26 juillet 1969
(Mère veut revoir avec le disciple quelques passages de sa traduction de «Savitri».)
Alors, maintenant, je suis en train de m'apercevoir que ces citations, ils coupent au milieu, ils enlèvent deux lignes, et alors tout d'un coup, je me dis: «Mais ça ne se suit pas!» Je demande, et F me dit: «Oui, ils ont enlevé une ligne, ils ont enlevé deux lignes...» Alors, que faire?
C'est absurde.
Voilà, il y a tout ça qui est prêt...
Moi, je n'ai pas besoin de voir: c'est toi qui dois voir. C'est ma traduction.
1. Voir Tome XXIII, Letters on Yoga, p. 904.

 

Qu'est-ce que je dois faire?
(Riant) Voir si ma traduction est bonne!
Mais écoute, douce Mère... pourquoi?
Non, parce qu'il y a des choses que l'on pourrait faire mieux.
Oui, mais je me méfie. Tu sais, j'ai appris que ce que l'on croit «mieux» avec la connaissance littéraire, n'est pas forcément mieux avec la force vraie.
Ça, je suis d'accord.
Écoute, au fond, ce qu'il faudrait, c'est que tu voies (tu peux voir tout de suite) et s'il y a quelque chose qui ne te paraît pas très bien... Moi, j'ai fait ça «comme ça»; je ne peux pas dire que je tienne à ma traduction, pas du tout, mais si tu pouvais me proposer quelque chose... (le disciple commence à lire un passage à haute voix)
Comme tu dis, le français peut être un peu maladroit, mais c'est peut-être la seule façon de traduire exactement. Certaines fois, je l'ai fait exprès.
Admis à travers le rideau d'un mental brillant
Qui est suspendu entre notre pensée et la vision absolue,
Il trouva la cave occulte, la porte mystique
Près du puits de vision dans l'âme,
Et entra là où les Ailes de Gloire couvent
Dans l'espace ensoleillé où tout est pour toujours connu.
(I.V.74)
Couvent?...
C'est l'image comme d'une poule qui couve des œufs! «The wings of Glory» [les Ailes de Gloire] couvent les choses pour qu'elles se réalisent.
Là, dans une chambre cachée, fermée et muette
Sont gardés les registres des archives cosmiques
Et là sont les tables de la Loi sacrée...
Les pouvoirs symboliques du nombre et de la forme
Et le code secret de l'histoire du monde,
Et la correspondance de la Nature avec l'âme

 

Sont écrits dans le cœur mystique de la vie. Dans l'incandescence de la chambre des souvenirs de l'Esprit Il put recouvrer les lumineuses notes marginales Parsemant de lumière le parchemin morose et ambigu.
(ibid.)
(Mère rit) «The crabbed ambiguous scroll!...» C'est tout?
Il vit la pensée sans forme dans les formes sans âme, Connut la Matière enceinte du sens spirituel. Le Mental osant l'étude de l'Inconnaissable, La Vie en gestation de l'Enfant Doré.
(I.V.76)
Une Volonté, un espoir immense s'emparèrent de son cœur, Et pour discerner la forme du surhomme, Il leva les yeux vers des hauteurs spirituelles invisibles, Aspirant à faire descendre un plus grand monde
(ibid.)
(silence)
Hier, j'étais en train de lire une autre partie de «Savitri» qui raconte comment le roi est transformé1 – ce sont TOUTES les expériences que mon corps est en train d'avoir! C'est intéressant.
Il y a TOUT dans ce «Savitri»!
Et il a dû les avoir pour pouvoir les décrire comme cela.
(silence)
Le mystère, c'est toujours pourquoi il est parti... Oui.
Je me souviens d'une façon tout à fait claire et précise (je vois encore le cadre et tout, dans sa chambre), d'une conversation que j'ai eue une fois avec lui – à la suite de quoi, je ne sais pas?... C'était... (je ne sais plus ce qui a précédé, tu comprends), mais il me disait: «We can't both remain upon earth, one must go.» [nous ne pouvons pas rester tous les deux sur terre, l'un de nous deux doit
1. The World-soul, II.XIV.

 

partir.] Et alors, moi, je lui ai dit: «I am ready, I'll go.» [je suis prête, je vais partir.] Alors il m'a dit: «No, you can't go, your body is better than mine, you can undergo the transformation better than I can do.» [Non, vous ne pouvez pas partir, votre corps est meilleur que le mien, vous pouvez mieux que moi subir la transformation.] Et ce qui est curieux, c'était... Ça a précédé toutes ses difficultés physiques.
Mais je n'y avais pas attaché beaucoup d'importance (à cette conversation); c'est seulement quand il est parti que, tout d'un coup, c'est venu et je me suis dit: «Mais voilà, il savait!»... C'était... je ne sais pas. C'était presque comme une spéculation, tu comprends, qu'il disait comme cela. C'était au moment où l'on a déménagé de l'autre maison à celle-ci1, parce que c'était dans cette chambre ici (en bas), un jour, et c'était avant son accident, avant qu'il ne se casse la jambe2. Et à la suite de quoi? je ne sais pas. C'est parti. Mais je me souviens clair-clair, je vois encore la chambre et tout, comment il était, comment il m'a dit: «We can't both remain upon earth.» [nous ne pouvons pas rester tous les deux sur terre.] C'est tout.
Mais pourquoi «deux» ne peuvent pas rester? Ah! voilà. Pourquoi?
Mais quand il me l'a dit, cela m'a paru si évident que je ne lui ai même pas demandé. Par conséquent, ce devait être à la suite de quelque chose, et ce quelque chose est parti.
Parce que je me souviens, je lui ai dit: «I am absolutely ready, I'll go» [je suis absolument prête, je vais partir], et alors il m'a regardée, il m'a dit: «No, no, your body is better than mine, it can undergo...» [non, non, votre corps est meilleur que le mien, il peut subir...]
Pourquoi?... Que de fois je me suis demandé cela depuis.
Oui, on serait tenté de penser qu'à deux, on peut se porter l'un l'autre mieux...
(après un silence)
1. En février 1927.
2. Le 24 novembre 1938.

 

C'est venu ces jours-ci encore une fois; encore une fois, j'ai regardé-regardé, et puis... (Mère ouvre les mains d'un geste de ne pas savoir). Ça dépendait de quelque chose, mais de quoi? Je ne sais pas.
(silence)
Je me souviens d'une autre chose, alors beaucoup plus récente. Quand il était parti, j'étais en bas (il y a très longtemps, il y a des années et des années – pas très longtemps, c'était peut-être un an ou deux après son départ), j'étais dans la salle de bains en bas, et dans cette salle de bains, le matin de bonne heure, je prenais mon petit déjeuner sur un coin de table, comme cela. Et alors, pendant que je commençais à manger, il est venu et il s'est tenu là (geste debout près de Mère), et il était tellement concret que j'avais l'impression que... il suffisait de très peu de chose pour qu'il redevienne matériel. Et alors je lui ai dit: «Oyou are coming back!» [oh! vous revenez!] Comme cela. And then... [et puis...] et il m'a répondu: «I'll be with you, but I can't come back materially I MUST NOT come back materially.» [je serai avec vous, mais je ne peux pas revenir matériellement – je ne dois pas revenir matériellement.]
Et c'était tellement matériel, j'ai eu tout d'un coup l'impression: oh! mais rien, un rien, et puis... [il se matérialiserait].
Mais est-ce que cela ne veut pas dire que ta présence ici pourrait l'aider, un jour, à se matérialiser dans un autre corps?
Oui-oui... Ça, il a dit clairement (je le lui ai demandé), il a dit clairement: «I'll come back only in a supramental body.» [je reviendrai seulement dans un corps supramental.]
Ça, c'était avant ce que je viens de dire.
Alors c'est toi qui l'aiderais à se matérialiser? Oui-oui.
Mais c'est la grosse question de ce corps supramental, je ne sais pas.
Oui, mais s'il se matérialise, c'est différent. Ce n'est pas la même chose que de le créer.
Oui.
Si Sri Aurobindo se rematérialise, mais dans un autre corps...

 

Ah! dans un corps vivant...
Dans un corps vivant mais d'une autre substance que la substance physique.
Oui, mais c'est ce que je dis – cette substance, quand, comment, quoi?...
Mais à un niveau très inférieur, on fait des matérialisations qui durent: comme ces cailloux que l'on a jetés sur le «Guest House1».
Oui.
Alors pourquoi cette substance de lumière ne pourrait-elle pas se matérialiser de la même façon?
(long silence)
Les êtres qui font ces matérialisations ont un corps toujours très gras, et c'est une substance spéciale (tous ces médiums). Et ce ne sont pas des matérialisations permanentes.
Celle des pierres était permanente, ces cailloux que l'on a jetés2.
(silence)
Tiens, cela me fait penser à une chose, tu sais ce S.B. qui a de grands cheveux?... le docteur S vient d'aller le voir – il est revenu avec une bague. Moi, j'ai toujours pensé que c'était un truc de prestidigitation quelconque, mais le docteur a l'air de dire... il a dit: «Il a fait un geste (comme un tour de passe-passe), et puis il a mis ça dans ma main.»
C'est peut-être une matérialisation.
Oui, mais ce genre de matérialisation, il le fait – il le fait beaucoup, cet homme-là –, mais il se sert des entités les plus basses du monde vital; c'est un homme qui a un commerce dégoûtant avec des entités inférieures3.
1. En 1920.
2. Certains disciples (Amrita) en ont gardées pendant plusieurs années.
3. A ce sujet, on lira avec intérêt (lorsqu'ils seront publiés) les Entretiens du soir de Sri Aurobindo, notés par Pavitra, notamment l'entretien du 12 mai 1926.

 

Ah?
Oui, tandis que ça (la matérialisation supramentale], c'est un autre genre de matérialisation... Il se sert d'entités tout à fait en bas.
En tout cas, j'ai vu quand le docteur est revenu: ça se passe uniquement dans le Vital. Ça, je suis sûre.
Mais il matérialise.
Il matérialise.
(silence)
En tout cas, tout cela, je ne sais pas. C'est tout à fait en dehors de ma conscience.
Oui, mais ça [le truc de la bague], c'est tout à fait en bas. Il s'agirait d'un autre genre de matérialisation.
(long silence)
On verra.
Moi, je ne sais pas.
(silence)
Dans une imagination enfantine, on peut imaginer un Sri Aurobindo dont la substance lumineuse grandit, se développe, et puis quand le moment est prêt, il y a peut-être juste un passage à faire.
C'est possible. En tout cas, qu'il soit dans le physique subtil, c'est sûr. Il est tout le temps là.
Mais ce corps sait très bien qu'il n'est pas doué de capacités exceptionnelles... il ne se fait pas d'illusions. Tout ce qu'il a, c'est une foi ardente-constante-intense, ça!... Et que rien ne peut remuer. Mais c'est tout.
Et il n'a jamais eu le désir ou l'ambition de faire des miracles – ça ne l'intéresse pas. Il a vu beaucoup de choses miraculeuses, mais il a toujours senti que c'était... c'était le Seigneur Surpême qui faisait comme cela (ça lui paraît tout à fait naturel, d'ailleurs). Mais les imaginations de choses... Quand elles viennent, il les repousse, il dit: «Non, ça ne m'intéresse pas.» Les choses que les gens trouvent

 

«merveilleuses», tout ça ne l'intéresse pas. Il ne serait pas étonné de voir entrer Sri Aurobindo un jour – ça non; mais il n'a pas... il n'a pas envie de le faire, tu comprends! il ne sent pas le besoin d'épater les gens – pas du tout.
Oui-oui!
On verra1. (Mère rit)
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