14 juillet 1962
Mon petit, pour la première fois la nuit dernière, je t'ai vu, comme tu es, venir à moi, et je t'ai dit: « Oh ! comme c'est bien ! » Tu es venu comme cela (Mère fait un geste tout près de son visage) et tu me regardais. Je me suis dit: « Il est conscient ! »
Tu n'étais pas conscient ?
?...
Il était à peu près trois heures du matin.
Mais des visions, des visions symboliques dans le domaine mental, je t'ai vu très souvent, mais là, ce n'était pas ça: c'était le physique subtil, comme cela (même geste), et puis tu es venu comme une action délibérée, tu m'as regardée. Je t'ai dit: «Oh ! comme c'est bien ! »
J'ai eu un rêve de toi, mais j'ai l'impression que c'était quelque chose de fabriqué par le subconscient.
Non, alors c'est une transcription.
Un rêve bizarre, très bizarre. Il y avait une foule de gens qui t'attendaient, et puis tu devais apparaître – tu es apparue, tu es venue – et puis tu t'es évanouie tout d'un coup. Tu t'es évanouie parce que, je ne sais pas, tu étais malade physiquement ou quelque chose. Alors on t'a emportée. Il y avait une foule de gens qui attendaient pour te voir et qui me repoussaient en arrière (je me suis aperçu que j'étais vêtu en Sannyasin, entre parenthèses). Finalement, tout d'un coup, je suis allé près de toi (j'ai quitté toute cette foule), je suis allé tout près de toi et puis... tu m'as dit certaines choses. Lesquelles, je ne sais pas. Tu avais l'air toute petite – toute blanche mais toute petite et fatiguée, comme si justement tu venais de t'évanouir. Enfin tu vois, des choses comme cela1...
1. Vu maintenant, ce «rêve» ne nous a pas l'air du subconscient mais bien du physique subtil avec toute cette foule de gens qui assaillaient Mère sans cesse et la fatiguaient (et qui nous repoussaient d'ailleurs), mais EN Dépit de cette foule, nous avons traversé et nous sommes arrivé « tout près » de Mère – ce qui rejoint la vision de Mère. «Vêtu en Sannyasin », c'est-à-dire dépouillé des contingences.

 

Non, je ne dormais pas, j'étais en concentration, et c'est dans la concentration, pendant que j'étais tout enveloppée des forces, c'est A TRAVERS ÇA que tu es venu, c'était très bien !
Bon. Ça va venir, c'est bon signe. J'étais très contente, j'avais l'impression: « Ah ! quelque chose est en train d'arriver. »
Ça va venir.
*
* *
(Le disciple lit à Mère un passage de la dernière conversation, où Elle disait: «C'est la différence radicale depuis l'expérience du 13 avril: il n'y a plus rien que le Seigneur, le reste... qu'est-ce que c'est ? C'est seulement une habitude de parler (même pas une habitude de penser, c'est tout parti). Autrement... plus rien. Et qu'est-ce qu'il peut y avoir d'autre ?? – C'est Lui qui voit, c'est Lui qui veut, c'est Lui qui fait. »)
Il y a là-dedans, tu vois, la même vibration que dans le « mourir à la mort ». C'est quelque chose... oui, je crois, on pourrait dire: c'est Sa Présence... c'est Son Pouvoir créateur, c'est... C'est une vibration spéciale; tu ne sens pas, toi, comme quelque chose... quelque chose qui serait une super-électricité pure ?
Quand on touche Ça, on voit que c'est partout, mais on ne s'en aperçoit pas.
Mais quand tu as lu ces mots, tout d'un coup c'est venu... Ce doit être le Pouvoir du Seigneur dans les vibrations matérielles. C'est intéressant, c'est à étudier.
*
* *
(Puis, à propos de la dernière conversation, lorsque Mère disait que pour avoir l'expérience dans sa pureté simple, il ne faut « même plus savoir où on est. » Tandis que « on veut se voir être, se voir progresser, se voir agir, se voir... »)
C'est vraiment ça (ce sens d'une position individuelle où on est un être particulier, planté dans un espace particulier, qui se regarde être ou se sent être), qui est parti avec la dernière expérience (13 avril). Ça me gênait beaucoup avant. Je me disais toujours: « Comment est-ce qu'on peut se débarrasser de ça ? »
Au fond, c'est aussi relié à ce «mourir à la mort», parce que, figure-toi, cette expérience du 12 au 13, pourquoi est-ce que je la

 

vois toujours à ma gauche (Mère fait un geste à sa gauche) et assez loin, comme si j'avais fait de là à ici un trajet en plan, comme cela (geste horizontal), pour reprendre mon corps. Et que là (à gauche), je ne l'avais plus ! Là, je ne l'avais plus: j'existais en pleine conscience, mais je n'avais plus mon corps – c'est cela qui me fait dire que mon corps était mort. Je ne l'avais plus... C'est loin, c'est loin d'ici, loin (pas dans le jardin !)... quelque part. Quelque part dans la conscience physique, à gauche, très loin. Et je suis venue en plan de là jusqu'ici pour m'apercevoir qu'il y avait encore un corps1.
Mais ce corps n'est plus mon corps: c'est un corps.
Seulement, petit à petit, la conscience reprend le contrôle, mais pas de la même façon. Et quand j'ai voulu comprendre, essayer de comprendre ce «mort à la mort », je me suis retrouvée là-bas (geste à gauche) et c'était comme si on me disait: « C'était ça, ton expérience. »
J'avais l'impression, là-bas, d'être beaucoup-beaucoup plus vivante qu'ici ! Beaucoup plus. Et encore maintenant, quand je veux avoir cette impression de puissance et d'intensité de vie, c'est toujours par là-bas, c'est-à-dire que quand je veux retrouver mon expérience (du 13 avril), je m'en vais toujours là-bas, à gauche.
Pourquoi à gauche ?...
(silence)
Oui, je me souviens cette nuit, j'ai dit: «Ah enfin ! ça, c'est bien. Enfin ! nous y sommes. » Ça va.se traduire (matériellement).
Et je te voyais comme cela, comme je te vois maintenant, exactement pareil, seulement avec une intensité de vibration de plus, quelque chose de plus vibrant – n'est-ce pas, le monde physique pour moi est tout le temps voilé, c'est comme si on avait mis un étei-gnoir dessus –, eh bien, l'éteignoir n'était pas là; c'était exactement toi, les mêmes traits, la même expression, mais... intense. Intense, et tu me regardais (Mère fait un geste comme si le disciple la regardait sous le nez), comme si tu disais: «Ah ! tu es comme cela ?! » (Rires)
1. Lorsqu'on sort de son corps (et, nous le supposons, lorsqu'on meurt), l'impression est toujours d'un «déplacement au-dessus», ou d'un «déplacement au-dedans », c'est-à-dire dans une profondeur (ce qui revient au même, c'est simplement la traduction d'un changement de dimension), mais ce qui est frappant dans l'expérience de Mère, c'est ce déplacement en plan, c'est-à-dire qu'Elle n'a pas quitté le monde physique. Alors on est devant un étrange point d'interrogation: un monde physique dans le monde physique – un autre, ou le même, vécu différemment ? Un monde physique où la mort n'existe plus: on est mort à la mort. Le prochain monde ?

 

Alors j'étais très contente. Très contente: « Ah enfin ! nous y sommes », c'était ça, l'impression. Enfin nous y sommes.
Dans quelques jours, ça va se traduire – quelques jours, je ne sais pas; là aussi, par là (geste à gauche), les jours, les mois ont un autre sens. Écoute, il y a des minutes (n'est-ce pas, je fais le tour de la chambre physiquement en répétant les Mots1), il y a des tours – dix tours en une seconde ! pourtant, c'est toujours la même marche; je crois que quelqu'un, physiquement, ne verrait aucune différence; eh bien, il y a de ces tours qui sont... dix, vingt, trente, une seconde ! Il y en a, après, un seul tour, oh ! c'est long, c'est long, ça n'en finit plus !
Et ça s'accompagne d'une perception automatique du temps – du temps des pendules –, assez curieuse (parce que tout est organisé à cause des allées et venues des gens qui m'entourent: à telle heure, telle chose; telle heure, telle chose), je n'ai pas besoin d'entendre la pendule: juste avant que la pendule sonne, je suis prévenue. Et il y a une partie (du japa) que je répète d'une certaine façon, étendue, parce que le Pouvoir est plus grand (ce ne sont pas des méditations: ce sont des actions), une autre partie en marchant. Alors je reste étendue un certain temps, je marche un certain temps, et à heure fixe celui-ci s'en va, tel autre arrive, etc.; mais tout ça, ce ne sont pas des gens (je ne le leur dis pas), ce ne sont pas des gens: ce sont des mouvements du Seigneur. Et ça, c'est tout à fait intéressant, parce que ce mouvement du Seigneur a tel genre de caractère, cet autre mouvement du Seigneur a tel autre genre de vibration, et tout ça s'accorde très bien pour faire un certain ensemble. Mais quand c'est l'heure, ça vient juste avant, exact: 6 heures, 6hl/2, 7h, 7hl/2, comme cela. Pas six, sept, avec des paroles, mais: c'est l'heure, l'heure, l'heure... Et en même temps que cela – qui est d'une exactitude pendulesque (!) une exactitude de pendule –, en même temps, j'ai cette autre notion du temps, qui n'est plus le même temps, qui est... Notre temps est une convention très rigide, mais c'est une formation vivante, qui a son pouvoir vivant dans le monde de l'exécution, ici. L'autre est... c'est le rythme de la conscience. Alors, suivant l'intensité de la Présence (c'est-à-dire qu'il y a une concentration et une expansion), suivant cette pulsation-là, qui n'est pas régulière et mécanique, qui est variable, les tours ne prennent pas de temps du tout, ou ils prennent énormément de temps. Mais ça ne gêne pas l'autre, il n'y a pas de contradiction; l'autre est sur un autre plan, c'est quelque chose de beaucoup

 

plus extérieur; mais il a son utilité et sa loi propre, et l'un ne gêne pas l'autre1. Et petit à petit il devient prévisible2...
(silence)
De temps en temps, on touche à la Vibration de l'Amour du Suprême, l'Amour créateur, l'Amour qui crée, soutient, maintient, fait progresser, et qui est la raison d'être de la Manifestation (c'était la traduction de Ça, ces grandes pulsations), et Ça, c'est quelque chose de si formidable et de si merveilleux pour la formulation matérielle, corporelle, que c'est comme si on le dosait. De temps en temps, on vous en donne un petit peu pour que vous sachiez que Ça, c'est le bout (enfin, le bout du commencement !)
Mais il ne faut pas se précipiter, surtout pas de désir. Être bien tranquille. Plus on est tranquille, plus ça dure longtemps. Si on est trop pressé, ça s'en va.
Je vois qu'il faut, il faut quelque chose, une sorte de capacité et de solidité extraordinaires pour pouvoir supporter Ça sans éclater. Et c'est ça qu'on prépare, lentement.
Il ne faut pas être pressé.
(silence)
Hier, pendant un certain temps, « on » m'a mis en rapport avec la façon de penser des gens, comment les gens pensent... Et alors j'ai
1. On sait, depuis la Théorie de la Relativité d'Einstein, qu'une telle expérience de relativité du temps est «physiquement» réalisable. Il suffit, par exemple, de considérer le temps à bord d'un engin spatial naviguant à une vitesse assez proche de celle de la lumière: le temps se « contracte », un même événement prendra moins de temps à bord de la fusée que sur terre. C'est ici la vitesse qui provoque cette contraction du temps. Dans l'expérience de Mère (qui, rappelons-le, est tout aussi «physique»), c'est «l'intensité de la Présence» qui semble être à l'origine du changement de temps. C'est-à-dire que c'est la conscience qui provoque la contraction du temps. Nous sommes donc en présence de deux expériences ayant des résultats physiques identiques mais formulées dans un langage différent. D'un côté on parle de « vitesse », et de l'autre de « conscience ». Mais qu'est-ce que la vitesse, après tout ?... (et la différence de «langage» est assez colossale dans ses implications, car il serait tout de même plus simple d'appuyer sur un bouton de «conscience » que sur un accélérateur qui doit passer à la vitesse de la lumière). La vitesse est une question de distance. La distance est une question de deux pattes ou de deux ailes: c'est par rapport à un phénomène limité ou à un être limité. Quand on dit: « à la vitesse de la lumière », c'est que l'on imagine nos deux pattes ou nos deux ailes qui vont très-très vite. Et tous les phénomènes de l'univers sont vus et conçus par rapport à ces deux pattes ou ces deux ailes ou cette fusée – ils sont une création de notre biologie bipède actuelle. Mais pour un être (supramental, de la prochaine biologie) qui contient tout au-dedans de lui, qui est immédiatement partout, sans distance – où est la vitesse ?... Il n'y a de «vitesse de la lumière » que bipède. Ils disent: la vitesse augmente et le temps se contracte. La prochaine biologie dit: la conscience s'intensifie et le temps se contracte ou n'existe plus – les distances sont abolies, le corps ne vieillit plus. Et toute la cage physique du monde s'effondre. « Le temps est un rythme de la conscience », dit Mère. On change de rythme et le monde physique change. Serait-ce là tout le problème de la transformation ?
2. Interrogée plus tard sur cette phrase non terminée, Mère a dit: «J'ai arrêté parce que c'était une impression et pas une certitude. Nous en reparlerons plus tard. » Mère a-t-elle voulu parler d'un moment où Elle pourra vivre dans les deux temps simultanément ?

 

vu qu'il faut faire bien attention – il vaut mieux se taire ! parce que très facilement ils penseraient que c'est le grand déménagement ! N'est-ce pas: «On est vieux, il y a l'artério-sclérose du cerveau, on devient un petit peu idiot, on retombe en enfance » – j'ai vu ça, c'était très amusant. J'ai vu, on m'a montré toute une façon de penser – ah ! et ils se croyaient intelligents, ils croyaient qu'ils savaient beaucoup ! Enfin...
(silence)
Même dans l'Inde.
Et je commence à croire...
C'est ce que je constate quand on me met en rapport avec le monde extérieur, l'Europe.
... Mais enfin, le vieux monde est un vieux monde, dans le vrai sens du mot vieux. L'Inde est bien plus vieille mais elle est plus vivante. Mais maintenant, ça me fait l'effet d'une pourriture ! Ils ont été pourris: tu sais, comme les fruits, comme quand on met un fruit pourri à côté d'un bon – l'Angleterre est venue, elle est restée trop longtemps. Ça a pourri beaucoup. Pourri beaucoup-beaucoup; c'est difficile de guérir de ça. Autrement, ce qui n'est pas pourri est très bien.
Mais là où il y a un petit quelque chose, comme il y a dans les petits enfants et dans les animaux, un petit quelque chose qui fait comme ça (Mère imite un oisillon qui passe le bec hors du nid et regarde autour de lui), qui fait presque cui-cui-cui, oh ! éveillé, veut savoir: en Amérique. Ils ont une croûte qui est dure comme une carapace d'automobile – il faut casser ça à coups de marteau –, mais dessous, il y a quelque chose qui veut savoir. Qui ne sait rien ! rien, tout à fait ignorant, mais oh ! qui veut savoir – et c'est ça qu'on peut toucher. Ils seront peut-être les premiers réveillés.
Quelques-uns dans l'Inde, mais un mouvement plus général là-bas (en Amérique).
Tiens ! eux, ils sont par là (Mère fait un geste à droite). Mais pourquoi sont-ils à droite ?... Ah ! sur la carte c'est comme cela ! c'est de l'autre côté de cette mer ? oui ? (Mère regarde du côté de la plage de Pondichéry) Ah ! c'est cela... Non, mais ça a affaire avec la droite – l'action. La droite, c'est l'action.
Ils sont bêtes ! Ils sont bêtes ! ils ne comprennent rien à rien, et pourtant... une flamme d'aspiration, tout d'un coup ça s'éveille. Et puis ils veulent savoir, ils veulent chercher, ils veulent trouver, ils veulent connaître, ils veulent... Ça fait comme ça (Mère clignote des yeux comme l'oisillon qui s'éveille), ça vibre et ça cherche.

 

Ils ont su rester très enfants.
Très enfants. Mais c'est charmant. C'est charmant.
(silence)
Tout ça, c'est pour la prochaine centaine d'années. Il va y avoir des changements.
(silence)
1900 ?... Eh bien, oui, c'est en 2000 que ça prendra une orientation claire. Tu seras encore là.
Je n'en sais rien !
Non, je ne parle pas de ce que l'on est quand on est « mort à la mort », je ne parle pas de ça. Je parle normalement, physiquement – combien de temps faut-il pour deux mille ?
Euh...
Pas beaucoup, quarante ans. Trente-sept ans.
Oui, c'est rien ! C'est rien, c'est une minute – tu seras là de toutes façons, même sans mourir à la mort. Tu verras ça. Oui, oui, c'est bientôt.
Toi aussi, tu seras là.
Ça, j'ai toujours été et je serai toujours, ça ne fait pas de différence.
(très long silence)
Il y a un moment où on se dira: « Tu te souviens, en telle année, on croyait qu'on faisait quelque chose ! » (Mère rit)
Je me suis trouvée tout d'un coup, comme ça, projetée en avant: «Tu te souviens, là-bas (et c'est toujours à gauche – tiens, pourquoi ?...) tu te souviens, là-bas, oh ! on croyait qu'on faisait quelque chose, on croyait qu'on savait quelque chose ! ! »
C'est amusant.
(très long silence)

 

Oui, dans la conscience ordinaire, c'est comme un axe, et tout tourne autour de l'axe. Un axe qui est fixé quelque part, et tout tourne autour de l'axe – ça, c'est la conscience individuelle ordinaire. Et si ça bouge, on se sent perdu. C'est comme un grand axe (il est plus ou moins grand, il peut être tout petit), c'est planté tout droit dans le temps, et tout tourne autour. Ça s'étend plus ou moins loin, c'est plus ou moins haut, c'est plus ou moins fort, mais ça tourne autour d'un axe. Et maintenant, pour moi, il n'y a plus d'axe.
J'étais en train de regarder – il n'y en a plus, parti, envolé !
Ça peut aller là, ça peut aller là, ça peut aller là (geste aux différents points cardinaux), ça peut aller en arrière, ça peut aller en avant, ça peut aller n'importe où – il n'y a plus d'axe, ça ne tourne plus autour de l'axe. C'est intéressant.
Je pense que tu n'y comprends rien ! (Mère rit)
C'est une intéressante expérience. Plus d'axe1.
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