21 décembre 1966
(Mère commence pur lire son «message» pour l'année 1967:)
Men, countries, continents! The choice is imperative: Truth or the abyss.

 

(traduction)
Hommes, nations, continents! Le choix est impératif: c'est la Vérité ou l'abîme.
* *
Tu n'as rien à me dire?
Je me suis demandé comment une expression fausse (parce que c'est faux, je sens que toute cette expression est fausse), comment est-ce que cela peut valoir de sauver cette expression fausse? Est-ce la peine de corriger, faire tout ce travail, puisque je sens que cette expression n'est pas la vraie expression? Ça peut être utile quand même?
Le problème n'est pas comme cela.
Tu as dû certainement observer deux choses: d'abord, des différences de condition pendant que tu écrivais, et aussi une différence de «pression» entre les choses qui voulaient que tu les écrives. Quand tu écrivais, tu as dû noter ces différences?
Oui, sûrement
C'est cela. Et alors, une fois que c'est objectivé sur le papier, tu peux te rendre compte de la relation entre la pression que tu recevais et les choses que tu as écrites, qui ont des qualités différentes. Par exemple, quand tu m'as lu ces quelques pages, pour certaines choses, je voyais la Lumière derrière; pour d'autres, c'était comme une origine ou une volonté horizontale (geste horizontal au niveau du front), et c'était très joli, c'était très bien (n'est-ce pas, je ne me place pas du tout au point de vue littéraire ni même au point de vue de la beauté de la forme, ce n'est pas cela). C'est la qualité de la vibration dans ce qui est écrit. Et quand tu me lisais, je sentais les deux origines, et je sentais une espèce de conflit entre ce qui venait comme ça (geste d'en haut) et ce qui venait comme ça par habitude (geste horizontal, au front) : c'était surtout une vieille habitude, quelque chose qui venait du passé et qui était dans un domaine mental, artistique, littéraire (ce qui aime la forme, ce qui aime certaines émotions, certaines expressions, tout cela), et tout cela formait tout un monde horizontal qui faisait une pression

 

pour s'exprimer: beaucoup par habitude, mais aussi avec une sorte de volonté d'être, de volonté de continuer. L'autre, c'était une Lumière qui tombait et qui s'exprimait tout naturellement – spontanément, sans effort, et SANS SOUCI DE LA FORME EXTÉRIEURE. Et c'était beaucoup plus direct dans son expression. Seulement, n'est-ce pas, ce n'est pas nettement tranché et facile à dire: «Oh! ceci vient comme cela (geste à un certain niveau), oh! cela vient comme cela (geste à un autre niveau). » Mais il y a un mouvement qui est en dessus et l'autre qui est en dessous.
Alors je pense que la «sadhana» consisterait à faire le tri, ou plutôt à développer une sensibilité telle que les différences deviendraient claires, tout à fait perceptibles, et alors ce n'est plus le mental qui aurait à choisir, à dire: «Ceci va; cela ne va pas», ce serait spontanément l'adhésion à ce qui revêt cette lumière d'en haut et le rejet de ce qui ne la revêt pas. Et la sadhana consisterait à développer cette sensibilité en se séparant de l'ancien mouvement, en mettant hors de soi le vieux mouvement.
Je comprends très bien, ta lettre a été une grâce pour moi en ce sens que j'ai vu clair. J'ai vraiment vu clair. Seulement, c'est tout le livre qui me semble... inadéquat.
Oui, je crois que c'est tout le livre qui est comme cela. Je ne sais pas, parce que tu ne m'as pas tout lu, mais dans ce que tu m'as lu, même, par exemple, dans cette notation de rêve, même là, de temps en temps, je sentais l'intrusion de la vieille habitude.
Mais alors, est-ce que ça vaut la peine de sauver tout cela? Il faudrait recréer le livre.
Tu veux dire qu'il vaudrait mieux en réécrire un autre? Oui.
Je te l'ai dit: «Le livre DOIT être écrit», mais ce n'est pas forcément celui qui est écrit: c'est celui qui est à écrire! (Mère rit) Tu comprends, il y a une différence pour moi. Il y a «quelque part» quelque chose qui DOIT être dit, et ce quelque chose est très utile: je vois pour les gens, par exemple, qui ont pris confiance en toi à cause du livre sur Sri Aurobindo, ils te liront avec une ouverture d'esprit et si, à ce moment-là, tu leur donnes une espèce de sensation de l'expérience, ça les aidera beaucoup. C'est en cela que je

 

dis que ce livre est utile. Mais pour toi, personnellement, si tu aimes mieux le réécrire tout à fait plutôt que de le corriger, cela n'a pas d'importance... Seulement, pour que tu puisses le réécrire sans retomber dans l'état ancien, il faut que tu aies la conscience décisive de la différence de condition. Admets que tu dises: «Je vais réécrire le livre» et puis que, dès que tu te mets à écrire, le même conflit se reproduise, ce serait inutile... C'est quelque chose qui doit se passer dans le mental là, et c'est là qu'il faut que tu deviennes tout à fait conscient des vibrations.
Je vois assez bien tout ce qu'il faut supprimer... Mais ça fait beaucoup de choses à supprimer!
Tu vois clairement.
Oui, mais j'ai l'impression que c'est presque tout qu'il faut supprimer. C'est toute une manière de dire...
Ah! c'est surtout une manière – c'est une manière de sentir, une manière de penser.
Mais du point de vue de la forme extérieure, reste à savoir ce qui est le plus facile: se servir du texte déjà écrit ou bien tout recommencer. Tout recommencer... N'est-ce pas, à moins que tu ne sois le maître de ton activité...
Oui, je vais retomber dans le même conflit.
Ce n'est pas la peine.
Eh bien, je vais corriger.
Oui, je crois qu'il vaut mieux corriger. Ce n'est peut-être pas très amusant, mais c'est très utile au point de vue de la discipline mentale.
Vraiment, je sens comme une grâce ta lettre parce que, moi, je ficherais tout en l'air.
Non!
Tu m'as fait voir combien c'était faux.

 

Ce n'est pas détruire qu'il faut, c'est te rendre le maître de l'expression de ton inspiration. Il faut que tu sois le maître, c'est-à-dire que tu ne reçoives pas la chose «comme ça vient» et que tu ne l'écrives pas «comme ça vient». Tu reçois l'inspiration et tu es conscient du phénomène de l'expression. Alors ce sera parfait.
J'avais l'habitude d'être sans mouvement et de laisser couler les choses.
Oui, mais ton mental est actif – le mental est actif. N'est-ce pas, Sri Aurobindo pouvait le faire parce que son mental n'existait plus; il était tout à fait, tout à fait immobile et ça traversait comme à travers un air pur. Mais ton mental... Justement, c'est cela, la discipline à faire, parce que ton mental a l'habitude de se remettre en activité. C'est bien que ce qui vient d'en haut passe comme cela, mais à condition que le mental soit tout à fait immobile. Au fond, pour dire les choses d'une autre façon: c'est pour apprendre à tenir ton mental immobile, et tout de même à écrire1.
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