18 août 1962
(À propos du nouveau livre sur Sri Aurobindo, Mère prévoit qu'il faudra faire encore beaucoup de coupures et que, au fond, le but, c'est surtout d'empêcher que l'éditeur ne confie ce livre à n'importe quel ignorant. Et Elle ajoute:)
... Mais tu comprends bien qu'ils ne peuvent pas saisir ça, ces gens-là, c'est un mur fermé ! Ce n'est même pas des portes de bronze: c'est fait avec des briques et du ciment – on ne passe pas au travers.
Pauvre Sri Aurobindo !
Mais ce qui est arrivé ici, à Pondichéry, il n'y a pas besoin d'en mettre très long. Parce que, à partir du moment où il s'est retiré (à vrai dire, c'est à peu près au moment où on a changé de maison, de là-bas ici2), sa vie n'appartient plus au public. Et ce qui s'est passé... eh bien, ce sera intéressant dans une centaine d'années. Pas maintenant3.
*
* *
1. Il existe un enregistrement de cette conversation.
2. Sri Aurobindo s'est retiré en 1926, mais c'est en 1928 qu'il a quitté l'aile gauche de l'Ashram pour s'installer définitivement dans l'aile droite.
3. Nous n'avons pas conservé l'enregistrement de ce début.

 

(Puis Mère parle de la méditation collective du 15 août à l'occasion du quatre-vingt-dizième anniversaire de Sri Aurobindo:)
Le 15, mon petit, nous avons eu une méditation ici à dix heures1. À partir de dix heures moins le quart, j'étais assise à la table ici, dans un silence complet. Et alors... je ne peux pas dire que Sri Aurobindo est venu parce qu'il est toujours là, mais il s'est manifesté d'une façon spéciale... Il est devenu, concrètement, dans le physique subtil, si grand qu'il était assis comme on s'assoit ici (les jambes croisées) et qu'il était assis sur tout le compound ! [l'enclos]. Ça débordait un petit peu, mais il était littéralement assis sur le compound; ce qui fait que tous les gens qui étaient en méditation, dans la mesure où ils n'étaient pas fermés, étaient au-dedans de lui. Il était assis (pas sur leur tête !) comme ça, et moi j'ai senti (j'étais là, n'est-ce pas), j'ai senti la friction de sa présence dans le physique subtil – absolument une friction physique ! Et je le voyais (parce que, tu sais bien, je ne suis pas là-dedans: dans le corps), je le voyais très grand, de parfaites proportions, assis, et puis il est descendu tout doucement, tout doucement, tout doucement, et c'est cette descente qui a produit cette friction – n'est-ce pas tout doucement, afin de ne pas donner un choc aux gens –, tout doucement, tout doucement comme cela. Puis il s'est installé et il est resté là plus de la demi-heure, un petit peu plus, quelques minutes de plus, comme ça, absolument immobile, mais tout concentré sur tous les gens qui étaient là – ils étaient au-dedans de lui.
Moi, j'étais là assise, souriante, presque... presque riante, n'est-ce pas: on le sentait partout comme ça, partout (Mère touche tout son corps). Mais alors dans une paix – une paix ! une force ! une puissance ! et puis une sensation d'éternité, d'immensité, d'absolu. Une sensation d'absolu comme si tout était accompli, n'est-ce pas, qu'on vivait dans l'Éternité.
C'était compelling [irrésistible]. Il fallait être tout à fait bouché pour ne pas sentir.
Je ne dis pas qu'il n'y avait pas beaucoup de gens bouchés ! Ça, je n'en sais rien (riant), je ne leur ai pas demandé leur avis !
Et alors, après, ce n'est pas qu'il est parti tout d'un coup: c'est lentement-lentement-lentement, comme cela, comme quelque chose qui s'évapore; et puis les choses sont redevenues ce qu'elles sont, avec des concentrations ici et là, et là et là, et des activités.
1. Notons que depuis la « maladie » de Mère, en mars 62, il n'y a pas eu de darshan et il n'y aura pas de darshan avant février 1963.

 

Il y a des gens, je crois, qui ont dû sentir (peut-être pas comprendre dans cette mesure, parce qu'ils n'avaient pas la vision totale), mais ils ont peut-être senti comme s'il descendait en eux. Parce que l'après-midi, quand tout est rentré dans l'ordre (il est toujours là naturellement, mais pas de cette façon-là ! il est toujours là), tout est rentré dans son ordre habituel et il y a eu comme une espèce de vague de regret, comme quand on dit: « Oh ! cette belle chose est finie. » Ça a passé dans l'atmosphère: « Oh ! maintenant, c'est fini le 15 août, cette belle chose est finie.» Mais c'était ça, c'était cette chose si... plus que concrète, je ne sais pas comment dire, c'était... c'était avec un absolu.
Je l'ai vu comme ça dans sa lumière supramentale, très souvent; très souvent il est venu (quand j'allais au balcon, il venait; quelquefois il était au-dessus du Samâdhi, très souvent il est venu), mais ça... d'abord la proportion était formidable puisque je te dis que la base assise débordait le compound, et puis il s'était matérialisé de façon à être senti physiquement. Et il y avait une telle assurance, une telle joie, une telle certitude, une telle confiance; tout était si sûr, si absolument certain, comme si tout était fait. Il n'y avait plus, n'est-ce pas, cette espèce d'angoisse, de tension pour que les choses se fassent.
Ça a duré à peu près trois quarts d'heure; après, les choses sont rentrées dans l'ordre habituel.
(silence)
C'était le plus joli 15 août que nous ayons jamais eu. Ça a duré trois quarts d'heure.
(silence)
La seule chose (il ne m'avait pas annoncé qu'il le ferait), mais quand on m'a dit qu'on se réunirait pour une demi-heure de méditation, tout d'un coup quelque chose en moi l'a pris très sérieusement: « Ah ! bien. » Alors j'ai tout arrangé pour la méditation. Et je me suis assise (il était à peu près dix heures moins le quart), comme cela, assise à la table – et puis ça a commencé. Ça a pris à peu près cinq minutes pour se former. Ah ! alors j'ai compris.
C'est un beau cadeau qu'il a fait.
N'est-ce pas, toute sa douceur et toute sa magnificence et tout son pouvoir et tout son calme, tout était là; et alors beaucoup plus fort, beaucoup plus clair que lorsqu'il était dans son corps !
J'avais toujours cette impression-là – dans sa chambre, c'était toujours comme cela; et j'avais toujours cette impression dès que

 

je le rencontrais. Et même pendant tout le temps que je travaillais, j'avais l'impression qu'il était là derrière moi et qu'il faisait toutes les choses. Mais ça, c'était beaucoup plus fort. Beaucoup plus fort. C'était... on était pris et puis il n'y avait pas moyen de s'en sortir. C'était comme cela. C'était UN ABSOLU.
Je n'ai rien demandé à personne, je n'ai rien dit à personne, je n'en ai pas parlé, je n'ai pas dit un mot, tu es le premier. J'ai demandé seulement à Pavitra hier, quand il est venu, je lui ai demandé avec un sourire s'il avait eu une bonne méditation. Il m'a dit oui. Alors je lui ai dit: « Eh bien, voilà, Sri Aurobindo s'est assis sur vous ! » (Mère rit) Il m'a répondu: «J'étais assis ici, en dessous, dans la chambre de Sri Aurobindo.» Alors j'ai dit: «Il était là aussi ! » (Mère rit)
Moi, j'ai été immobilisé. J'ai eu l'expérience d'être complètement immobilisé.
Ah!
Vraiment la demi-heure a passé, je n'ai pas bougé, rien n'a bougé.
C'est ça.
Rien, c'était absolument... suspendu!
Ça, c'est bien, tu en as pleinement profité.
Je n'avais jamais eu cette sensation. Quelquefois j'ai été tranquille, mais là c'était immobilisé.
Oui, immobilisé, c'est ça, c'est tout à fait bien. C'est comme cela. Voilà, mon petit1.
Alors tu comprends, tu n'as qu'une chose à faire: finir ton livre. Oui, oh ! je voudrais faire un si beau Sri Aurobindo, et puis... Ça se débride beaucoup.
1. Il existe un enregistrement de cette conversation, sauf les dernières paroles plus personnelles que nous jugions de trop.

 

Il y a encore un peu trop du vieil angle qui reste en toi, et alors c'est tout le temps à te tourmenter. Quelque chose qui est tout le temps à te tourmenter, qui est parfaitement inutile – on perd son temps à se tourmenter.
Hosted by uCoz