18 septembre 1962
Je n'en ai plus pour très longtemps à finir La Synthèse (ça va très vite) et j'ai trouvé ce que je vais faire... Ce sera quelque chose comme, justement ces cahiers (Prières et Méditations). Je vais prendre toute la partie de Savitri (pour commencer, je verrai après) à partir du colloque avec la Mort jusqu'au moment où le Seigneur suprême lui dit la prophétie pour l'avenir de la terre – il y en a long, plusieurs pages. C'est pour ma propre satisfaction.
Je vais le traduire vers par vers, avec des blancs entre chaque vers (pas mot à mot, mais vers par vers). Et après, quand j'aurai fini, je vais essayer de le ramener en français (Mère fait le geste de tirer de haut en bas).
Le but, ce n'est pas du tout pour le montrer à personne ni le faire lire à personne: c'est pour rester dans l'atmosphère, parce que j'aime beaucoup l'atmosphère de Savitri. Et ça me fera une heure de concentration comme cela, puis je verrai si, par hasard – je n'ai pas de capacités poétiques, mais justement je verrai si ça vient ! (Ce ne sera sûrement pas une mentalité organisée dans cette présente existence – pas de capacités !) Alors c'est intéressant, je verrai si ça vient. Je vais faire cet essai.
Je connais cette lumière. Chaque fois que je lis Savitri, je suis immédiatement dans cette lumière. C'est une lumière très-très jolie.
Et alors je vais voir.
Je fixerai d'abord, c'est-à-dire comment Sri Aurobindo l'a dit en anglais, avec des mots français. Puis je verrai si, SANS CHANGER, ça vient, c'est-à-dire si c'est sa même inspiration qui vient en français. Ce sera une occupation intéressante. Si je fais une, deux lignes, trois lignes par jour, c'est tout ce qu'il me faut; je passerai une heure tous les jours comme cela. Voilà.
Je n'ai pas la moindre idée. Tout ce que je sais, c'est que j'ai une grande joie à être dans cette lumière là-haut. C'est une lumière supramentale. Une lumière supramentale de beauté, n'est-ce pas, esthétique. Et très-très harmonieuse.
Alors, maintenant, ça m'est égal de finir La Synthèse. J'étais ennuyée parce que je n'ai pas d'autres livres de Sri Aurobindo qui puisse m'aider dans ma sâdhanâ: c'était seulement La Synthèse; comme je le disais, ça venait toujours à point, au moment où il fallait pour faire l'expérience.
Quand ce sera fini, je sais (je sais, je connais Savitri), je sais,

 

quand ce sera fini... alors ou bien j'en serai là ou bien ça prendra très longtemps1.
Tous les autres livres de lui qui pourraient m'aider sont traduits. Mais Savitri, ce n'est pas pour faire une traduction, c'est pour VOIR. Faire un essai. Pour me faire avoir tous les jours l'expérience du contact avec ça.
J'ai eu des expériences magnifiques quand je l'ai lu pour la première fois, il y a deux ans, je crois. C'étaient des expériences admirables ! admirables. Et depuis, chaque fois que je lis ces mêmes lignes, j'ai la même – pas la même expérience mais j'entre en rapport avec le même domaine.
Ce sera une occupation intéressante.
C'est plus intéressant que d'entendre les histoires des gens ! oh !... (Mère se cogne la tête) Voilà.
*
* *
ADDENDUM
(Voici, huit ans plus tard, les dernières lignes de Savitri traduites par Mère, datées du 1er juillet 1910, telles que nous les avons retrouvées dans son cahier:)
1.7.1970
Mais comment puis-je chercher le repos dans une paix sans fin
Moi qui abrite la force violente de la formidable Mère,
Sa vision attentive à lire le monde énigmatique,
Sa volonté trempée par le brasier du soleil de la Sagesse
Et le silence flamboyant de son cœur d'amour ?
Le monde est un paradoxe spirituel
Inventé par un besoin dans l'Invisible,
Une pauvre traduction pour les sens des créatures
De Cela qui à jamais dépasse l'idée et la parole,
Un symbole de ce qui ne peut jamais être symbolisé,
Un langage mal prononcé, mal épelé, pourtant vrai2.
(X.IV.647)
1. Voir en addendum les derniers vers de Savitri traduits par Mère.
2. Les trois vers qui suivent, jamais traduits par Mère, sont ainsi:
Ses pouvoirs sont venus des hauteurs éternelles Ils ont plongé dans le sombre Abîme inconscient Et sont sortis de là pour accomplir leur œuvre merveilleuse.

 

(Texte original)
But how shall I seek rest in endless peace
Who house the mighty Mother's violent force,
Her vision turned to read the enigmaed world,
Her will tempered in the blaze of Wisdom's sun
And the flaming silence of her heart of love ?
The world is a spiritual paradox
Invented by a need in the Unseen,
A poor translation to the creature's sense
Of That which for ever exceeds idea and speech,
A symbol of what can never be symbolised,
A language mispronounced, misspelt, yet true.
(X.IV.647)
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