discipline, une tapasya[8] formidable.

Mais c’est bon de le savoir pour ne pas avoir cet écrasement que l’on a quand les choses sont encore tout à fait en dehors de votre contrôle, cette espèce de sens de la Fatalité qu’ont les gens: ils naissent, ils vivent, ils meurent et c’est la Nature écrasante et nous sommes les jouets de quelque chose qui est beaucoup plus grand, beaucoup plus fort que nous – ça, c’est le Mensonge.

En tout cas, pour moi, pour mon yoga, c’est seulement quand j’ai su que je suis le Maître de tout (si je sais être ce Maître et je me laisse être ce Maître, si l’imbécillité extérieure consent à se tenir à sa place), alors j’ai su qu’on pouvait maîtriser la Nature.

Il y a aussi cette vieille idée des religions d’origine chaldéenne et chrétienne, de ce Dieu-là devant lequel on est quelque chose qui ne peut pas avoir de vrai contact – un abîme entre les deux. Ça, c’est terrible.

Ça, il faut absolument que ça cesse.

Parce que jamais la terre et les hommes ne pourront changer avec cette idée-là. C’est pour cela que j’ai dit bien souvent que cette idée-là était l’œuvre des Asouras[9]; c’est avec ça qu’ils ont dominé la Terre.

Tandis que quel que soit l’effort, quelle que soit la difficulté, quel que soit le temps qu’il faille y passer, quel que soit le nombre de vies, il faut savoir que tout cela n’a aucune importance: on sait qu’on est le Maître, et que le Maître et soi-même c’est la même chose. Tout ce qu’il faut, c’est... le savoir intégralement, que rien ne le démente. Ça, c’est la sortie.

C’est pour cela que je dis aux gens: «C’est de votre vie intérieure (intérieure intermédiaire, n’est-ce pas, parce que ce n’est pas le plus profond) que dépend votre santé.»

Depuis deux ans, j’accumule les expériences dans les détails les plus minimes, les choses qui peuvent paraître les plus futiles: il faut consentir à cela, ne pas avoir la manie des grandeurs; savoir que c’est dans le tout petit effort pour créer dans quelques cellules une attitude vraie qu’on peut trouver la clef.

Seulement, quand on rentre dans la conscience ordinaire, ces choses sont tellement subtiles, elles demandent une observation tellement scrupuleuse que c’est cela qui légitime les gens (qui paraît légitimer les gens) dans leur attitude: «Oh! c’est la Nature, c’est la Fatalité, c’est la Volonté divine.» Mais avec cette conviction-là, le «Yoga de la Perfection» est impossible, ça paraît une utopie fantastique – mais c’est FAUX. La vérité est tout autre.

(long silence)

... Quand je dis à quelqu’un: «Je m’occuperai de toi», tu sais ce que je fais? – J’associe son corps au mien. Et alors tout le travail est fait en moi (dans la mesure où c’est possible, n’est-ce pas. Essentiellement c’est possible, mais il y a une relativité dans les possibilités parce que le temps compte; mais dans la mesure où c’est possible...) Et alors, ça m’intéresse beaucoup de faire des recoupements et de savoir les résultats de mes interventions – pas pour me glorifier (il n’y a pas de quoi se glorifier!) – mais pour l’étude scientifique du problème: savoir comment se guider, comment discerner, qu’est-ce qui est actif, qu’est-ce qui ne l’est pas, quels sont les moyens d’approche, etc.?

Et même si on ne se sent pas très bien, eh bien, à ce moment-là, si on est capable de se dire: «Ça ne fait rien; ce qu’on a à faire, on le fera» (c’est cette espèce de peur de ne pas pouvoir faire qui est ennuyeuse), si à ce moment-là on peut sincèrement se dire «Non – avoir cette confiance dans la grâce divine – non, ce que j’ai à faire, je le ferai et on me donnera le pouvoir de le faire, ou on créera en moi le pouvoir de le faire», ça c’est l’attitude vraie.

Je sens que tu me donnes ça.

@

[1]. Le gourou tantrique du disciple.

[2]. Une «formation», en langage occulte, est une concentration de pouvoir dans un but. En l’occurrence, la formation du Tantrique pour sauver le neveu.

[3]. Les cérémonies rituelles chaque année en l’honneur de Dourga, la Mère universelle.

[4]. Les râkshas sont des démons d’un plan vital inférieur.

[5]. En décembre 1958, cette attaque de magie noire.

[6]. «Bande d’imbéciles avec vos petits pétards, je vais vous montrer ce que sont de vrais pétards!»

[7]. C’est pourquoi nous ne le publierons pas.

[8]. Tapasya: ascèse, austérités, discipline rigoureuse.

[9]. Asouras: les démons du plan mental.

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