19 août 1967
Ce matin, j'ai eu pendant deux heures, vraiment je crois la plus merveilleuse expérience que j'ai eue de ma vie au point de vue vision-connaissance. Mais c'était si total... depuis la perception la plus essentielle de Ce qui est au-delà de la création, jusqu'à la perception des cellules du corps, comme cela, du haut en bas. Et dans chaque plan, la vision de la création.
Ça a duré deux heures. J'ai marché, j'ai fait ma toilette, ça n'avait absolument aucune importance, et au contraire, il y avait, ajouté à cela, la connaissance de comment le corps peut agir sans déranger l'état de conscience.
Et après, il y a eu un petit fléchissement parce qu'est venu... je ne peux pas dire le souvenir (ce n'était pas un souvenir) mais toutes les plaintes: la même chose qu'au balcon le jour du darshan – l'attitude humaine vis-à-vis du Suprême est seulement se plaindre et demander... se plaindre et demander, se plaindre... Voilà. C'est revenu. Avant, c'était toute la vision comme cela (geste du haut en bas), c'était magnifique, magnifique: toute chose, tout, toute l'histoire humaine, toute l'histoire de l'évolution intellectuelle, matérielle, tout-tout comme cela, chaque chose à sa place. C'était vraiment bien. Et alors après, il y a eu cette vague de plaintes.
C'était comme si le corps disait: «Quelle attitude (c'est cela qui a été l'intermédiaire), quelle attitude je dois avoir? Qu'est-ce que je dois faire?...» Parce que c'était la vision de la vie, de la mort, de tout ce qui se passe, tout-tout était là. La pleine connaissance de tout. Oh! toutes les histoires de la mort, c'était très-très intéressant,
1. De ce que ça contient.
2. Il existe un enregistrement de cette conversation.

 

et comment l'humanité a cherché à comprendre, et comment il y a eu toutes sortes de solutions (n'est-ce pas, des attitudes partielles), et tout cela, tout cela faisait partie du Tout.
Alors, la conclusion... Oh! à ce moment-là, j'aurais pu dire beaucoup de choses sur toutes les différentes attitudes intellectuelles et même spirituelles de l'humanité... Il n'y a pas beaucoup de différences. Le spirituel (ce qu'il est entendu d'appeler «spirituel»), ça se réduit à tout cet essai pour retrouver le Divin en annulant la création, c'est cela qui a été considéré comme la vie spirituelle (c'est pour cela que ce mot a été déformé). Annuler la création pour retrouver le Divin... Et alors MAINTENANT : la vision de maintenant. Évidemment, on approche du moment où c'est possible, c'est évident. C'est une question de temps – n'est-ce pas, cela ne peut pas être à la mesure humaine, mais on est à la bordure.
Et alors, comme je l'ai dit, le corps a demandé... oh! il a eu un moment – un moment, pendant quelques minutes – si admirable! où il a SU comment il devait être. C'était magnifique. Et puis l'expérience est venue1. Et alors, jusque là, c'était inexprimable: ça se vivait, c'était une conscience vivante, mais le mental était devenu très tranquille, alors c'était inexprimable. Et puis cette grande plainte du monde est revenue, et l'expérience a commencé à s'exprimer (Mère cherche une note). Ça a commencé à s'exprimer, parce que ce n'est pas seulement la demande anonyme de milliers de gens: c'est pratiquement une pluie de lettres, de questions, de demandes, et de gens qui croient... qui croient qu'ils font partie de l'Œuvre, de l'Action, qui croient qu'ils se sont donnés, et toutes les questions – et des questions tellement futiles –, qui pour eux leur paraissent d'une importance capitale, qui sont tellement puériles, stupides, sans importance: comment faire un business, la date d'ouverture, le nom d'une maison, un message pour des réunions... Et des histoires, ça pleut, ça pleut de tous les côtés. Alors tout cela était vu dans cette nouvelle attitude – pas «nouvelle», la conscience était là, pleine, il y avait eu toute une tendance pour la prendre de plus en plus, cette attitude, mais là c'était SU, pleinement su: ce qu'il faut être, comment il faut être. Et alors je suis descendue d'un coup pour répondre à tout cela.
Depuis quelque temps, il y avait des tas de questions de gens – je refusais; tout simplement je refusais de répondre; je disais une plaisanterie ou une autre plaisanterie: «Je ne suis pas une diseuse
1. Mère semble vouloir dire que la demande du corps a été «l'intermédiaire» qui a déterminé l'expérience de cette grande vision du Tout.

 

de bonne aventure.» Ou bien: «Cela ne me concerne pas, ce n'est pas mon affaire.» Des plaisanteries, et quelquefois je disais: «Ah! non, qu'ils me laissent tranquille, ce sont des enfantillages.» Et des gens qui croient qu'ils sont consacrés, par exemple un homme qui a donné au moins une dizaine de lakhs de roupies déjà (il le sait trop qu'il l'a donné, mais enfin il l'a donné!) et qui veut travailler pour en apporter davantage, mais alors ses questions... Alors, au lieu de répondre par des boutades (ça, c'était ma dernière expérience; ce sont comme des réponses dictées, mais ce sont des boutades), ce matin quelque chose est venu en anglais (Mère lit sa note):
«We are not here to make our life easy and comfortable. We are here to find the Divine, to become the Divine, to manifest the Divine.
«What happens to us is the Divine's outlook, it is not our concern.
«The Divine knows better than us what is good for the progress of the world and our own1
Tous viennent se plaindre, se plaindre, que celui-ci l'a volé, que sa femme ne l'aime pas, que son frère le trahit, que... Toutes les histoires imbéciles, et c'est par centaines, tu comprends, ça pleut.
*
* *
(Peu après, à propos d'une sympathisante de l'Ashram, Mme Z, qui n'arrive pas à sortir de son christianisme2.)
Alors, tu as vu cette dame?
J'ai l'impression qu'il y a une possibilité de faire quelque chose... Quelle est ton impression?
Ce matin, le christianisme aussi était parmi toutes les choses.
(silence)
1. «Nous ne sommes pas ici pour que notre vie devienne facile et confortable, nous sommes ici pour trouver le Divin, pour devenir divins, pour manifester le Divin. Ce qui nous arrive est l'affaire du Divin, ce n'est pas notre affaire. Le Divin sait mieux que nous ce qui est bon pour le progrès du monde et pour le nôtre.»
2. Par une «coïncidence» assez frappante, depuis la vision de Mère du 29 juillet («le christianisme déifie la souffrance»), tout le christianisme allait successivement tomber sur Mère: moines, monseigneurs, etc., y compris cette dame qui figurera à plusieurs reprises dans cet Agenda. Ce qui montre bien que les «visions» de Mère sont en fait des actions.

 

N'est-ce pas, derrière toute cette évolution terrestre, c'est, plus ou moins conscient (c'est plutôt un besoin inexprimé qu'une conscience précise), le besoin de vivre le Divin – on peut le mettre aussi autrement: de vivre divinement. Et il est évident que ce qui s'est traduit par des religions différentes, c'étaient des solutions trouvées individuellement («trouvées», peut-être partiellement vécues) et il y avait eu ici [en Inde], cette solution: pour redevenir vraiment Divin, il ne faut plus de création. C'était la solution nirvânique. Et instinctivement, l'humanité avait senti – instinctivement – que la mort était la négation du Divin. Mais comme toute négation, elle pouvait conduire, ouvrir le chemin. La solution du christianisme, ce n'était pas tout à fait nouveau, c'était une adaptation d'une ancienne solution: une vie en d'autres mondes – ce qui s'est traduit par cette conception tout à fait enfantine du paradis. Mais ça, c'était une conception à l'usage du public: la vie en présence du Divin et uniquement occupée du Divin, alors on chantait, on... C'est touchant de simplicité. Enfin eux, concevaient un monde (qui n'était pas un monde matériel), un monde où s'était réalisé une vie divine. Dans les anciennes traditions indiennes, il y avait eu comme cela l'indication de mondes qui étaient déjà divins – c'était comme une réaction à ce nirvânisme: si nous voulons être divins, il faut cesser d'être, ou si le Divin veut être pur, il ne faut plus qu'il se manifeste!... Et alors tout cela, ce sont comme des tentatives, maladroites, pour trouver le moyen, et en même temps peut-être des préparations internes pour rendre capable d'entrer vraiment en rapport avec le Divin. Puis il y a eu cette grande réaction du culte de la Matière qui a BEAUCOUP servi à la pétrir, la rendre moins inconsciente d'elle-même: ça a ramené par force la conscience dans la Matière. Alors, peut-être, tout cela a-t-il préparé suffisamment pour que le moment soit venu (geste de descente) de la Manifestation Totale.
Ce matin pendant l'expérience, le corps a senti toute la béatitude de la condition, mais il était très conscient de son inaptitude à manifester, et très conscient dans une paix si parfaite, comme cela (geste paumes ouvertes vers le haut), où il n'y avait même pas l'intensité du besoin. C'était simplement une vision de comment étaient les choses, comment était l'état. Et alors, c'était à peu près comme cela: que les conditions terrestres sont telles, les conditions de la substance sont telles qu'une manifestation locale et momentanée, comme un exemple, n'est pas impossible, mais que la transformation qui rendrait possible la nouvelle Manifestation de l'être supramental – alors, pas seulement comme un cas isolé, mais avec sa place, son rôle dans la vie terrestre –, cela ne paraît pas être immédiat. Voilà quelle a été l'impression.

 

Et il n'y avait pas l'angoisse de savoir ni rien de tout cela, c'était simplement une vision très tranquille des choses, absolument dénuée presque de tout besoin: c'était comme cela (même geste paumes ouvertes), aussi paisible qu'il est possible de l'être, souriant, tranquille, avec un sens d'éternité... Tout cela, dans ce corps, qui était tout à fait, tout à fait conscient de son incapacité. Naturellement le corps, lui, a très bien le sentiment, ni de savoir, ni de pouvoir savoir, ni de pouvoir vouloir, ni de pouvoir faire: simplement comme cela (geste paumes ouvertes), aussi paisiblement ouvert, réceptif, abandonné que possible. Et le résultat a été cela (la vision que la Manifestation n'était pas pour l'immédiat).
Et ça finit toujours de la même façon: «Ce que Tu voudras.»
Mais une vision très claire qu'une transformation collective suffisante pour créer une espèce nouvelle sur la terre, cela paraît être pour dans quelque temps encore... sans appréciation de la durée, mais pas immédiat.
Le fait est sûr.
Le fait est sûr – ce n'est pas une possibilité, c'est un FAIT. Mais ce qui se traduit dans la conscience terrestre par le temps, cela, c'était inappréciable, on ne peut pas calculer1.
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