2 août 1967
(À propos d'un apprenti tantrique, disciple de X.)
Tu vois W?
Oui, je l'ai vu hier.
Il m'a écrit aujourd'hui: il est en pleine révolte. Qu'est-ce qu'il t'a dit hier?
Oh!...
Il n'était pas brillant. Non, pas du tout.
Pleine révolte. Alors la nuit, il a mal dans son cœur, mal dans sa poitrine, mal dans sa tête, mal partout. Et il m'écrit aujourd'hui pour me dire: «Est-ce que c'est cela que tu veux jusqu'à la fin du monde?» Je lui ai écrit: c'est tout le contraire que je veux!
Je l'ai vu hier, je lui ai parlé pendant une demi-heure, mais il était comme... tu sais, comme des barreaux de fer; il avait d'avance décidé qu'il ne comprendrait rien de ce que je lui dirais. J'ai tâché d'entrer au fond, mais... Il m'a dit (c'est une vielle formation qui est sur lui) que tout ce qu'il veut faire, il le fait pendant un certain temps, puis il lui arrive une catastrophe et c'est arrêté. Et alors il dit que, maintenant, c'était son effort spirituel qu'il faisait, et il lui est arrivé une catastrophe (je ne sais pas laquelle). Je lui ai dit naturellement que ce n'était pas comme cela du tout! Que c'était justement le signe qu'il était arrivé au moment où la porte pouvait s'ouvrir et qu'il pouvait se transformer. Mais il a refusé de comprendre. Tu sais, quand les gens sont butés comme cela, il n'y a pas moyen, on ne passe pas.
Alors j'ai pensé que peut-être tu pourrais lui parler.
Je l'ai vu hier et j'ai eu l'impression que cela lui faisait du bien, enfin qu'il m'écoutait en tout cas...

 

J'ai eu aussi l'impression (c'est pour cela que je t'en parle) que toi, il t'écouterait.
J'essaye, oui.
Alors c'est bien... Tu sais, quand on met des barreaux comme cela et que l'on dit: «C'est impossible-impossible-impossible...»
Au fond, le problème difficile pour lui maintenant, c'est tout ce japa tantrique qu'il fait.
Mais pourquoi continue-t-il?
Justement c'est cela, le problème, c'est qu'il n'arrive pas à avoir la force de décrocher.
Ah! voilà. Il continue...
J'ai essayé de lui dire hier que cette sorte de discipline est très puissante et qu'elle est bonne pour certains, mais qu'en fait, c'est comme si l'on tissait autour de soi de plus en plus une force dans laquelle on s'enferme soi-même.
C'est cela. Oui, c'est cela!
Mais il lui faut le courage de couper. C'est cela, son problème.
Il ne m'a pas dit une fois: je veux arrêter.
Mais c'est qu'il n'ose pas. Et tu ne lui dis pas non plus, alors... (et puis c'est difficile pour toi de lui dire).
Je lui ai expliqué hier l'effet que lui faisait ce japa, je lui ai expliqué en détail, mais je crois qu'il n'y a rien compris. Et je lui ai dit de changer; je lui ai même donné le Mantra (parce que ça, c'est la suprême libération quand on fait cela), je voulais justement, au lieu de le laisser sans rien du tout, qu'il fasse ça. Mais je lui ai demandé hier: «Tu continues?» Il m'a dit: «Oh! un petit peu seulement.»
Il y a justement au-dedans de soi-même naturellement (et autour de soi comme conséquence), des forces qui s'opposent à votre réalisation, et le système de ces mantras [tantriques], c'est de chercher le point d'appui des êtres du Surmental contre ces forces qui sont

 

beaucoup plus puissantes qu'eux (les dieux) – la preuve, c'est que malgré toute leur bonne volonté, ils (les dieux du Surmental) n'ont jamais pu faire de la terre un endroit harmonieux. Nous sommes obligés de le constater. Et je lui ai dit que c'est une lutte directe, que tous ces mantras sont une lutte directe contre cette difficulté, tandis que... (et c'est cela qui a créé ce mal de tête terrible dont il se plaint: c'est dangereux, n'est-ce pas, ça peut détraquer tout le fonctionnement), je lui ai dit d'arrêter et de faire ça (le Mantra de Mère). Je lui ai expliqué tout cela hier. Je lui ai dit qu'il ne faut pas lutter directement: il faut trouver le point d'appui dans la force que l'on a au-dedans de soi, et qui est partout, et qui peut surmonter la difficulté: «Au lieu de te battre, vis dans l'autre conscience.» Mais j'ai vu, il était fermé – fermé à clef – avec un regard dur. Il ne voulait pas comprendre. Alors...
Pendant une demi-heure, il m'a gardé ici. Il était midi et demie!
Alors si tu lui expliques cela, je crois que ça lui fera du bien.
Hier soir, c'était rentré, j'avais touché quelque chose.
Mais oui!
Mais...
Alors, résultat, il m'a dit ce matin: je n'ai pas pu dormir de toute la nuit, j'ai eu une douleur à mon cœur, une douleur je ne sais plus où (dans trois ou quatre endroits), je ne peux pas manger, impossible (enfin un tableau tout ce qu'il y a de plus dramatique), en me disant: «Est-ce que tu veux que je sois comme cela jusqu'à la fin du monde?»
Son problème est de décrocher de cette affaire tantrique.
Non, il y a deux problèmes. Il y a celui-là au point de vue action, et puis il y a un orgueil for-mi-da-ble1 dans toute la famille; c'est un orgueil terrible, c'est une formation... C'était cela qui était en lui hier, c'était comme coagulé. Alors je lui ai dit: «Aie un peu plus d'humilité, un peu plus de modestie.»
N'est-ce pas, on ne veut pas abdiquer.
C'est le sens que l'on n'est rien-rien-rien, absolument rien quand on est en face de... qu'on appelle «ça» comme on veut, cela ne fait

 

rien (on peut le prendre depuis l'idée de conscience jusqu'au Seigneur Suprême, ça ne fait rien). Mais c'est sentir d'une façon concrète que tant que l'on tient à rester dans sa petite personne, on n'est rien, et que si l'on abdique cette petite personne, on devient tout. C'est cela qu'ils ne comprennent pas. L'orgueil, c'est tout simplement... On a le contact avec l'éternité intérieure, la toute-puissance intérieure, mais on est enfermé dans son petit ego, alors l'ego s'imagine que c'est lui qui est Ça, et puis alors il s'affirme – il s'assoit et il ne veut plus bouger, c'est un Moi colossal. C'est justement la Vérité suprême (riant) dans sa déformation.
J'ai essayé de lui faire comprendre cela hier, mais pas comme cela, je le lui ai dit très gentiment!
Certainement, on voit cela: ceux qui sont l'opposé justement, ceux qui rampent par terre, il n'y a pas d'étoffe, on ne peut rien en faire; alors il faut essayer de leur donner un peu de confiance. Mais ce n'est rien. Tandis que ceux-là, on peut faire quelque chose, mais... oh! ils deviennent furieux contre vous!
Le contact avec les grands Asoura, les premiers Asoura, c'est cela: la pleine conscience de leur puissance formidable, de leurs capacités merveilleuses – ils oubliaient une chose, c'est qu'ils n'en ont pas le mérite, ça ne leur appartient pas en propre! Alors ils coupent la connexion et ils deviennent des instruments de désordre et de confusion.
Celui-là, le Seigneur du Mensonge...
Pour la conscience humaine, ces choses-là sont terribles, mais de là-haut, cela fait sourire. Je me souviens pendant la guerre, quand je l'ai rencontré (je lui avais démoli son travail avec Hitler, puis je l'ai rencontré), alors je lui ai dit: «Tu sais bien que ton temps est fini.» Il a dit: «Je le sais bien, mais je détruirai autant que je peux jusqu'à ce que je disparaisse.»
Enfantillage1.
*
* *
Peu après
Je t'ai dit que j'étais tout le temps en rapport avec les professeurs de l'École. Il y a une «conférence», et voilà (Mère tend un papier au disciple). Il y a un point intéressant:

 

(traduction)
«Votre difficulté vient du fait que vous avez encore cette vieille croyance que, dans la vie, certaines choses sont hautes et d'autres basses. Ce n'est pas exact. Ce ne sont pas les choses ou les activités qui sont hautes ou basses, c'est la conscience de celui qui agit qui est vraie ou fausse...
C'est là, le point intéressant.
«Si vous unissez votre conscience à la Suprême Conscience et la manifestez, tout ce que vous pensez, sentez ou faites devient lumineux et vrai. Ce n'est pas le sujet de l'enseignement qu'il faut changer, c'est la conscience avec laquelle vous enseignez qui doit être illuminée.»
(31 juillet 1967)
Et puis Y m'a posé des questions sur de Gaulle (Mère donne un autre papier):
«Tant que l'on est pour les uns et contre les autres, on est nécessairement loin de la Vérité.
«Toute la politique actuelle est basée sur le mensonge et aucune nation ne peut totalement échapper à ce mensonge.
«X (de Gaulle) a un embryon de vie intérieure, il sait qu'il y a une force supérieure aux forces physiques et mentales... et c'est pour cela qu'il est plus réceptif que beaucoup d'autres.
«Mais il a des idées, des principes, des préférences, etc., etc., et en cela, il peut se tromper grossièrement comme tous les êtres humains.
«C'est à travers tout ce fatras et tout ce chaos que la Conscience-de-Vérité est à l'œuvre, partout, sur tous les points de la terre à la fois, dans toutes les nations, toutes les individualités, sans préférence ni distinctions, partout où il y a une étincelle de conscience qui puisse la recevoir et la manifester.»
(29 juillet 1967)

 

(Mère lit au disciple une citation de Sri Aurobindo:)
To be perpetually reborn is the condition of material immortality1
Sri Aurobindo
Ça, c'est épatant.
Plus tard, après une méditation2:
C'est comme cela. Jour par jour, presque heure par heure, à mesure que le Pouvoir revient... N'est-ce pas, j'avais dit qu'il était tout à fait parti3, et c'était vrai, il était tout à fait parti pour laisser le corps absolument à lui-même, pour sa conversion pourrait-on dire; mais une fois qu'il y a eu dans cette conscience corporelle la même aspiration et la même ardeur de conscience (avec une stabilité beaucoup plus grande que dans n'importe quelle partie de l'être; il n'y a pas de fluctuations comme dans le vital et dans le mental, c'est très stable), une fois que cela a été établi (par des espèces de pulsations, pas distantes l'une de l'autre, sur un détail d'abord, puis se répandant et devenant généralisées), le Pouvoir est... on peut dire qu'il est en train de revenir. Mais à chaque étape de ce retour, toutes les anciennes difficultés semblent être réveillées4, elles semblent resurgir (n'est-ce pas, elles avaient été tout à fait endormies), et chaque fois, cette conscience corporelle a une espèce de surprise, à la fois affligée et étonnée que la présence du Pouvoir divin, de la Conscience divine, de la Force de Vérité, puisse faire naître toutes ces difficultés, qui sont essentiellement des difficultés de l'ignorance, de l'inertie – de l'incapacité de recevoir. Et cela revient comme des souvenirs, comme cela (geste d'en dessous), comme un serpent qui se lève. Et chaque fois, tout dans la conscience physique a le même appel: «Pourquoi! quand Tu es là, ces choses peuvent être?» C'est cela, l'étonnement: «Puisque Tu es là, comment ces choses peuvent être?»
1. «Renaître perpétuellement est la condition de l'immortalité matérielle.»
2. L'enregistrement reprend ici.
3. Au moment de cette grave épreuve en mars 1962, quand la vie de Mère semblait être en danger.
4. Notons que Mère parle comme s'il s'agissait de son propre corps, mais ce sont des difficultés dans les disciples, collectives.

 

Jusqu'à présent, dans la presque majorité des cas, cela a été le signal d'une conversion, d'une transformation, d'une illumination (cela dépend des cas), mais justement ce cas dont nous parlions (l'apprenti tantrique), c'est venu exactement comme un résultat de ce retour du Pouvoir (je l'ai su; il me l'a dit hier, mais je l'ai su quand il a eu sa révolte), et tout ce qui venait, c'était justement toutes les vieilles révoltes, tous les vieux mouvements qui étaient si forts, si généralisés, si ÉTABLIS, avant, et puis qui ont été comme arrêtés dans leur expression par le fait que le Pouvoir s'était retiré. Alors tout le monde somnolait dans son état. Et puis dès que la Force a recommencé à venir travailler, tout s'est réveillé.
Mais encore, ce n'est pas la pleine Présence, ce n'est pas la Présence totale de l'être qui, par une toute-puissance qui ne peut pas être contredite,.change les choses. Et alors le corps a quelque chose de très-très émouvant de simplicité dans sa prière et son étonne-ment d'enfant: «Puisque Tu es là, comment est-ce que cela peut être?...» Et tout ce qui est prêt à être transformé est transformé. Mais ce n'est pas encore... (comment dire?) la compulsion (geste de descente irrésistible), l'autorité absolue qui fait que rien ne peut résister – ce n'est pas cela, ce n'est pas encore ça, il s'en faut.
On ne sait pas combien de temps cela prendra encore.
Tout ce qui est sur le point de changer change.
Autrement, continu, le lent labeur souterrain, invisible, presque imperceptible.
(silence)
Et ce qui est intéressant, c'est que spontanément, immédiatement, sans effort – spontanément –, ce corps cherche en lui-même, les cellules du corps (c'est tout un monde ! c'est un monde), elles cherchent en elles-mêmes: «Oh! où est mon incapacité, où est mon impuissance, où est... même ma mauvaise volonté ou ma stupidité ou mon incapacité de comprendre, d'adhérer?» Voilà. Et puis, toujours la même réponse: «Tout donner, tout donner, tout donner... Je ne comprends pas, je ne peux pas comprendre, je ne sais pas, je ne peux pas savoir – je ne peux pas, je ne peux pas faire, je suis incapable de faire moi-même: tout pour Toi, fais-le.»
Elles essayent-essayent, tout essaye de se donner parfaitement, par-fai-te-ment, c'est-à-dire sans exception, tout-tout.
C'est une sorte... pas d'anxiété, mais surtout de vigilance, comme si elles étaient alertées: «Ne rien faire que ce que Tu veux, ne rien penser que ce que Tu veux, ne rien sentir que ce que Tu veux, ne rien dire que ce que Tu veux...» Ça, constant, ininterrompu, nuit

 

et jour. Au moment même de l'activité ou au moment même du repos, tout-tout: «Être ce que Tu veux, sentir ce que Tu veux, faire ce que Tu veux, exister... sans différence.»
La moindre petite douleur, quelque chose qui est inconfortable, la moindre petite maladresse, la moindre petite chose, immédiatement: «Ah! (sursaut) ce n'est pas Toi.»
(Mère entre en contemplation)
Le physique subtil semble de plus en plus transformé. Il y a encore un mystère entre les deux. Un mystère. Ils sont coexistants (le corps physique et le corps physique subtil) et pourtant... (geste comme un manque de jonction) le physique subtil ne semble pas avoir d'influence là-dessus (le corps).
Quelque chose... Quelque chose à trouver... quelque chose1.
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