6 juillet 1963
Et puis?
Il y a des textes de l'Agenda.
Encore! Mais je n'ai rien dit! Je t'ai dit qu'il fallait tout enlever.
Mais il y a des choses qu'il faut garder.
Bon.
Il y a aussi celui d'avant : ton expérience du bateau de glaise rose1...
Ah!
1. Le 29 juin.

 

Tu sais, le lendemain, j'ai revu Sri Aurobindo – c'était Sri Aurobindo, il était avec moi, mais un peu plus grand que la fois d'avant, un peu plus mince et la peau presque blanche, presque comme la mienne (pas le blanc des gens du nord, mais une espèce de blanc doré). Alors j'ai regardé et j'ai souri (parce que c'était différent n'est-ce pas!) et je n'ai rien dit, mais (riant) il m'a dit: Yes, to meet all the tastes! [oui, pour satisfaire tous les goûts!] J'ai trouvé cela admirable!
Ce jour-là, il était très occupé par l'organisation extérieure; il me demandait des renseignements et il me donnait des indications sur tout. Et il y a eu un incident (je ne sais pas encore ce que ça veut dire), il m'a dit: Oh there (et je ne peux pas me souvenir de quel pays – il s'agissait des pays et des gouvernements), Oh there, all is all right, isn't it ? [oh! là-bas, tout va bien, n'est-ce pas?] Alors je lui ai répondu: «Oui, certainement, tout va bien puisque tout le gouvernement ce sont nos gens.» Et c'était comme s'il me montrait... (la nuit, à gauche, c'est toujours l'Europe, et à droite c'est toujours l'Amérique, comme si je faisais toujours face au nord), et alors il me montrait la gauche et moi aussi je montrais la gauche, et c'était là, et c'étaient tous des gens à nous: Everything is quite smooth [tout marche sans heurts]. Mais je ne peux pas me rappeler (c'est exprès probablement); le nom du pays ou l'endroit, ou quoi, a été balayé – je n'ai pas pu me souvenir.
Mais je vois encore Sri Aurobindo, un peu plus grand que moi, et moi, penchée et souriante, faisant ce geste à gauche, et il m'a dit: «Oui», et alors je voyais – je voyais des tas de gens. Parce que c'est une chose curieuse, la vue est une vue tout à fait différente (c'est dans le physique subtil), la vue est tout à fait différente de la vue physique: on voit en même temps à des milliers de kilomètres et tout près, et la distance est impliquée seulement par une place dans l'atmosphère (comment expliquer cela, je ne sais pas), mais c'est aussi proche au point de vue de l'action que ce qui est tout près. N'est-ce pas, l'action est aussi concrète et aussi proche, mais c'est comme placé différemment (Mère montre des niveaux différents dans l'atmosphère)... Je n'y ai jamais réfléchi, mais il est probable que dans cette activité du physique subtil, nous sommes beaucoup plus grands physiquement, je crois; pourtant les proportions restent les mêmes; mais les choses sont plus petites (que Mère ou Sri Aurobindo). C'est comme monter et descendre, ça ne veut pas dire la même chose qu'ici. Et ce pays dont je parlais était à gauche, un peu... pas en arrière, un petit peu en avant et un peu plus bas, comme ça (geste).

 

Sri Aurobindo était très grand, là. Mais moi aussi, j'étais grande.
C'était juste le lendemain de cette expérience et à la même heure, mais au lieu de s'occuper d'un genre de choses, il s'occupait d'un autre: de toutes les organisations matérielles, même dans les plus petits détails, toutes les choses administratives... Je me souviens très bien de l'avoir regardé comme cela (Mère lève la tête, comme si Sri Aurobindo était un peu plus haut qu'Elle) et je lui ai dit: «Oh there, it is quite all right, it is all our people, you know. It is all our people, so everything goes smooth » [Oh! là-bas, ça va très bien, ce sont tous des gens à nous. Ce sont nos gens, alors tout marche sans heurts].
?
(Riant) Il n'y a pas d'endroit où ce soit comme cela!
Non, je ne vois pas !
Ça va venir, peut-être.
C'était peut-être prémonitoire!
C'était une très plaisante impression. Et alors, il m'a posé une question sur un détail d'organisation (mais ce n'était pas une petite chose, c'était une grande chose) et je lui ai répondu (je traduis): «Oh! je ne sais pas, je ne m'occupe pas de ça; je les laisse beaucoup faire comme ils l'entendent. Je donne seulement l'orientation générale; pour les détails, je laisse faire comme ils l'entendent.» Alors il a remué la tête en approuvant.
Je ne l'ai pas vu le lendemain – je m'attendais à le voir, mais je n'ai rien vu. J'ai vu tout à fait autre chose.
*
* *
Peu après
Depuis quelque temps (je veux dire un an, un an et demi peut-être), je vois très souvent passer de très vilaines figures, puis toutes sortes d'objets bizarres – des choses que je n'avais pas l'habitude de voir avant. Je n'avais vu de vilains êtres qu'une fois, quand j'étais avec Sri Aurobindo: j'avais attrapé dans la journée une sorte d'influenza (c'était plus vital que physique) parce que j'avais assisté

 

et, pour ainsi dire, présidé à la «fête des armes1» des ouvriers ici. Et tous avaient jeté sur moi toutes leurs misères et demandé à être protégés, soulagés, etc. – il y a une sorte de sincérité spontanée chez ces gens, et je répondais «bon jeu bon argent», sans me protéger. Je n'ai même pas pensé une minute à me protéger: je leur répondais à tous (au-dedans, naturellement). Je suis rentrée... Dans la nuit, j'ai eu une fièvre épouvantable. Et dans cette fièvre, j'étais tout à fait consciente; j'avais la fièvre que les gens appellent délire; j'ai vu ce que c'était que le délire; il y avait une quantité d'êtres du vital le plus matériel qui se précipitaient avec une violence! c'était une véritable bataille contre une armée d'êtres du vital le plus bas, le plus matériel, et de la plus grande violence – ils venaient par vagues, puis je les repoussais (probablement les gens ne peuvent pas le faire), et encore une autre vague et je les repoussais, une autre vague et je les repoussais, et ça a duré toute la nuit comme cela. J'ai eu une fièvre fantastique. Et Sri Aurobindo était là, assis à côté du lit, et je lui ai dit: «Voilà, c'est ça qui donne ce que les gens appellent le délire.» Ça attaque les régions cérébrales et c'est vraiment une bataille épouvantable. Le matin, j'ai eu une influenza qui ressemblait à de la typhoïde – je savais d'où ça venait, j'avais vu, je voyais tout, n'est-ce pas.
C'est arrivé une fois et puis c'était fini: l'atmosphère tout naturellement faisait une protection. Et cette fois-ci, c'était de même nature, en ce sens que ce sont des figures grimaçantes et des instincts très bas, des choses très laides qui viennent, et qui entrent, c'est-à-dire qu'il doit y avoir un travail qui se fait dans ce domaine et que, pour le faire, il faut qu'il y ait contact (naturellement quand j'ai mon atmosphère blanche autour de moi, ils peuvent essayer tant qu'ils veulent, ils ne peuvent pas toucher ça), mais cette fois, ils entrent. Et moi, je regarde ça (riant) avec une certaine curiosité (les premières fois, j'étais étonnée, je me suis dit: «Pourquoi est-ce que je commence à voir des choses si laides!», et puis, tout de suite, j'ai compris que c'était parce qu'il y avait un travail à faire). Je regarde ça avec une certaine curiosité, et je vois qu'il suffit de faire comme ça (comme un petit coup de plumeau), simplement un tout petit mouvement sans le moindre effort... prrt! ça fuit! avec une rapidité fantastique.
Mais j'ai vu des figures qui étaient venues avec l'intention de faire certaines suggestions – je l'ai vu (je ne sais pas quelles étaient leurs suggestions parce que cela ne m'intéressait pas et que je
1. Les ouvriers et serviteurs invoquent la présence divine dans les outils et machines.

 

balayais tout ça, et c'est parti), et je n'y attachais aucune importance, sauf que toujours je répondais de la même façon (le coup de plumeau), et je me disais: «Ce doit être en train de mettre de l'ordre quelque part!» Mais aujourd'hui, N m'a lu une lettre, et il m'a raconté l'histoire d'un garçon qui était ici – qui était très gentil, qui travaillait bien –, et puis tout d'un coup, il avait été pris de malaise et de frayeur, et il était tellement mal à l'aise que finalement il a dit: «Ma famille m'appelle, ils me veulent, il faut que j'y aille.» Et alors (je ne sais pas quand c'est arrivé, c'était il y a quelque temps), il a écrit qu'il est arrivé chez lui et qu'au bout d'un certain temps (je ne me souviens plus des détails), il a fini par savoir qu'un magicien faisait régulièrement de la magie noire contre lui (il voyait des vilaines figures, de l'encens qui brûlait, toutes sortes de petits gestes bizarres – il racontait cela ici – et il était très affecté), et enfin que ce magicien – qui était, je crois, plus ou moins en rapport avec la famille! – faisait ça régulièrement pour le faire partir de l'Ashram. Alors il a été trouver le magicien, ou plutôt quelqu'un a été trouver le magicien et lui a dit: «Maintenant ce garçon est revenu, vous n'avez pas besoin de continuer, il est ici, il n'y a plus de raison...» Et à partir de ce moment-là, immédiatement, tout a disparu: tout son malaise, toutes ses visions. Enfin, une preuve évidente que c'était le travail de ce magicien qui l'avait mis dans cet état, et que, dès que le magicien retirait son travail, ça cessait.
N'est-ce pas, j'ai vécu des années, on sait que ces choses-là existent, mais je n'y attachais aucune importance parce que ça me paraissait n'avoir aucune force... Et en effet, ça ne m'a jamais touchée (il y a eu des tantriques qui ont fait de la magie et qui sont arrivés à me rendre malade, mais cela avait un tout autre caractère; l'histoire de ce garçon, c'est dans le domaine vital le plus matériel, le plus bas, n'est-ce pas), et c'est seulement dernièrement que j'avais remarqué ces manigances (qui ne me faisaient aucun effet – c'était comme si, sur un écran de cinéma, on faisait passer des images qui ne sont pas jolies; je disais: «À quoi ça sert?», c'est tout). Tout de même je nettoyais, par habitude. Mais alors, quand j'ai appris cette histoire, j'ai pensé: «Eh bien, je dois être en train de donner de bonnes leçons à tous ces gens qui font de la sale magie!»
C'est-à-dire qu'un domaine après l'autre, une difficulté après l'autre, un des obstacles après l'autre (qui sont ou subconscients ou dans la conscience la plus matérielle ou dans le vital le plus bas), tout ça vient pour une ACTION. Et c'est une action qui est très

 

continue, qui est variée; et même quand une autre chose (une autre difficulté, un autre problème) est plus en avant, domine davantage dans la conscience, tout est là (dans l'atmosphère autour), et tout le temps il y a cette Lumière (Mère fait un geste de nettoyage de l'atmosphère) que j'ai toujours eue – dont je suis devenue tout à fait consciente avec Madame Théon qui m'a dit ce que c'était –, que j'ai toujours gardée, qui est une Lumière blanche absolument pure, mais d'une blancheur si éclatante que les yeux ne peuvent pas la regarder, et qui est...
(long silence. Mère part dans cette Lumière, les yeux clos)
Je dirai ce qu'elle est, plus tard.
Mais en tout cas, c'est de cette force dont Dourga se sert. Et c'est la force qui est INVINCIBLE pour les asouras – c'est comme cela. Ce qu'elle est... on le saura plus tard.
(silence)
Mais ce n'est pas la Victoire totale, non. Ce n'est pas le pouvoir de transformation.
Je t'avais dit l'autre jour, peut-être, qu'une de mes activités maintenant consistait en une sorte de concentration consciente sur un individu ou un autre, une chose ou une autre, pour obtenir le résultat voulu. Pendant des années et des années, la Volonté et la Force agissaient d'en haut, et l'être conscient extérieur (de Mère) ne s'occupait plus de rien sachant que cela ne pouvait que compliquer les choses et pas aider, et que la Force, laissée à elle-même, directement sous l'Impulsion suprême, faisait les choses beaucoup mieux, beaucoup plus exactement. Mais depuis quelques mois, il y a une volonté et une tendance qui font que l'être matériel (de Mère) participe consciemment à des détails d'exécution. Et il est d'une sorte d'obéissance passive, ce qui fait que quand ça a été vu (la nécessité de l'intervention matérielle de Mère), ça a commencé. Et un cas s'est présenté dernièrement; il s'agit d'un très bon ami de l'Ashram, un homme qui occupe une position importante et qui était très-très utile. Il a dû être opéré (je ne vais pas raconter toute l'histoire, ce serait trop long), et on recevait deux, trois dépêches par jour et c'était suivi pas à pas. Il y avait une force très puissante de destruction – c'était une lutte très âpre –, et il y avait une volonté de le conserver, parce que, dans ce corps-ci, il avait été très utile et il continuait d'être très utile et il pouvait encore être très utile. Il avait une grande foi, une grande confiance, et il était conscient (une cons-

 

cience très suffisamment développée: je le voyais constamment; constamment il venait à moi). Il est tombé entre les mains d'un charcuteur; enfin, ça a été misérable. Pourtant, alors que tout le monde s'attendait à ce qu'il s'en aille, il tenait le coup et constamment il disait (on avait des nouvelles par son fils), il sentait que c'était moi qui le faisais vivre. Et alors je voyais même ce qu'on aurait dû faire et j'envoyais constamment la formation, la pensée: «Mais c'est ça, c'est ça qu'il faut faire», avec insistance. Finalement on a attrapé la pensée, mais je crois (je ne sais pas parce que je ne connais pas les détails, les petits détails matériels), probablement ça n'a pas été fait comme il fallait – c'est pour cela que je dis que ce doivent être des charcuteurs. On lui a donc fait trois opérations coup sur coup; il a subi ça et, après, il est venu me trouver (il venait très souvent – on disait tout le temps qu'il était drowsy, en demi-coma; ce n'était pas cela: il vivait intérieurement), il est venu me trouver et il était tout à fait conscient comme d'habitude, mais il m'a dit: «Je crois que mon corps est définitivement abîmé et si maintenant je survis, ce corps, au lieu d'être une aide et un moyen de travail, va être un empêchement, un encombrement, une difficulté, et je viens demander à être libéré – je préfère entrer dans un nouveau corps.» Je lui ai répondu tout de suite: «Mais tel que tu es, tu es utile, très utile; la situation que tu occupes fait que tu es très utile; tu es tout à fait conscient; ce serait bien que tu puisses te rétablir.» Alors il a écouté, il a insisté encore un peu, j'ai insisté aussi, puis il est parti.
Le lendemain matin, il était beaucoup mieux; j'espérais qu'il avait pris la décision de rester, mais on n'a pas eu de nouvelles pendant à peu près vingt-quatre heures, et puis, subitement, on a appris qu'il ne respirait plus, on lui donnait de l'oxygène. Puis il est parti.
Et j'ai vu si clairement: s'il avait consenti... (naturellement l'âme de chaque être est libre; elle est libre de décider), mais s'il avait consenti à rester, j'aurais eu le pouvoir de le maintenir, de garder le corps en état suffisant pour qu'il puisse vivre, MAIS JE N'AVAIS PAS LE
POUVOIR DE RÉPARER LE DOMMAGE QUI ÉTAIT FAIT – ça, ce n'est pas
encore là.
Ça m'a donné l'exacte mesure. Ce n'est pas encore là. La transformation, ce n'est pas encore là.
C'est-à-dire que ce n'est pas quelque chose qui est POSSÉDÉ de telle façon que je puisse le passer à quelqu'un. Beaucoup d'autres pouvoirs sont possédés et peuvent être passés à celui-ci, celui-là, mais ça...
Maintenant je vais essayer (je dis toujours «essayer» parce que...

 

parce qu'il y a toujours des oreilles malveillantes qui écoutent!») enfin le prochain pas, c'est de lui donner une nouvelle demeure. Ça, c'est dans le domaine des choses non seulement faisables mais qui sont faites tout le temps.
Il était très conscient, il avait une jolie foi. C'était un homme actif, très énergique (un petit homme). Actif! très énergique, d'une grande autorité, oh!... L'idée d'être à la merci de gens qui seraient obligés de le soigner... il a préféré partir. Il était suffisamment conscient pour savoir que l'essence de son être, l'essence de son expérience n'est pas perdue – mais il y a tout de même tout ce que l'on a construit matériellement petit à petit, et dans son cas surtout, sa position qui est le résultat de toute une vie. Je ne sais pas...
Recommencer dans un petit bébé?... (Mère secoue négativement la tète) C'est bien cela, n'est-ce pas; quand Sri Aurobindo est parti, il a dit: «Je reviendrai dans un être formé d'une façon supramentale – entièrement conscient, ayant ses pleines capacités1
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