11 octobre 1967
(Sujata donne à Mère une fleur appelée «Nouvelle Naissance».)
Dis-moi (à Satprem) : qu'est-ce que c'est, une nouvelle naissance? Être radicalement différent
(Après un silence) Se renouveler à chaque moment.
Encore ce matin, pendant, oh! plus de deux heures: tout à fait une nouvelle personne. Et chaque fois, avec le travail, le contact avec le monde [ça s'efface]... mais ça ne revient pas tout à fait pareil, il y a quelque chose qui est parti. Mais pendant deux heures ce matin, c'était encore plus que l'autre jour, mais pas la même chose – jamais la même chose, jamais deux fois la même expérience.
Mais c'était... À un moment donné, j'ai pensé à toi, je me suis dit: tiens, s'il était là et qu'il puisse noter, ce serait intéressant...
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(Mère va s'asseoir à sa table, puis rit elle-même devant l'invraisemblable accumulation d'objets, de paquets en équilibre instable, stocks d'enveloppes, papiers, stylos...)
Et puis tout est arrangé ici: si on a le moindre geste d'inconscience, c'est une catastrophe! Et il y a des petits êtres qui ont été affectés à la surveillance, et ça, c'est le plus amusant de tout: si l'on fait un mouvement comme cela, inconscient, ils vous attrapent la chose que vous tenez et ils vous l'envoient loin promener! Ça m'est arrivé je ne sais combien de fois. Seulement moi, je ris, n'est-ce pas, je sais ce qui se passe: ils prennent la chose et poff! ils l'envoient

 

en l'air comme si l'on avait fait un geste violent. Ça arrive tout le temps. Cette table est arrangée exprès pour cela – ce n'est pas moi qui ai arrangé: on m'a fait arranger. Et c'est comme cela: si tu fais un geste inconscient, il y a quelque chose qui dégringole – naturellement! (Mère montre les piles d'enveloppes)
C'est effrayant, ta table!
Oui, mais chaque chose a sa raison d'être et son utilité.
J'ai aussi des personnages (Mère attrape trois statuettes de bronze qui baignent avec quelques autres dans un torrent de papiers) : ça, c'est un Ganesh debout; ça, c'est Garoudha, le gardien de Vichnou; et ça, c'est le taureau de Shiva. Et là (un peu plus loin sur la table), j'ai trois Ganesh: un tout petit-petit Ganesh en argent qui est entre les jambes de cette divinité (qui a l'air moderne), puis encore un autre Ganesh, je ne sais pas en quoi, et puis un Ganesh en bronze. Et là-dedans (Mère désigne un tiroir où elle garde de l'argent), j'ai trois autres Ganesh: un en bronze, un en argent et un en or! C'est parce qu'il m'a promis qu'il me donnerait tout l'argent dont j'ai besoin, alors comme cela (riant), il ne peut pas dire que je l'oublie (ni sa promesse non plus!).
Ce Ganesh-là (sur la table), c'est un petit garçon qui a peut-être deux ans et demi qui me l'a donné. Ce petit garçon, quand il avait quelques mois et jusqu'à ce qu'il ait un an, sa mère me l'apportait toujours, et il criait, il hurlait, il faisait des scènes – les parents étaient désespérés. Je leur disais chaque fois: soyez tranquilles, tout ira bien, nous serons très bons amis. Alors les parents me regardaient avec un air de ne pas croire. Maintenant qu'il a deux ans et demi ou trois ans, déjà quand il attend dans l'escalier: «Mother, Mother, Mother!...» (ou «Mâ», je ne sais pas). Mais quand il arrive (il entre le premier de la famille), il arrive avec une fleur, et puis il m'a donné ce Ganesh, mais alors il le donne avec une conscience! Il est admirable; hier, il était absolument exquis: il arrive le premier, si sûr de lui, et si joyeux, et puis il me fait des signes comme pour me dire: «Tout-tout va bien, ne t'inquiète pas!» Et je lui parle – il ne comprend rien de ce que je lui dis, mais il approuve gravement. Il est absolument exquis.
Il y a un grand progrès dans l'enfance1.
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(Peu après. À propos du «Dourga poudja», ou fête et cérémonie de la Mère universelle, qui a eu lieu le matin même.)
J'ai eu la visite de Dourga ce matin. Tous les ans, j'ai sa visite, mais ce matin c'était intéressant parce qu'elle m'a expliqué son point de vue, comment elle sent l'existence, et puis en même temps... Tu sais que l'année dernière elle était venue, je te l'ai dit (avant, quand je descendais donner le darshan, non seulement elle venait, mais elle restait là pendant tout le temps), mais l'année dernière quand elle est venue, je lui ai dit: «C'est très bien; c'est très bien, tu remplis très bien ton office dans l'univers, mais tu manques quelque chose...» Et je lui ai expliqué ce que cela voulait dire, être dans le contact conscient et attentif à la Volonté suprême, et elle a compris. Elle a compris et elle a adhéré, elle a dit oui. Et alors, pendant l'année elle a dû essayer, parce qu'elle est revenue ce matin, et vraiment il y avait une différence, surtout une différence dans la compréhension, et elle m'expliquait cela. Puis je lui ai parlé de la nature humaine physique et de son infirmité, et elle m'a dit: «Il y a là, dans ce corps, quelque chose que nous n'avons pas, nous tous là-haut, et que nous ne pouvons pas avoir: c'est la possibilité d'une Présence constante et d'un contact constant avec le Divin.» Elle n'avait jamais pensé à cela avant! c'est depuis l'année dernière. Et c'était dit avec une telle intensité – une telle intensité – et une telle compréhension et un sens... C'était comme si toutes les misères humaines disparaissaient immédiatement devant cette chose EXTRAORDINAIRE que l'on pouvait, dans chaque cellule, sentir la Présence divine.
C'était vraiment intéressant. La matinée a été vraiment intéressante.
Elle était restée là pendant que je faisais ma toilette, et elle me disait: «Tu vois, tu peux faire tout cela et pas une minute, pas une seconde, tu ne perds le contact avec Ça, avec cette merveille suprême. Et nous, nous sommes pleins de pouvoir et de... et sans aucune de vos petites misères, aucune de vos petites difficultés, mais tellement habitués à notre manière d'être que c'est pour nous sans valeur, c'est une chose évidente, presque obligatoire.» Et elle disait (Mère sourit): «Jamais nous ne pensons au Divin, n'est-ce pas, nous SOMMES le Divin... Alors il n'y a pas cette volonté de progrès, cette soif de toujours mieux, toujours plus – ça nous manque totalement.»
Mais c'était vraiment intéressant. Je traduis en mots (évidemment elle ne m'a pas parlé en français!), mais c'était très simple, le

 

contact était très simple (geste d'échange intérieur) et très naturel, très spontané. Je lui ai même demandé à un moment donné (riant): «Est-ce que cela te fait plaisir, toute cette adoration des gens?» Elle m'a dit non. Elle m'a dit: «Non, ça m'est égal.» Trop habituée, cela lui est égal.
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Puis il est question d'Auroville
J'ai rencontré Y. Ils préparent un numéro sur Auroville et elle est venue avec une liste de questions comme cela (geste), elle m'a dit: «La sociologie d'Auroville, je ne la connais pas bien.» Alors je lui ai dit (riant) : «Moi non plus!» Puis elle m'a posé des questions (remarque, elle posait des questions très intelligentes) et je lui ai répondu. Mais il y avait une chose à propos du choix des gens et de l'admission à Auroville... alors je lui ai dit que, naturellement, la condition essentielle pour pouvoir choisir les gens, c'est que les préférences, les attractions, les répulsions, les sympathies, les antipathies, toutes les règles morales, tout cela doit avoir complètement disparu – non pas que l'on soit en train de les surmonter, ce n'est pas cela: il faut que ce soit disparu (riant), qu'il n'y ait plus d'ego! Et alors, je lui ai dit: ce n'est pas un jugement, ce n'est pas de regarder les gens et juger s'ils sont capables d'être là ou pas, s'ils sont destinés à être là ou pas, ce n'est pas cela du tout – vous ne «jugez» pas... Et quand elle a été partie, j'ai noté la fin de la chose (Mère prend une note et lit):
«La Force est mise sur tous, identique et suprême...
La Force est identique pour tous (geste uniforme sur toute la terre) et suprême, c'est-à-dire... enfin ce que ça veut dire, suprême, comme cela (même geste étal). Quels qu'ils soient et quelle que soit leur attitude, sur tous la Force est mise identique – et ce sont EUX qui se classent; ce n'est pas que l'on décide que celui-ci est ici ou là ou là: ce sont EUX qui se classent suivant...
«Et chacun se classe lui-même, de lui-même, selon sa réceptivité et la qualité de cette réceptivité – ou bien son refus ou son incapacité.»

 

N'est-ce pas, il y a tous les degrés. Quand c'est le refus ou l'incapacité, alors, de LUI-MÊME il s'enfuit en disant: «Ce sont des imbéciles, ils essayent de faire quelque chose d'impossible, c'est irréalisable» (j'en connais beaucoup, ils se croient supérieurement intelligents). Mais même pour se situer, c'est eux-mêmes qui se situent... Elle était venue avec l'idée d'une hiérarchie. J'ai dit oui, tout est hiérarchisé, toujours, et surtout tous les individus conscients sont hiérarchisés, mais il n'y a aucune volonté arbitraire qui les hiérarchise: c'est d'eux-mêmes, spontanément, qu'ils prennent leur place sans le savoir, la place qu'ils doivent avoir; ce n'est pas, lui ai-je dit, ce n'est pas une décision, on ne veut pas de catégories: il y a ceux-ci, il y a ceux-là, et alors celui-ci entrera ici et celui-là entrera là – tout cela, lui ai-je dit, ce sont des constructions mentales, ça ne vaut rien! Mais la vraie chose, c'est que NATURELLEMENT, selon sa réceptivité, selon sa capacité, selon sa mission intérieure, chacun prend le poste, dans la hiérarchie, qu'il occupe véritablement, spontanément, sans aucune décision.
Ce que l'on peut faire pour la facilité de l'organisation, c'est une sorte de plan, ou de carte générale de façon que chacun n'ait pas besoin de construire sa position, qu'il la trouvera toute prête pour lui – c'est tout.
C'était amusant, mais très intéressant.
(Mère tend sa note au disciple) Mais l'eau des fleurs est tombée dessus, alors c'est à moitié effacé!
Le danger avec tous ces gens, c'est qu'ils veulent codifier.
Oh! ils veulent construire mentalement, comme cela, carré comme une prison, c'est affreux.
Mais, n'est-ce pas... quand elle vient, elle est très gentille, très gentille, très réceptive, très ouverte et tout à fait prête à recevoir et à entendre, tout au moins dans son attitude extérieure, mais il paraît qu'elle a un «groupe» là-bas, et alors dans ce groupe... (je l'ai entendu par des personnes qui y sont allées et qui sont sincères), c'est effrayant! N'est-ce pas, des jugements cassants. Et une supériorité écrasante.
C'est dommage1.
Il paraît aussi (elle ne m'a rien dit à moi, rien montré), mais enfin il paraît que le Bulletin est vieux-jeu.

 

Cela m'est venu. Ah!
Et c'est drôle, cela m'est venu comme venant de Y. Tiens!
Exactement le mot que tu as employé. Je ne sais pas pourquoi, un matin, il y a quelque chose qui a dit: «Ah! le Bulletin est vieux-jeu.» Et c'était comme si Y était au bout du fil. C'est amusant1.
(Mère reste silencieuse) Sri Aurobindo, c'est déjà «le passé»! Elle va vite!
Mais moi, je sais, parce que j'ai reçu une lettre d'elle où il y avait une indication. Elle disait que la Mère, dans ses quatre Aspects, d'après le livre de Sri Aurobindo, c'était «très bien pour la création d'aujourd'hui (ne disons pas encore d'hier, mais d'aujourd'hui!), mais pour la création de demain, il doit y avoir cet aspect d'Amour de la Mère, qui ne s'est pas encore manifesté.» Et alors, c'était mis très habilement, mais de telle façon qu'il était impossible de ne pas comprendre que c'était cette dame-là qui devait manifester Ça...
Moi, j'ai dit: «Très bien!» (Mère rit) J'ai dit: «Ce que le Seigneur veut, sera.» Mais depuis ce moment-là, je la traite... (comment dire?) plus que comme une égale: comme une supérieure, avec des affirmations... qui sont écrasantes pour elle. Et alors je ne perds pas une occasion de lui dire que pour faire ceci ou pour faire cela, ou pour manifester Ça ou pour... il faut être SPONTANÉMENT ET DÉFINITIVEMENT au-dessus de tout désir, de toute ambition, de toute préférence – et chaque fois comme cela (Mère fait le geste de marteler).
Rien ne bouge en elle apparemment, mais enfin... C'est bon (riant), si elle supporte le «test», on verra bien2.
Il y a quelque chose de très dur chez elle.
1. L'enregistrement reprend ci-après.
2. Le passage suivant a été omis de l'enregistrement.

 

Dur, oui très dur – sans merci.
Elle est comme la caricature de quelque chose d'autre. Exactement cela.
(silence)
Elle m'a apporté un petit poème en français sur «le Bien-Aimé et la Bien-Aimée» (tout ça, là-haut), qui ma foi est très joli. Alors elle me l'a lu et quand cela a été fini, je lui ai dit: «Mais l'Amour – ce Bien-Aimé et cette Bien-Aimée –, ce n'est pas une personne, ce ne sont pas des personnes; ce ne sont pas des êtres humains; ce ne sont même pas des êtres humains symboliques...» Et à ce moment-là, ça s'est ouvert là-haut et je lui ai dit ce que c'était.
Ça l'a prise à la gorge tellement fort que cela m'a presque donné une extinction de voix après1.
On verra bien. Tout le monde peut changer, non? Je lui donne sa pleine chance.
Justement, tu sais, c'est si admirable... N'importe où Ça se manifeste, cela n'a aucune importance; Ça se manifeste ici, là, là, là, cela n'a aucune importance, c'est toujours la même chose qui se manifeste, partout. Et là où Ça choisit de se manifester, là où nécessairement Ça doit se manifester le mieux – là, Ça se manifeste. La seule chose – la seule chose –, c'est de ne pas permettre à l'illusion et à la tromperie de se mélanger: de les tenir impitoyablement à leur place, autrement... Pas de malice de l'ego, on n'en veut pas; parce que c'est tout petit, mesquin, stupide, inutile et que c'est un gaspillage de temps, et que ça fait des remous inutiles dans l'atmosphère. Mais à part cela... Ça se manifeste ici ou là ou là2...
(silence)
Il y a des gens qui sont tout à fait pris par Y. Mais il y en a d'autres qui sont conscients et qui y sont allés une fois, et qui n'ont jamais plus remis les pieds là-bas.
Dès le début, j'ai senti un recul devant elle... La dureté de l'ego, c'est cela.
1. L'enregistrement reprend ci-après.
2. Le bref fragment suivant a été omis de l'enregistrement.

 

Oui, avec tout le masque de la bienveillance. C'est très intéressant1.
(long silence)
Mais les dieux, ils ont un ego divin. C'est cela qui était vraiment intéressant ce matin... Ils sentent qu'ils existent en eux-mêmes, par eux-mêmes, pour eux-mêmes (Mère ferme le poing). Seulement, n'est-ce pas, aucune comparaison avec la sordidité de l'ego humain.
Mais c'est cela qui était si intéressant ce matin... Quand ces ego divins auront abdiqué, et dans la mesure de cette abdication, cela fera une transformation extraordinaire dans la création. C'était comme une vision qui s'élaborait lentement (Mère ferme les yeux), ça faisait presque des images, c'était comme si l'on voyait la terre (geste comme une boule) et je vois l'image de Dourga (geste qui enveloppe la terre) et ensemble c'est très joli.
Et la terre dans ses bras...
(silence, les yeux clos)
Et dans ces visions (justement prenons celle-ci), Dourga a une forme visible, définie, et ce corps (de Mère) n'est pas là parce que ce corps appartient à ici, par terre; et alors c'est un centre rayonnant de lumière blanche qui peut prendre une forme (mais qui n'a pas de forme), qui est un rayonnement de lumière, une vibration de lumière, comme cela, de conscience – de lumière consciente; et ça, c'est très intéressant... (Mère reste les yeux clos.) Et c'était comme pour voir comment ça – cette conscience, cette lumière –, comment ça peut se manifester en des formes possibles sur la terre, sans perdre de la pureté et du rayonnement de la conscience...
(Mère entre dans une longue contemplation)
Il y avait là (geste entre Mère et le disciple), comme cela, une de ces sortes de lampadaires comme ils en font avec des serpents, tu sais? – mais c'était grand, c'était grand comme cela (environ un mètre cinquante). C'était en cuivre avec des incrustations, des dessins dedans, et ça se terminait par une boule qui contenait toutes les lumières, comme si chaque tête du serpent était une lumière – c'était magnifique! c'était vraiment magnifique. Et ça brûlait. Et il y avait des fleurs de «pouvoir» (hibiscus rouge) qui s'enguirlandaient

 

autour et qui étaient à la base. Et alors, il y a eu quelqu'un qui disait: «Est-ce que ce n'est pas plus beau que la réalité matérielle?...»
Et ça, c'était la construction artistique (mentale, artistique) qui est «plus belle que la réalité». C'est cela, l'idée gouvernante de la personne dont il était question. C'était cela, n'est-ce pas: «Est-ce que ça, ce n'est pas plus beau que la nature vraie?» Voilà,
C'était très beau, c'était une belle chose, mais... c'est la fossilisation mentale de la Chose. C'était très intéressant – inattendu, je ne m'attendais pas à voir cela: une forme de serpent lové, comme cela, en bronze, en bronze incrusté, mais d'un travail magnifique! Et les lampes qui brûlaient, la lumière qui brûlait... supérieure à la réalité: «Est-ce que ça, ce n'est pas supérieur?»
Et c'était pour moi d'un symbole tellement clair, j'en étais ahurie.
C'est pour ainsi dire le paroxysme de l'évolution mentale.
(silence)
Le Seigneur se sert de toutes choses, et Il n'a pas peur. Il se sert de toutes choses. C'est intéressant, très intéressant.
Comme Il s'est servi des dieux, comme Il se sert de tout, comme Il s'est servi des Adversaires... Tout... C'est tout des manières d'être, et tout conduit... là où on doit aller1.
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