8 mai 1965
(À chaque entrevue, Mère traduit un vers de «Savitri» qu'on lui copié en gros caractères. Cette fois-ci, il s'agit du dialogue entre la Mort et le cœur de Savitri:)
And never lose the white spiritual touch
(Mère répète)
And never lose the white spiritual touch1 Sans jamais perdre le blanc contact de l'Esprit
(silence)
Hier, j'ai lu avec H la série des expériences de Savitri quand elle commence par l'annulation: Annul Thyself so that God alone exist (je ne me souviens plus, mais c'est l'idée). «Annule-toi pour que Dieu seul existe2.» Ça commence par l'annulation, puis elle a l'expérience d'ÊTRE le Tout, c'est-à-dire d'être le Suprême (le Suprême en elle) et d'être toute la Manifestation, toutes choses. Il y a trois passages. C'est absolument... une description absolument merveilleuse. C'est extraordinaire de beauté3.
C'est un chapitre qui n'a pas de titre.
(Mère cherche en vain le passage dans «Savitri»)
D'abord, elle rencontre son âme: une maison de flammes. Elle entre dans la maison de flammes et se joint à son âme (The finding
1. It can drink up the sea of All-Delight
And never lose the white spiritual touch (X.III.635)
Il [mon cœur] peut boire tout l'océan de Félicité Sans jamais perdre le blanc contact de l'Esprit.
2. Annul thyself that only God may be. (VII.VI.538)
3. The world of unreality ceased to be... She was a single being, yet all things
The world was her spirit's wide circumference (VII.VII.554,56)
Le monde de l'irréalité cessa d'être...
Elle était un seul être et pourtant toutes choses
Le monde était la vaste circonférence de son esprit.

 

of the Soul, vii.v). C'est après cela. Après, c'est le Nirvana (Nirvana and the Discovery of the All-Negating Absolute, vii.vi). Elle entre en Nirvana: elle n'est plus qu'une ligne violette dans le Néant1. Puis elle se retrouve dans son corps – c'est là que ça commence. Un chapitre sans titre (vii.vii). Je trouverai une autre fois.
(Mère abandonne le livre)
C'était une révolution dans l'atmosphère, c'est pour cela que je t'en parle. Parce que toutes les expériences décrites sont justement les expériences que j'ai. Et alors, dans le corps, tout d'un coup... J'étais là-bas dans la salle de musique, et H me lisait, puis quand elle a eu fini de lire, tout d'un coup, tout le corps s'est dressé dans une aspiration et une prière d'une intensité! n'est-ce pas, c'était une angoisse épouvantable: «Voilà, toute l'expérience est là (en Mère), complète, totale, parfaite, et parce que ça a vécu trop longtemps (le corps), ça n'a plus le pouvoir d'exprimer.» Et ça disait: «Mais Seigneur, pourquoi? Pourquoi, pourquoi Tu m'enlèves le pouvoir d'exprimer parce que ça a pris trop longtemps?» C'était une sorte de révolution dans la conscience du corps.
Les choses vont beaucoup mieux depuis, beaucoup mieux. Il y a eu un changement décisif.
N'est-ce pas, c'était exactement la description de l'état dans lequel le corps se trouve, et pourtant il a le sentiment d'être tout le temps fragile, en équilibre instable. Et alors, avec toute son aspiration, il a dit: «Mais POURQUOI? pourquoi?... Voilà, l'expérience est là – pourquoi ça n'exprime pas?»
Comme toujours (riant), j'ai eu l'impression que le Seigneur riait et me disait: «Mais puisque tu le veux, ce sera comme cela!» Pour me dire simplement: c'est toi qui CHOISISSAIS d'être comme cela.
Et c'est tout à fait vrai. Toutes nos incapacités et toutes nos limitations, toutes nos impossibilités, c'est cette Matière imbécile qui les choisit – pas avec intelligence mais avec une sorte de sentiment que ça «doit être comme cela», que c'est «naturellement»
1. Unutterably effaced, no one and null, A vanishing vestige like a violet trace, A faint record merely of a self now past, She was a point in the unknowable. (VII.VI.549)
Indiciblement effacée, personne et nulle,
Un vestige disparaissant comme une trace violette.
Une vague mémoire simplement d'un moi maintenant disparu,
Elle était un point dans l'inconnaissable.

 

comme cela. Une adhésion – une adhésion imbécile – au mode de la nature inférieure.
Alors ça a été du rire, des larmes, toute une révolution, et tout allait bien après.
Mais personne au monde ne pourra me convaincre que ce n'est pas parce que cette nature matérielle choisit d'être comme cela qu'elle est comme cela.
Et le Seigneur regarde, sourit, attend... (riant) que son imbécillité lui passe.
Il fait tout ce qu'il faut, mais... on n'en tient pas compte.
C'est le ressort de la foi qui n'est pas là, cette fameuse foi dont Sri Aurobindo parle toujours.
Quand les gens m'écrivent de longues lettres (j'en reçois des lettres! tout le temps des jérémiades: la santé ne va pas, le travail ne va pas, les relations ne vont pas – des jérémiades tout le temps), et toujours je vois cette Conscience-là, derrière, lumineuse, splen-dide, merveilleuse – solaire, n'est-ce pas –, exactement l'air de dire: «Quand est-ce que ça te passera, cette manie!» La manie du tragique et de l'inférieur.
Quelque part dans la raison, on comprend – ce n'est pas que la raison ne comprenne pas, mais cette raison n'a aucun pouvoir de faire obéir cette matière.
Et à chaque minute, j'ai le sentiment du choix, maintenant, entre la victoire et la défaite, le soleil et l'ombre, l'harmonie et le désordre, la solution facile... vraiment, le confortable ou l'agréable et le désagréable; et que si l'on n'intervient pas avec autorité, c'est une sorte de... oh! ça tient de la lâcheté et de la veulerie: c'est quelque chose de flasque – tu sais, flasque, sans ressort.
Quand on parle comme cela, c'est très simple et ça paraît très facile, mais c'est à chaque minute que l'on est entre trois possibilités (généralement trois) pour le corps: l'évanouissement ou la souffrance aiguë, le mouvement mécanique indifférent, ou la Maîtrise glorieuse. Et il s'agit de se laver les yeux, de se laver la bouche, de toutes les petites choses absolument indifférentes (dans les grandes choses, ça va toujours bien parce que la nature a l'habitude de penser qu'en face des circonstances il faut se tenir «convenablement» – tout cela est ridicule; mais dans les petites choses c'est comme cela). Alors la tête tourne, et hop!... Et on voit – on voit avec une précision extrême – les trois possibilités, et si l'on n'est pas tout le temps attentif (geste poing fermé, d'autorité et de contrôle), la nature physique avec une veulerie mais repoussante, n'est-ce pas, absolument dégoûtante, se laisse aller.

 

Ça se répète des centaines et des centaines de fois par jour... Ce qui fait que si l'on n'appelle pas ça «sâdhanâ», je ne sais pas ce que c'est qu'une sâdhanâ! N'est-ce pas, le repas est une sâdhanâ, le sommeil est une sâdhanâ, la toilette est une sâdhanâ, tout est une sâdhanâ. Ce qui est le moins une sâdhanâ, c'est, par exemple, de recevoir quelqu'un, parce que immédiatement le corps se tient bien tranquille – il appelle le Seigneur et il dit: «Maintenant, sois là», alors tout va bien (parce qu'il se tient tranquille). Le visiteur vient, le corps sourit, tout va bien – le Seigneur est là, n'est-ce pas, alors tout se passe très bien. Mais quand il s'agit de choses que l'on appelle «matérielles», les choses de la vie courante, c'est un enfer, à cause de cet imbécile.
L'autre jour quand tu es parti, je n'ai pu rien prendre! Je n'ai pas pu manger, parce que le corps sentait qu'il se diluait dans le monde comme cela (geste répandu); alors il se diluait (c'est très bien, l'expérience va bien), seulement il avait l'impression qu'il ne pouvait pas manger – pourquoi? je ne sais pas. Et ça a été impossible. Le docteur qui était là comme toujours pour mes repas, a dit. «Qu'est-ce qu'il y a?...» (parce que le jour d'avant, il y avait eu une attaque, une sorte de malice: des vomissements; ça m'arrive une fois tous les six ou sept ans; une histoire à longue échéance; et c'était sérieux, mais ça n'a pas duré longtemps). Mais l'autre jour, c'était autre chose: l'impression que le corps se diluait (tu te souviens, tu disais que j'étais blanche), et quand il s'est agi de manger, le corps a dit (Mère prend un ton gémissant) : «Je suis comme cela, je ne peux pas manger.» Si j'avais eu un peu de temps (riant), je lui aurais donné une bonne claque et dit de se tenir tranquille! Mais je n'avais pas le temps, c'était l'heure et il fallait que je m'asseoie et que je mange – je n'ai pas pu manger. Alors j'ai eu des difficultés toute la journée, parce que naturellement ce sont des plaisanteries qui rendent la vie difficile.
Mais ce qui, pour les gens, est inconscient et qu'ils ne comprennent pas ou qu'ils appellent «maladie», pour moi c'est clair comme le jour; et c'est toujours un CHOIX, il y a toujours un choix à chaque minute (pour la nature matérielle), et si la volonté n'est pas inébranlable, si l'on n'est pas branché avec un acharnement à toute épreuve sur la Volonté supérieure, on se laisse aller; et puis il devient imbécile: il s'évanouit, il a des douleurs... Ce même jour (où je n'ai pas pu manger), après le repas, je me repose toujours pendant un certain temps pour... enfin, ce sont les heures où je mets le corps en réception directe de la Force (ce n'est pas très long, je n'ai pas beaucoup de temps), mais dès que j'ai été étendue

 

sur la chaise-longue, des douleurs! des douleurs à vous faire hurler, qui vous prennent... (geste à la taille) aux endroits qui sont ouverts aux attaques adverses. J'étais couchée, mais là j'étais tout à fait consciente, je me suis dit: «Oui, ah! tu veux que je fasse le grand jeu maintenant... Eh bien, je supporterai tout et je ne dirai rien – et je ne bouge pas, et tu vas rester tranquille.» Alors j'ai commencé à répéter mon mantra tranquillement, comme s'il n'avait pas mal. Et au bout d'un moment, c'est parti. Il a vu que ce n'était pas la peine, et c'est parti!
Et je SAIS que c'est pour tout comme cela, pour toutes les «maladies», sans exception. Je vois, je connais les «origines» des maladies, des différents désordres, tout cela maintenant est clair-clair (c'est une histoire que l'on pourrait raconter pendant des heures et des jours), et c'est comme cela. Alors, quand d'une façon plus ou moins dogmatique ou littéraire, les sages disent: «Le désordre, c'est parce que la nature a décidé d'être en désordre», ce n'est pas si bête que cela.
C'est... oh! une veulerie qui est l'une des choses les plus contraires à la Gloire divine. La veulerie qui accepte d'être malade, voilà. Et je dis cela au corps, à personne d'autre – les autres, ce n'est pas mon affaire, c'est leur travail, ce n'est pas le mien; c'est-à-dire que je ne suis présente qu'en tant que Conscience divine, et alors là c'est très facile, c'est un travail très facile; mais le travail ici... la sâdhanâ là-dedans.
Mais les gens malades... quand je leur dis: «Soyez sincères», je sais ce que je veux dire: si VRAIMENT ils veulent le Divin, tout ça doit cesser. Voilà.
Je me suis encore mise en retard1!
Tu sais ce que l'on appelle self-pity? (Mère se caresse la joue): «Pauvre petit, comme tu souffres, comme tu es à plaindre!» Eh bien, la nature matérielle est comme cela, elle dit: «Je me veux comme Toi, Seigneur; alors comment, Tu me laisses dans cette condition!» – Une bonne claque et marche!
1. Il existe un enregistrement de cette conversation. Le dernier paragraphe a été omis.

 

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