7 septembre 1966
J'ai perdu tout espoir d'être à l'heure... C'est inutile, tous les jours la même chose.
Et ils me font travailler (les secrétaires) comme un forçat; ce n'est pas que je suis tranquille comme cela à écouter...
Et ce n'est pas de la mauvaise volonté – oh! s'ils étaient de mauvaise volonté, ce serait très facile, je les flanquerais dehors!
J'ai songé à leur envoyer une lettre, je leur ai même écrit une lettre, que je n'ai pas envoyée2. Je le regrette, cela aurait eu un
effet.
Je ne crois pas! Je ne crois pas, parce que je leur ai dit, moi, tout ce que je pouvais leur dire; je leur ai même dit que cela me rendait malade... Ils n'ont pas la force de résister: c'est le courant du monde extérieur et ils n'ont pas la force de résister.
Et je fais aussi vite que je peux, ce n'est pas que je m'endorme!... Avec la transformation, est-ce que l'on aurait le pouvoir de faire tout ce travail en moins de temps?
On aurait peut-être le pouvoir de faire comprendre aux gens qu'il ne faut pas te faire perdre ton temps!
1. Il existe un enregistrement de la fin de cette conversation.
2. Dans cette lettre jamais envoyée, le disciple tentait ingénument de faire comprendre aux secrétaires que ces conversations avec Mère pouvaient avoir une importance pour le monde entier et que si Mère était une heure en retard pour l'entrevue et fatiguée par un monceau d'inutilités et de petites histoires personnelles, ce n'était pas une atmosphère propice pour reprendre le fil de son expérience. Mais le disciple a bien vu qu'il était inutile d'insister sur ces évidences et qu'on aurait tout simplement pensé qu'il agissait pour «se mettre en avant». Ainsi soit-il. (Cette note a été écrite en 1966.)

 

C'est la notion d'utilité qui n'est pas la même (chez Mère et chez les secrétaires).
*
* *
(Aussitôt après, Mère range des fleurs et en met une de côté pour le caissier de l'Ashram.)
Je n'ai pas d'argent non plus. Je lui dois 15.000 roupies et le pauvre homme doit payer tous les loyers... J'ai des dettes partout! (Mère rit)
C'est comme cela, ça ne fait rien!
Dans le temps, quand il y avait des difficultés d'argent, j'avais toujours de l'argent d'ici ou de là, c'était facile: je le prenais, et dès que l'argent venait, je le remettais. Mais maintenant, ça ne marche plus! À Amrita, je dois 20.000 roupies; à H, je dois 13.000 roupies; au caissier, je dois 15.000 roupies. C'est comme cela. Ça ne fait rien, je n'y attache pas d'importance.
Nous avons un budget formidable; nous avons un budget de petit village – non, de petite ville. C'est un budget de 26 lakhs de roupies1 par an, tu comprends. Et alors, tous les gens qui me donnaient de l'argent (des gens qui avaient des affaires, etc.), ils sont tous ruinés par les actions admirables du gouvernement. Alors ils ne peuvent plus me donner. Ils donnent ce qu'ils peuvent, ils sont très gentils, ils font de gros efforts, mais...
Il n'y aurait plus que les chenapans qui pourraient me donner de l'argent! (Mère rit) Ceux-là, ils ont beaucoup d'argent, qu'ils ont volé partout, mais ils ne veulent pas le donner!
Ça ne fait rien, c'est un temps comme cela.
Il y a une espèce de vent, comme un grand souffle de confusion; d'une confusion très obscure qui manque totalement d'intelligence. Il semble que partout, le discernement, la clairvoyance, même un bon sens éclairé, aient disparu. C'est une période à passer.
La richesse ne dépend pas de la quantité d'argent que l'on a: elle dépend de la proportion entre cet argent et les dépenses que l'on a à faire. Pour de pauvres bougres qui n'ont pas de responsabilités, excepté eux et leur famille, je serais extrêmement riche. Facilement, je reçois mille roupies par jour – il m'en faut sept mille! J'en dépense sept mille et j'en reçois mille, c'est la proportion.
Il faut agir sur les chenapans!
1. Un lakh = cent mille roupies (environ cinquante mille francs actuels).

 

(Mère rit) Tu sais, ils sont nombreux ceux qui mettent de l'argent dans leurs murs (ils le cachent avec des rideaux ou des papiers). Il y a une fortune, il y a plusieurs crores de roupies: des millions qui sont cachés dans les murs! Et alors, ils se tracassent, ils se font un mauvais sang terrible, ils ont tout le temps peur d'une descente de police; tandis que s'ils le donnaient, ils deviendraient des gens très respectables! ils n'auraient plus peur, ils auraient une vie paisible... J'ai la possibilité de dire que ce sont des dons anonymes, comme dans les temples; alors c'est une façon de se faire une honnêteté, ce serait très avantageux pour eux, mais ils tiennent à leur argent plus qu'à leur vie! J'ai dit plusieurs fois (je connais des gens qui ont de l'argent caché dans leurs murs), j'ai dit, par des intermédiaires, qu'ils n'avaient qu'à mettre ça dans une valise et venir le déposer devant ma porte. Et je dirai que c'est un don anonyme, c'est tout. Et ils seront libres – non seulement libres, mais (souriant) avec une bénédiction, parce que c'est pour le travail divin... Non, ce sont des prisonniers, ils sont prisonniers de leur argent.
Et ce qui est assez intéressant, c'est que tous ceux (jusqu'à présent sans exception) qui ont eu l'occasion de me donner de l'argent et qui n'ont pas voulu – qui n'ont pas voulu par attachement pour leur argent –, l'ont perdu. Ça a été pris, ou par le gouvernement ou par une catastrophe financière ou par une catastrophe industrielle, ou simplement par un vol – perdu.
Il y a très longtemps de cela (Sri Aurobindo était encore ici), un vieux financier tamoul était venu avec sa femme ici. Il a vécu très longtemps; la femme est morte et lui, est resté. Et il donnait de l'argent: il payait ses dépenses, il faisait des petits cadeaux comme ça, mais il était très riche. Et quand sa femme est morte, il s'est dit: «Ah! si je donnais tout ce que j'ai.» Puis il a eu des pensées plus raisonnables: «On ne sait pas: l'Ashram peut cesser...» Et il a laissé son argent avec des parents à lui qui étaient banquiers ou je ne sais quoi, et... pfft! tout parti. Alors lui-même a dit: «Voilà ma folie! je ne l'ai pas, de toutes façons je n'ai pas cet argent; si je l'avais donné, j'aurais eu le mérite de le donner; maintenant je n'ai ni l'argent ni le mérite!» (Mère rit)
Ah! qu'est-ce que tu apportes? Des «Entretiens» pour le Bulletin? de quoi s'agit-il?
Un Entretien sur l'argent!
Ah! tu vois!
(le disciple lit cet Entretien, puis Mère commente)

 

C'est pour cela que je t'avais parlé d'argent, tu vois comment c'est1.
Oui, c'est curieux!
C'est amusant.
Je dis «c'est amusant», mais je le sais, c'est tout le temps comme cela – tout le temps, tout le temps, pour tout. Je suis dans un état de... (comment dire?) d'immobilité contemplative, avec cette espèce d'aspiration constante vers... vers la Perfection qu'on veut avoir: c'est Ça qu'on veut faire descendre dans ce monde. Et c'est tout. Et alors, de tous les côtés, de partout-partout, il vient toutes sortes de choses (geste de communication) : tout d'un coup, je pense à ça, ou tout d'un coup, j'ai une réponse à ça, tout d'un coup... Et immédiatement, quand le travail est fini, je vois: c'est resté (geste au front) tranquille, immobile, même pas intéressé. C'est comme un transmetteur – récepteur-transmetteur – dans un poste de téléphone. Et simplement, je transmets. Mais je n'ai même pas la curiosité de savoir pourquoi ceci ou cela est venu. C'est comme cela: ça va, ça vient; la réponse va, la transmission, puis la réponse; et puis tout reste tranquille (geste au front). Alors je sais comment les choses se passent, mais comme je ne me dis pas: «Tiens, c'est à cause de ça ou ça ou ça», quand la preuve extérieure vient, c'est amusant! (comme cet Entretien sur l'argent)
C'est une chose curieuse... L'état de conscience des cellules du corps est comme une sorte de soif aiguë, constante, pour... ce qui doit être: la vibration d'Harmonie, de Conscience, de Lumière, de Beauté, de Pureté. Ça ne se traduit même pas par des mots, mais c'est... une aspiration, et rien que ça. Rien que ça, pas autre chose. Et alors (dans cette aspiration silencieuse), ça vient comme ça, de tous les côtés. Et ce qui est assez curieux, c'est qu'il y a aussi des douleurs, des malaises, des apparences de maladie – et tout vient du dehors. Et avec la même réponse toujours (geste de Descente): mettre la Conscience divine – mettre la Conscience divine – sur tout; la Conscience qui contient la Paix, la Lumière, la Force...
1. Nous n'avons pas conservé l'enregistrement du début de cette conversation; seulement ce qui suit.

 

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