2 mars 1967
(À propos des visiteurs étrangers qui demandent à voir Mère.)
... Me voir devrait être le RÉSULTAT de quelque chose, non le commencement. C'est ce que je ne cesse de leur répéter. Ce n'est pas pour leur donner une impulsion: c'est pour répondre à une préparation qui a besoin de se fixer. Alors, ça a un sens. Ils viennent: en deux minutes c'est fait, ils sont partis avec ce qu'il faut, et puis ça va bien1.
*
* *
(Puis il est question du dernier anniversaire de Mère, le 21 février, et de la difficulté de contenir le flot croissant et chaotique des activités extérieures.)
Je vis dans une confusion croissante. Et cela a un avantage, je le vois très bien: il ne peut plus y avoir d'automatisme. Quand on vit dans une vie bien organisée, cela devient automatique – et ce n'est plus possible, il faut qu'à chaque minute la conscience soit comme un phare, projetée pour savoir ce qu'il faut faire. Et je vois bien que c'est exprès que c'est comme cela. C'est exprès.
Il y a des choses que j'ai dites dans l'Entretien que tu viens de me lire aujourd'hui, qui étaient vraies à ce moment-là, qui sont encore vraies pour la majorité des gens, mais qui ne sont plus vraies pour moi2... Pour la vision de maintenant, il n'est rien qui ne soit voulu et qui ne vienne à dessein, purposely (pas positivement exprès, mais dans un but précis), et c'est un tout complet, multiple et intégral EN MÊME TEMPS (c'est pour cela que c'est très difficile à concevoir). Mais maintenant, c'est une chose qui est sentie très clairement. Et depuis deux ou trois jours, après une observation très ténue – précise et ténue... Le centre de la conscience est assez haut (geste, loin
1. L'enregistrement de ce début n'a pas été conservé.
2. Il s'agit de l'Entretien du 14 mai 1951 concernant le «hasard», où Mère disait notamment: «À moins qu'un événement ne soit le résultat de l'intervention de la Volonté divine exprimée sans mélange, il s'agit de ce que nous appelons un "hasard". Dans le monde ordinaire, tout est le règne du hasard excepté, de temps en temps, quelque chose dont la cause est indiscernable pour la multitude des hommes, mais discernable pour celui qui est en rapport avec la Volonté divine. Il n'y a que cela qui échappe au hasard.»

 

au-dessus de la tête); dans le temps, c'était toujours là (geste près du sommet du crâne) et ça voyait les choses autour et dedans; mais ça a l'air d'être monté, et le champ de la conscience est beaucoup plus vaste. Et alors, le corps est devenu transparent, pour ainsi dire, et presque inexistant; je ne sais pas comment dire... ça ne fait pas obstacle aux vibrations: toutes les vibrations passent à travers. Par exemple (je vais donner un exemple pour me faire comprendre, je ne donnerai pas de précisions exprès), il m'avait été demandé une certaine somme d'argent, une augmentation (au point de vue matériel, il y a un certain nombre de choses qui sont sous le contrôle ici – de Mère – et que j'ai à payer régulièrement), alors était venue une demande d'augmentation; non pas que la demande fût déraisonnable, ce n'était pas cela (c'était une augmentation pour une chose spéciale, une augmentation quotidienne), mais je ne sais pourquoi (parce que là ici – geste au front – il ne se passe rien, je suis absolument non seulement blank [neutre] mais transparente et ça laisse passer sans obstruction), quand j'ai dû prendre la décision, immédiatement il y a eu la vision (mais une vision comme je dis, qui est d'en haut et qui voit sur un champ beaucoup plus large) de conflit, de bataille, et, à l'observation, c'était quelque chose qui était très mécontent (en Mère), comme une protestation. Je me demandais pourquoi? Et si cela s'était traduit en paroles, il y aurait eu une indignation à cause de cette demande (sans que, dans la conscience, il y ait le moins du monde la raison de cette indignation: tout cela devient très-très impersonnel – très impersonnel). Je continuais à regarder avec la vision de la conscience, puis, comme automatiquement, à travers cette bouche, j'ai demandé combien cette augmentation ferait par semaine (parce que même l'état mental qui permet de calculer n'est pas là du tout: c'est seulement une question de conscience), j'ai demandé à quelqu'un qui se trouvait là, qui m'a répondu. Alors immédiatement, est venue la décision: une fois par semaine, je donnerai tant. Et tout s'est calmé. Et pourquoi et comment et qui? Je ne sais pas du tout.
Alors je suis obligée d'en conclure que c'est une conscience très supérieure qui voit avec des raisons qui nous échappent tout à fait, et qui voit comment les choses doivent être faites, qui produit tous les mouvements (geste global montrant le jeu des forces) jusqu'à ce que ce soit fait comme ce doit être fait. Et là où il y a une personne, ça n'existe plus – il n'y a plus de «personnes»: il y a des forces en mouvement qui produisent certaines actions matérielles, mais plus de personnes.
Et il y a eu une observation depuis: je me suis aperçue que pour

 

tout ce qui concerne ce corps, c'est devenu comme cela. Alors le corps lui-même a à peine la sensation de ses limites (geste comme si la forme délimitante avait fondu). C'est assez nouveau. Je vois que cela s'est produit assez progressivement, mais c'est assez nouveau, alors c'est difficile à exprimer. Mais c'est ce corps lui-même qui ne se sent plus comme cela, limité (même geste): il se sent répandu dans tout ce qu'il fait, tout ce qui l'entoure, toutes les choses, les gens, les mouvements, les sensations, tout ça... C'est répandu comme ça.
C'est devenu très amusant, très intéressant. C'est vraiment nouveau.
Et cela s'est précisé après le 21 février. Il y a eu un ou deux jours très difficiles au moment de l'anniversaire, puis cela a été une sorte d'ajustement là-dedans, et après ça l'expérience est venue. C'était le résultat. Vraiment il y a un changement.
Il faut être un peu attentif et soigneux pour ne pas se cogner, pour tenir les choses: les gestes sont un peu flottants. C'est très intéressant. Et ce doit être une période de transition jusqu'au moment où LA conscience véritable s'installera; alors elle aura un fonctionnement tout à fait différent de celui qu'elle avait auparavant, mais d'une précision que l'on peut prévoir comme incalculable. Et d'un ordre très différent. Par exemple, pour beaucoup de choses, la vision est plus claire avec les yeux fermés qu'avec les yeux ouverts, mais cette même clarté commence (il y a longtemps), elle commence à venir avec les yeux ouverts, qui voient d'une façon différente (geste montrant le dedans des choses).
Il y a des détails amusants dans l'ensemble, que je te dirai plus tard parce que certaines personnes sont en question, alors j'aime mieux ne pas parler (ce n'est intéressant qu'avec les noms), j'aime mieux ne pas en parler tout de suite... C'est au point de vue du «pouvoir de la Mère» et comment il se manifestera – des choses amusantes, peut-être des ambitions (ça a pris l'apparence d'ambitions), mais je regarde (le «je» là-haut – le vrai «je» – regarde pour voir si cela correspond à une réalité concrète)... Au point de vue tout à fait extérieur et ordinaire (et ce n'est pas comme cela, ce n'est pas VU comme cela), mais traduit dans la conscience humaine, ce sont des ambitions créées par le fait que l'âge matériel augmente (Mère vient d'avoir 89 ans) et que, par conséquent, on peut prévoir... (riant) ma disparition. C'est très amusant. Mais ça, je t'en parlerai plus tard.
Bien. (Mère rit beaucoup)
Tu dois voir de drôles de choses!

 

Reste à savoir quand je disparaîtrai!... Sri Aurobindo m'a dit: «Votre corps sur la terre...» Il a dit: «Ce que je vois, c'est que votre corps est le seul qui ait l'endurance suffisante pour passer par l'épreuve.» Mais, n'est-ce pas, ce corps n'en savait rien, il n'a pas d'ambitions (!) et encore moins de prétentions; mais basé là-dessus, quand il m'a dit: «Vous ferez le travail», j'ai dit oui. Alors voilà.
Mais maintenant, je vois – j'ai vu: c'est dur de tenir le coup. C'est dur. Il faut, ensemble, une énergie qui ne bronche pas – une énergie constante, comme ça (geste inflexible) – et en même temps, une humilité parfaite qui soit prête à TOUT abandonner parce que tout ce qui est, n'est rien en comparaison de ce qui doit être. Une humilité parfaite. Il n'y a pas beaucoup de corps comme cela, je crois. Il est vraiment (riant) de bonne volonté!
Oh! il y a eu des moments... Ce sont quelques minutes (ça pourrait difficilement durer davantage) où vraiment c'est dur. Ces jours-ci. Et alors, ce qui fait qu'il peut passer, c'est que, à ce moment-là, il est tout à fait comme ça (geste d'abandon) : «Seigneur, ce que Tu veux.» Rien, pas pensé, pas spéculé, rien: «Ce que Tu veux.» «Et Toi seul existes.» Voilà.
Des angoisses, n'est-ce pas... ça se traduirait dans une conscience ordinaire par des douleurs physiques difficiles à supporter, mais la Grâce est là – l'IRRÉALITÉ DE LA SOUFFRANCE heureusement est là.
Oh! une Grâce merveilleuse.
Et alors, le résultat (c'étaient quelques jours difficiles), le résultat, c'est cela, c'est que vraiment le corps lui-même a changé de conscience. Sa conscience est là-haut: il n'y a plus rien là-dedans, c'est tout comme ça, comme quelque chose à travers quoi tout passe.
(silence)
Il a peut-être une ambition (en tout cas, cela se traduit par une aspiration): la possibilité de faire sentir partout cette irréalité de la souffrance. Quand la possibilité est vue de transmettre partout l'irréalité de la souffrance, il y a une joie – il y a une lumière, il y a une joie dans le corps. Ça le rend content. Par conséquent, la Conscience là-haut dit: «C'est comme ça, ce sera comme ça.» Voilà1.

 

Hosted by uCoz