1er avril 1970
T m'a posé des questions à propos de la mort de son frère, N.J.1. Il paraît que quelques mois avant de mourir, il savait qu'il allait mourir et il a dit: «Mais je reviendrai à l'Ashram.» Et alors, sa sœur le voyait; je lui ai dit: «Quand il est mort, moi, je sais que je l'ai conduit à l'endroit du repos – il a pu en sortir.» Et puis quand elle m'en a parlé, je me suis un peu concentrée, et j'ai vu, une nuit; je l'ai vu revenu: il était dans le corps d'un enfant de deux ou trois ans. Mais je ne l'ai pas vu ici – je ne sais pas où il est.
(silence)
Il y avait un Aphorisme très curieux que j'ai vu hier. Je ne sais pas quand il a écrit cela... J'ai simplement mis en bas: «Rien à dire.»
Je ne sais pas, c'est étrange... Un Aphorisme où il dit: «Jouir de la Nature comme on jouit du corps d'une femme»! (Mère rit)
429 – À quoi sert d'admirer la Nature ou de l'adorer comme un Pouvoir ou une Présence ou une déesse? À quoi sert aussi de l'apprécier esthétiquement ou artistiquement? Le secret est de jouir d'elle avec l'âme comme on jouit d'une femme avec le corps.
Tu as vu ma réponse?
Oui: «Rien à dire.»
Rien à dire, oui2.
Il y en a un autre où il a dit: «Je ne savais pas qui j'aimais davantage, Kâli ou Krishna...?» (c'est un commentaire, je ne cite pas exactement). «... Et puis je me suis aperçu que d'aimer Kâli, c'était m'aimer moi-même, tandis que d'aimer Krishna, c'était aimer moi-même et quelqu'un d'autre aussi...»
428 – Pendant un certain temps, je ne sais pas qui j'aimais le plus, de Krishna ou de Kâli; quand j'aimais Kâli, c'était m'aimer moi-même, mais quand j'aimais
1. Un jeune moniteur qui a quitté son corps il y a quelques années.
2. L'enregistrement du début de cette conversation n'a pas été conservé.

 

Krishna, j'aimais un autre, et en même temps c'était moi-même que j'aimais. Ainsi, j'en vins à aimer Krishna encore plus que Kâli.
Qu'est-ce qu'il veut dire exactement? Je ne comprends pas... Il écrit comme s'il se sentait identifié à Kâli plus qu'à Krishna. Et pourtant (et ça, il me l'a dit), il y avait quelque chose de Krishna en lui.
Alors, j'aurais voulu savoir si toutes ces choses ont été écrites au même moment ou à des années de distance?
Nolini semblait dire que c'était au début.
Oui, c'était au début.
À une époque où il signait toutes ses lettres Kâli [vers 1910].
Ah! il y avait une époque où il signait Kâli...
Il signait toujours ses lettres Kâli: les lettres à Motilal1, par exemple.
Ah! je n'ai jamais vu. Tiens, je ne savais pas. Alors, c'est à ce moment-là.
(silence)
C'était certainement longtemps avant que je ne vienne2.
(silence)
Est-ce que je t'ai dit la vision que j'avais eue ici?... J'en ai eu beaucoup, mais il y en a une... C'était après que la guerre avait été déclarée: entre le moment où la guerre (la première guerre) a été déclarée et mon départ. Il y a eu une assez longue période: la guerre a été déclarée au mois d'août et je suis partie au mois de février d'après. Eh bien, entre les deux, un jour que j'étais en méditation, j'ai vu entrer par la porte Kâli – la Kâli vitale nue, avec une guirlande de têtes –, et elle est entrée en dansant. Et elle m'a dit (elle est restée
1. Un disciple de Chandernagor.
2. En 1914.

 

comme cela, à une certaine distance), elle m'a dit... je ne me souviens plus exactement des mots, mais: «Paris est pris...» ou «Paris va être pris» ou «Paris est détruit» (quelque chose comme cela), enfin les Allemands marchaient sur Paris. Et alors, à ce moment-là, j'ai vu la Mère – la Mère, c'est-à-dire... (comment l'appelle-t-il? Maha...)
Mahashakti.
Énorme!... N'est-ce pas, Kâli était d'une taille humaine, et elle, énorme (elle montait jusqu'au plafond). Elle est entrée derrière et elle s'est tenue là, et elle a dit: NON – simplement, comme cela (d'un ton tranquillement définitif). Alors, moi (riant)... À ce moment-là, il n'y avait pas de radio, on recevait les nouvelles par télégramme; alors on a reçu la nouvelle que les Allemands marchaient sur Paris, et au moment (c'est-à-dire le jour où j'ai eu ma vision), au moment correspondant, ils ont eu une panique, sans raison, et ils se sont retournés, ils sont partis... C'était juste au moment... Ils marchaient sur Paris; alors Kâli est entrée, disant: «Paris est pris.» Et puis Elle est venue (Mère abat sa main souverainement): NON... Comme ça. C'était vraiment remarquable parce que j'étais simplement comme cela, assise, à regarder. Et c'est devant moi que ça s'est passé.
J'ai dit cela à Sri Aurobindo, il n'a rien dit. C'est lui qui recevait les nouvelles; et après, dans l'après-midi, il m'a dit: «Voilà les nouvelles...» Il paraît qu'ils ont été pris de panique tout d'un coup; ils se sont dit «Ce n'est pas possible» (il n'y avait personne pour s'opposer à eux, la voie était ouverte, c'était tout clair, ils ne rencontraient personne, rien), ils se sont dit «C'est un traquenard.» Et... (riant) ils se sont sauvés. Ils ont tourné le dos, ils sont partis... C'était vraiment intéressant.
(silence)
Je n'ai jamais entendu Sri Aurobindo me dire ces choses-là (sur Kâli et Krishna). Je sais qu'il y avait quelque chose de Krishna – il me l'a dit, je le voyais; c'était ce que je voyais, mais il l'a confirmé, il me l'a dit. Il y a même un jour où il a senti Krishna qui était EN lui, et alors... (il n'était pas encore retiré à ce moment-là, il voyait tout le monde: il voyait les gens, c'est le moment où il voyait Pavitra et les autres1), et alors il a appelé tous les gens2 et il s'est assis dans la
1. C'est l'époque des Entretiens du Soir, entre 1923 et 1926.
2. Le 24 novembre 1926.

 

véranda de cette maison (la maison qui est au-dessus de l'entrée de l'Ashram), il s'est assis là, il m'a fait asseoir à côté de lui, puis il a appelé tout le monde, et puis il a dit: «J'ai pris la résolution de me retirer de l'activité et c'est elle qui sera votre Mère et qui vous...» Officiellement, il m'a nommée. Et puis il s'est retiré dans sa chambre. Et moi, je fonctionnais dans ce qui est maintenant «Prospérité»... Et à ce moment-là, il sentait que Krishna était en lui – c'est pour cela qu'il s'était retiré.
Il n'aurait pas pu continuer dans l'activité avec la présence de Krishna?
Je ne sais pas.
Je ne sais pas... Je ne lui posais jamais de questions, pour dire la vérité; je ne demandais jamais rien: j'écoutais ce qu'il disait.
(long silence)
C'est à ce moment-là que, moi, je suis restée dix jours sans manger, pour voir.
(Mère entre dans une longue contemplation)
Je passe les nuits – presque les nuits entières comme cela: je ne dors pas et... ça passe si vite!... Quelquefois, j'ai des visions1.
(Mère replonge)
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