2 octobre 1960[1]

2.10.60

Ce monde merveilleux de

félicité qui, à nos portes,

attend notre appel pour

descendre sur la terre.

Signé: Mère

* * *

This wonderful world of

delight waiting at our

gates for our call,

to come down upon

earth.

* * *

Ce monde de Félicité, au-dessus de nous, attend – pas que nous soyons prêts mais que nous voulions bien, que nous condescendions à le recevoir !

C’est cela que je regarde sur cette photo[2].

Au fond, c’est cela que je tire.

* * *

Mes nuits contiennent beaucoup de choses, alors je ne fais pas toujours le travail qu’il faut pour me souvenir – ça prend beaucoup de temps. Parfois je me lève la nuit et je reste là à me souvenir exactement de tout ce qui s’est passé avant, et cela prend quelquefois une demi-heure! et comme il y a encore du travail urgent qui appelle, je ne prends pas le temps de me souvenir et ça s’efface. Et puis, tu comprends, on pourrait écrire des volumes à ce compte-là!

Mais au point de vue documentaire, les nuits deviennent très intéressantes... Justement dans le Yoga of self-perfection, Sri Aurobindo décrit cet état auquel on arrive où toutes les choses prennent un sens et ont une valeur intérieure de signification, d’éclaircissement sur des points, et d’aide. A ce point de vue, mes nuits sont devenues extraordinaires. Je vois infiniment plus de choses que je n’en voyais avant. Avant, c’était très limité à un contact personnel avec les gens. Maintenant... Et alors, dans mes nuits, chaque chose, chaque personne a l’apparence, le geste, le mot, l’action qui décrit exactement la condition dans laquelle elle se trouve. Ça devient intéressant.

Naturellement j’aime beaucoup mieux quand je suis dans mes grands courants de force – ça, c’est personnellement beaucoup plus intéressant, ces immensités d’action. Mais ces choses documentaires ont de la valeur aussi. C’est tellement, tellement différent des rêves et même des visions que l’on a quand on entre dans certains domaines représentatifs intellectuels (ce que j’avais avant). C’est tellement différent, ça a un autre contenu, une autre vie: ça porte en soi sa lumière, sa compréhension, son explication – on voit et c’est tout expliqué.

Cela me donne toujours l’impression que je me resserre un peu, mais c’est intéressant. Et c’est utile, parce que je suis tout le temps à bouger avec les gens, à faire des choses: ça me donne l’indication de ce qu’il faut dire à chacun, de ce qu’il faut faire. C’est utile. Mais ça n’a pas l’ampleur et la joie du grand Mouvement de forces plus impersonnel.

Avant de me coucher, je me dis parfois: «Je vais faire ce qu’il faut (parce qu’il y a le moyen, n’est-ce pas), pour passer ma nuit comme cela, dans ces grands courants de force.» Et puis je pense: «Oh! comme tu es égoïste, ma fille!» Et alors quelquefois ça vient, quelquefois ça ne vient pas – quand il y a quelque chose d’important à faire, ça ne vient pas. Mais il suffirait que je fasse une certaine concentration avant de m’endormir pour passer toute la nuit comme cela, dans cette... mais alors très loin d’ici, très loin – je ne peux pas dire très loin de la terre, non, parce que certainement c’est la zone intermédiaire entre les forces d’en haut et l’atmosphère terrestre. En tout cas, c’est principalement cela; c’est aussi un grand courant universel, mais c’est principalement ce qui descend et vient sur la terre; et alors tout le temps, tout le temps, ça pénètre dans l’atmosphère terrestre, et il y a cette vision générale – ça fait des nuits merveilleuses... Je ne m’occupe plus du tout des gens – enfin, pas de cette façon-là: d’une façon plus impersonnelle.

(silence)

Toute ma vie, j’ai été harcelée par... quelque chose qui ressemble au sentiment du devoir sans sa stupidité. Sri Aurobindo m’avait dit que c’était un «censeur»; que j’en avais un avec moi, qui était «considérable»! et qui était tout le temps, tout le temps à me dire: «Non, ce n’est pas comme cela, ça doit être comme ceci et comme cela... Ah! non, tu as tort de faire cela; oh! fais attention, ne sois pas égoïste; fais attention, sois ceci, sois cela...», il avait raison, mais je l’ai renvoyé il y a longtemps – ou plutôt, c’est Sri Aurobindo qui l’a renvoyé. Mais il me reste cette habitude, n’est-ce pas, de... pas faire la chose plaisante. Faire ce qui DOIT être fait: que ce soit plaisant ou non n’a aucune importance.

Ça aussi, Sri Aurobindo me l’avait expliqué. Je lui disais: oui, vous dites toujours «la joie de la vie», n’est-ce pas, la vie pour sa joie. Moi, dès que j’ai eu la notion, qu’on m’a mise en présence du Suprême, alors ça a été: «Pour Toi – exclusivement ce que Tu veux. Et Tu es la seule, l’unique, l’exclusive raison d’être.» Et ça, c’est resté, et c’est tellement fort que quand (n’est-ce pas, maintenant, j’ai en abondance l’extase, l’ananda, tout, tout vient), mais même cela, même quand c’est là, j’ai toujours quelque chose qui se tourne vers le Seigneur et qui dit: «Est-ce que c’est VRAIMENT pour Ton service? ce que Tu attends de moi, ce que Tu veux de moi?»

Mais cela m’a protégée de toutes les recherches du plaisir dans la vie. Ça a été une merveilleuse protection, parce que le plaisir me paraissait tellement inutile – inutile, oui: c’est pour votre satisfaction personnelle. Plus tard j’ai même compris que c’était idiot parce que ça ne satisfaisait pas (mais quand on est tout petit, on ne sait pas encore). Mais ça ne me plaisait pas: «Non, est-ce que c’est vraiment utile, est-ce que ça sert à quelque chose?»

Et pour les nuits, cette attitude m’est restée. N’est-ce pas, il y a cet élargissement de la conscience, cette impersonnalisation, cette joie merveilleuse d’être en dehors de... tout ça. Mais en même temps il y a: «Je suis ici dans ce corps, sur cette terre, pour faire quelque chose – faut pas oublier. Et c’est ça que je dois faire.» Mais probablement j’ai tort!...

J’attends que le Seigneur me le dise clairement!

Mais quand je dis cela, je Le vois toujours qui sourit – mais un sourire... C’est très gentil, le sourire... ça vous encourage plutôt que ça ne vous guérit!

@

[1]. Manuscrit de Mère. Ce texte constituera le Message de l’année 1961.

[2]. Il s’agit de la photo de Mère qui accompagnera son Message pour

l’année 1961.

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