18 avril 1970
(La voix de Mère semble de plus en plus frêle. Cette conversation contient peut-être la clef de tout.)
Alors, aujourd'hui tu as apporté des questions?
Oui, douce Mère, il y en a aussi d'elle [désignant Sujata].
Tu commences, et puis elle dira.

 

Je ne sais pas si c'est une «question», mais... Je ne comprends pas très bien le fonctionnement du physique subtil, ou le rapport entre le physique subtil et le physique matériel. Par exemple, tu dis que Sri Aurobindo est dans le physique subtil et qu'il travaille à préparer le nouveau monde...
Oui.
Et que souvent, nous-mêmes, la nuit, par une partie de notre être, nous travaillons là aussi à préparer... ce qui viendra. Comment...?
Écoute, ta question vient juste à point. Cette nuit, pour la première fois – c'est vraiment la première fois. Ce n'était pas un rêve, je n'étais pas endormie, et j'ai eu toute une histoire (que je vais te raconter), absolument persuadée au moment même que c'était quelque chose qui se passait ici (pas sous cette forme peut-être, mais enfin sous une forme analogue), et puis je me suis aperçue qu'il ne s'était rien passé ici (en tout cas extérieurement il n'y a aucun signe)... Ça m'ennuie seulement de donner les noms. Mais je ne dirai pas les noms, ça n'a pas d'importance. Mais c'étaient les noms, les personnes, tout-tout exact, comme ici.
Je ne me souviens plus comment cela a commencé, mais j'étais très malade, gravement malade, et mon corps ne dormait pas, mais n'était pas réveillé (c'est un état assez normal maintenant: je suis absorbée dans une conscience, que je crois être la conscience du physique subtil, du moins cette nuit j'étais là). Alors j'étais très malade et je savais que ce n'était pas ce corps-ci (mais c'était la conscience de ce corps), et c'était une famille de l'Ashram, et le père cherchait secours et était à la recherche du docteur (et tous les détails avec une précision!...). Alors, pendant que ça se passait, le corps lui-même se disait: «Donc, je suis identifié avec cette personne puisque c'est elle (c'est-à-dire moi) qu'il soigne; et puisque je suis identifié à cette personne, il faut que je fasse en elle ce qui est nécessaire.» Alors, je me suis concentrée et j'ai appelé les forces du Seigneur et je l'ai soignée. Tout cela, dans les moindres détails. Ça a duré pendant deux heures. Et en même temps, je voyais des gens qui étaient extraordinairement intéressés par l'événement et qui regardaient; et parmi ces gens, par exemple, pour ne pas le nommer, il y avait Nolini qui était penché comme cela et qui regardait (Mère ouvre de grands yeux) pour tâcher de comprendre ce qui se passait. C'est-à-dire que ça se passait dans un monde qui avait toute l'apparence – toute l'apparence – du monde matériel, mais où l'on était conscient.

 

Je ne raconte pas tous les détails, mais mon corps sentait la bataille de la maladie. Et il savait en même temps que ce n'était pas le sien, tu comprends? C'était comme cela, c'était une conscience très complexe et très précise, avec une grande force. Et tout cela était en même temps: je ne dormais pas.
Je m'attendais ce matin à ce que l'on me dise que quelque chose de très grave s'était passé dans cette famille (il y a dans la famille trois personnes malades: trois femmes), qu'à l'une des trois, il était arrivé quelque chose. Et il n'est rien arrivé!... Et ça, c'était un fait, enfin c'était vécu dans tous les détails, avec une conscience absolument claire, et c'était dans le physique subtil. Mais... mais, je te dis, je sentais, le corps se sentait très-très malade. Et il savait en même temps que c'était la maladie d'une autre personne. Et il a pris l'attitude, il a dit: «Ça arrive comme cela pour que je prenne l'attitude qu'il faut pour cette personne.» Et tout cela, tout ça, pleinement conscient. Il a pris l'attitude et il l'a gardée pendant deux heures comme cela.
Il n'y a qu'une possibilité: ça s'est passé la nuit et ces personnes étaient endormies et elles ne s'en sont pas aperçues... Tu comprends, ce corps a l'impression d'avoir sauvé la vie à quelqu'un.
Oui, on ne t'a pas dit qu'il y avait eu quelque chose parce que tu as empêché l'accident d'arriver.
La fin, je ne sais pas. Je me suis «réveillée», je suis revenue à la conscience ordinaire. À un moment, j'ai dû me lever, et... ça a été plutôt un soulagement pour le corps parce qu'il souffrait. Après, il n'a plus souffert. Mais c'était parce que le travail était fini.
Oui, il n'y a rien eu dans le physique parce que tu as arrêté la chose dans le physique subtil.
Peut-être bien. Mais c'est... jamais-jamais je n'ai vécu si totalement dans le physique subtil, en pleine conscience, sans dormir (et j'étais couchée sur mon lit), et ça a duré deux heures. Et les choses aussi réelles, aussi précises qu'ici... Et la même volonté: ce n'est pas une autre volonté, c'est la même volonté; c'est la Volonté divine à travers le psychique qui agit dans ce corps. Alors elle a dit: là et ici, sans différence. C'est-à-dire que quand je suis dans ce physique subtil ou quand je suis dans le physique matériel, c'est la même volonté, la même volonté psychique qui agit – la même, exactement et de la même manière. Ce qui fait que... je ne sais pas quelle est la

 

différence. C'est une différence... c'est mince, on n'a pas l'impression de quelque chose d'épais ni de lourd: c'est mince. Cette union-là entre les deux, entre le physique subtil et le physique matériel, se fait tout le temps – jour-nuit-jour-nuit. Le travail est... On pourrait presque dire: on essaye de remplacer l'un par l'autre.
Et tu sais, les figures, les expressions, les gestes, les mouvements, les paroles: aussi précis, aussi précis qu'ils le sont ici. Et ça semble être une réponse... parce que j'ai demandé (c'est hier, je crois, dans la journée d'hier; justement quand je suis comme cela assise, comme j'étais l'autre jour avec toi, les deux mondes sont fondus – Mère tient les doigts de sa main droite entre les doigts de sa main gauche –, on ne peut pas sentir la différence), j'ai demandé à Sri Aurobindo si les choses étaient aussi précises et exactes; alors il m'a dit oui, il m'a répondu oui, mais que je devais en avoir l'expérience. Et cette expérience, je l'ai eue cette nuit d'une façon tout à fait inattendue. C'était vers trois heures du matin (entre deux heures et trois heures du matin).
Et alors, j'ai vu une personne de la famille en question, ce matin, qui aurait pu être l'une des gravement malades – elle ne mentionnait rien, ne parlait de rien... Par conséquent, peut-être que ça a commencé pour elle dans le sommeil et que l'action (de Mère) a suffi pour la guérir sans qu'elle devienne consciente. C'est possible.
Tu comprends, c'est ce genre de conscience qui dit: «Mon corps souffre», et ce n'était pas mon corps: c'était le corps de quelqu'un d'autre. Il a dit: «Je souffre, mais je sais que ce n'est pas moi; c'est la souffrance d'une des personnes de cette famille (et je n'ai pas cherché à savoir laquelle), et c'est pour cela, c'est parce qu'il faut que je fasse ce que je ferais dans mon propre cas», et je l'ai fait, et cela a duré pendant deux heures.
C'est la première fois. Toutes les nuits, c'est comme cela, mais c'est fugitif, ça vient pour un détail, un moment; le reste du temps, je suis dans une Paix parfaite. C'est la première fois que j'ai une action comme cela. Et j'étais tellement malade (!) que je me suis demandé (pendant que ça durait), je me suis demandé s'il n'allait pas m'en rester quelque chose physiquement. Et c'est pour cela, quand j'ai senti qu'il fallait me lever, j'ai pensé que c'était voulu aussi; je me suis levée et je me suis aperçue: rien!
Mais ça donne des indications (c'est de plus en plus, c'est jour après jour, expérience après expérience), des indications à quel point l'intervention de cette Volonté (que nous appelons la Volonté divine) à travers le psychique (ou même directe, ça dépend des cas), à quel point c'est... c'est tout-puissant. Et ça dépend exclusivement...

 

Cette Volonté est toujours active pour l'Harmonie parfaite – oui, l'Harmonie parfaite telle que nous pouvons la concevoir; il y a aussi là, dans la conception, la connaissance que ça aussi, ça progressera, qu'une fois que cette harmonie-là sera manifestée, alors commencera le travail pour une autre perfection, qui pour le moment nous échappe. Ça aussi, ça sait.
Et de plus en plus, c'est comme une sorte de... ce n'est pas positivement une fusion (entre le physique subtil et le physique matériel), mais... (comment dire?...) Pour que tout se tienne ensemble, il y a cette manière d'être de la conscience matérielle qui continue (la conscience physique matérielle), mais là-dedans, se produit une perméation (c'est vraiment une perméation) qui ne chasse pas l'autre, mais... il est probable qu'à l'usage, ça transformera l'autre. Ça ne la chasse pas (la conscience matérielle), mais c'est là et ça domine – des fois, ça ne domine pas, c'est l'autre qui domine; et alors, suivant le cas... ça change les circonstances extérieures (c'est difficile à expliquer).
Ça change les circonstances extérieures?
Extérieures.
Aah!...
Extérieures. Cette pénétration a certainement l'intention (mais c'est probablement très loin) d'un remplacement, tu comprends? Ce physique subtil est en train de... (Mère fait un geste comme pour user une paroi), de travailler pour prendre la place de l'autre, mais pas par élimination: par transformation. Mais on voit (comme on perçoit les deux en même temps, on voit très bien): c'est un travail formidable.
Et ça enlève de la fixité (ce n'est pas seulement fixe: c'est friable); notre physique est friable, et ça enlève cette friabilité: là où ça casse, ça plie, tu comprends? Là où ça s'émiette, c'est fluide, ça devient (Mère fait un geste arrondi)... C'est très curieux. C'est difficile à expliquer.
Je m'étais demandé cela, je m'étais dit: «Mais comment? comment est-ce que1...?» Alors, avec ces expériences-là, je vois. Seulement, n'est-ce pas, c'est un travail colossal...
Certainement, le corps (de Mère) a été choisi comme champ d'expérience pour une raison quelconque, qui doit être une raison
1. Mère veut sans doute dire: comment se fera le passage?

 

de plasticité de la substance (je ne sais pas). Il y a peut-être une raison, mais en tout cas c'est un fait qu'il a été choisi pour faire l'expérience. Parce que l'expérience est en train de se faire: ça commence par le plus subtil et on voit que ça va... (Mère fait un geste de descente progressive dans la Matière). Depuis des mois et des mois, ça a commencé par le plus subtil, et puis, petit à petit, très lentement et très progressivement, ça descend dans un domaine plus matériel. Cette nuit, c'était vraiment remarquable... On n'aurait pas pu dire: enfin ça, c'est le physique subtil, et ça, c'est le physique matériel; c'était... (Mère tient les doigts de sa main droite étroitement serrés entre les doigts de sa main gauche)... c'était étonnamment l'un dans l'autre. On n'a pas l'impression de deux choses, et c'est pourtant très différent – ce serait plutôt une modalité qu'une différence (je ne sais pas comment dire) et qui vient exclusivement de la conscience. C'est un phénomène de conscience.
Dans l'expérience de cette nuit, c'était tout à la fois: le corps sentait, il agissait, il était conscient, il observait, il décidait, et tout-tout-tout à la fois. Il y a même eu... Je ne sais pas, je n'ai pas eu la vision de Sri Aurobindo mais j'avais la sensation de sa présence (ça arrive souvent: parfois, je le vois et il ne me parle pas; parfois, je ne le vois pas et j'entends, il me parle – les lois ne sont pas les mêmes), mais il m'a fait remarquer, ou plutôt j'ai noté que, quoique le corps souffrait beaucoup (n'est-ce pas, la situation était critique), il n'y a pas eu l'ombre d'une peur dans le corps. Alors il m'a dit: «Oui, c'est parce qu'il est capable de ne pas avoir peur que tu peux faire la chose.»
Ça, l'absence de peur, c'est vraiment le résultat du yoga depuis tant d'années – depuis un demi-siècle.
Il était comme ça (geste mains ouvertes), il offrait sa souffrance, tout le temps comme ça.
(silence)
Après cette nuit, j'ai tout lieu de penser que le travail est très-très actif, très actif.
Mais d'une façon terrestre, comment les choses se passent-elles? Par exemple, tu dis que Sri Aurobindo, toi, et beaucoup d'entre nous, travaillent dans ce physique subtil à préparer le monde nouveau, comment se fait la perméation de ce physique subtil?
Mais comme ça.
De la même façon?

 

Comme ça – c'est ça, c'est ça le travail: perméation. Mais ça se fait terrestrement? Oui.
En chacun.
Oui, oh! je reçois des lettres de gens avec des expériences ahurissantes, pas du tout proportionnées à leur degré d'intelligence ou à leur degré de développement – des expériences ahurissantes. Ils sont eux-mêmes ahuris. Des expériences très différentes les unes des autres mais toutes que je connais. Je connais que ce sont les expériences du physique subtil. Des gens que je connais ou que je ne connais pas, m'écrivent (ils viennent, ils ont lu ton livre ou ils ont entendu parler de Sri Aurobindo ou...), et ils décrivent ça comme je le décrivais moi-même, c'est-à-dire avec la pleine connaissance. Et ils ne savent rien! C'est tout à fait ahurissant, oh!...
Oui. Et alors, quand on est dans cette conscience physique subtile, les lois changent – on peut changer la loi matérielle si l'on est dans cette conscience-là.
Oui, ça ne fonctionne pas du tout de la même manière. Je veux dire que...
Mon petit, on a pris grand soin de ne pas mentaliser cette chose. Et probablement, c'est très utile.
La conscience est très active – une conscience tout à fait éveillée à la moindre chose – mais la description mentale... (Mère secoue la tête). De temps en temps, par la vieille habitude, je pose une question comme cela, mentale, et toujours je reçois la même réponse: il ne faut pas mentaliser.
Ça ramène la vieille manière immédiatement.
Je veux dire: j'ai eu une ou deux fois une perception si intense que c'est presque une expérience, même si c'est seulement mental, que dans un certain état de conscience, toutes les lois physiques s'écroulaient...
Oui, oui.

 

Vraiment, elles n'avaient pas de pouvoir.
Oui, c'est tout à fait vrai. Elles n'ont pas de sens.
C'est ça, pas de sens.
Elles n'ont pas de sens, au point... Je me souviens, cette nuit, d'une chose: tout d'un coup, j'ai vu un fonctionnement et je me suis dit: «Ah! ça, si on savait ça, combien de choses – combien de peurs, combien de combinaisons, combien de... s'effriteraient, n'auraient plus de sens!» C'était... ce qui nous paraît les «lois de la Nature», les choses «inéluctables», c'était absurde, une absurdité!
Oui, et je sentais cela comme quelque chose de mince, comme une pellicule, quelque chose qui n'a... Ces lois si formidables, c'était quelque chose de très mince.
Oui-oui!
Il n'y avait presque qu'à souffler dessus.
Oui, c'est ça. Oui. Avec la vraie conscience, ça s'effrite.
(silence)
Plusieurs fois comme cela, quand les gens me disent qu'ils sentent comme s'ils étaient devant une loi inéluctable: «Il y a ça et ça, par conséquent ça, c'est inévitable», et la réponse est toujours la même: Si vous voulez!
C'est vous qui décidez que c'est inéluctable!
(silence)
Ce matin, quand je me suis aperçue qu'il n'y avait pas de trace (le corps était plutôt mieux qu'il n'est d'habitude, après ça), il était un peu étonné tout de même et il se disait...
(Mère est brusquement coupée)
Ah! on ne veut pas que ce soit dit...
Ça, c'était une expérience extraordinaire.
Ça revenait à ceci... «Oui, le monde est encore comme cela pour toi parce que Tu le veux comme cela; quand Tu ne le voudras plus

 

comme cela, il sera de la vraie manière.» Alors... Mais «Tu le veux», ce n'est pas l'idée du petit ego qui veut, n'est-ce pas, ça n'a rien à voir avec ça.
C'est probablement une... il y a une position à changer, une position de la conscience qui est à changer.
(long silence)
Mais j'ai eu clairement la connaissance que ce dont j'ai été consciente cette nuit, ce sont des choses qui se passent constamment, mais je n'en suis pas consciente parce que... pour ne pas aggraver la somme de conscience. En ce moment, la quantité de choses qui sont conscientes en même temps (en Mère), au point de vue ordinaire, pour un être humain ordinaire, c'est formidable!... C'est sans fatigue, sans effort, sans difficulté, naturel, mais il y en a beaucoup plus qui se font consciemment et qui ne sont pas transmises au centre de conscience pour... pour que ce ne soit pas trop!
Il y a aussi cette chose que l'on connaît bien: suivant la concentration de la conscience, la valeur du temps change. Ça, c'est perpétuel et constant. Les mêmes circonstances, les mêmes petits événements de chaque jour, on me les fait sentir avec la conscience ordinaire, et puis trois ou quatre consciences différentes, et la valeur change. Ça va depuis un temps long, interminable, jusqu'à... une seconde. C'est-à-dire que l'irréalité du temps tel que nous le percevons ici est démontrée – ça, tous les jours, tout le temps.
Il y a une Force qui agit... Ça, je pense, j'ai l'impression que c'est la Force, parce que c'est à travers la volonté (mais c'est plus profond ou plus vrai ou plus haut, je ne sais pas, que la volonté). Par exemple, si «on» ne veut pas que je dise quelque chose, au lieu de passer par une pensée: «Ne pas dire, il ne faut pas dire» – Je ne peux plus parler!... Et toutes sortes de choses comme cela. Le fonctionnement est direct.
Et le corps, on lui apprend à apprendre... comment être. Sa façon de manger a tout à fait changé. Pour parler, c'est comme cela aussi, c'est tout à fait changé.
Il y a des moments où le corps sent une force si grande qu'il a l'impression qu'il pourrait faire (il sent, il voit bien, les mains sont fortes), une force... une force d'une autre qualité, mais beaucoup plus grande qu'avant. Et il y a des moments où il ne peut même pas se tenir debout, et pour une raison qui n'est... Il n'est plus, il n'obéit plus aux mêmes lois que les lois qui vous font tenir debout. Alors... Et cela, tout ça se passe dans la même journée!...

 

Ah! (s'adressant à Sujata) pose ta question.
Douce Mère, est-ce qu'il existe une «Mère de l'Ignorance»?
Qu'est-ce que tu appelles une Mère d'Ignorance?
J'ai eu un rêve où il m'a semblé rencontrer une personne qui était la Mère de l'Ignorance.
C'est possible... C'est possible, oh! oui. Mon petit, tout est possible, et non seulement possible: tout est. Mais tout n'est pas sur la terre, n'est-ce pas. Tu comprends, il y a beaucoup de mondes, il y a beaucoup de régions – il n'y a pas une chose qui soit impossible et qui ne soit pas: du fait qu'elle est possible, cela veut dire qu'elle est quelque part.
Logiquement, il doit y avoir une Mère d'Ignorance.
(Satprem à Sujata:) Qu'est-ce qu'elle faisait, la Mère de l'Ignorance?
(Sujata:) Dans mon rêve?... J'ai eu un long rêve et vers la fin, je l'ai rencontrée; je devais traverser, et je lui ai dit: je dois aller à la Lumière, à la Mère de Lumière.
(Satprem:) Et alors?
(Sujata:) Alors le rêve a disparu.
(Mère n'a pas entendu)
Tu l'as rencontrée, elle t'a parlé?
Oui, Mère, elle m'a parlé.
Et alors, qu'est-ce que tu lui as dit?
(Satprem:) Qu'elle voulait aller à la Mère de Lumière.
Ah! (riant) alors elle est partie!
(Sujata:) Mais elle était là, comme si...
Comme si elle gouvernait.

 

Oui, Mère, comme si elle gouvernait. C'est cela.
Qu'est-ce que c'est que ces régions?... Il y a des quantités de régions. Il y a des choses inimaginables. Mais ça, où est-ce? Je ne sais pas.
(Satprem à Sujata:) Raconte ton rêve.
(Mère enchaîne)
Ce doit être dans une région intermédiaire entre le physique, le vital et le mental physiques les plus matériels. Il y a tout ce que tu peux imaginer, on voit les choses les plus extraordinaires. Et c'est comme cela. C'est étrange même, on a une puissance là: une goutte de vérité a une puissance for-mi-da-ble dans ces mondes. Tu peux, d'un seul mouvement, changer des tas de choses. Seulement, n'est-ce pas, on les crée aussi comme cela: le mouvement contraire, le mouvement d'ignorance (tous les mouvements d'ignorance du monde) créent tout le temps des choses. C'est-à-dire que c'est mettre en forme ou rendre actif, ou faire agir... Seulement, c'est une réalité... d'abord, c'est d'une réalité impermanente. Au fond, il y a très peu de formes – de formes, de pensées – qui aient une réalité éternelle: tout cela (Mère fait un geste de refonte perpétuelle) est tout le temps en train de bouger-changer.
Je me souviens, la première fois (il y a fort longtemps de cela, il y a soixante... plus de soixante ans), la première fois que j'ai demandé: «Mais pourquoi meurt-on, pourquoi vit-on pour mourir? – C'est idiot!» Alors, à ce moment-là, on m'a fait comprendre que tout ce qui nous paraît «forme», c'est... (même geste en mouvement perpétuel). C'est notre petite conscience... crispée; une conscience crispée qui fait que ça nous paraît un phénomène «formidable»: on est petit, on devient grand et puis au bout, on se dissout. Mais tout est comme cela (même geste), tout est comme cela! il y a très peu de choses – très peu – qui soient éternelles. Ça a une autre qualité. Ça, c'est la première expérience que l'on a quand on touche à ce qui est éternel: ça a une autre qualité vibratoire... Et alors, cette volonté de vouloir faire durer ça (Mère désigne le corps) qui est fait, tout fait de mouvements faux – mouvements faux et tout le temps en mouvement, tout le temps en changement, tout le temps (même geste)... Comme Sri Aurobindo l'a dit: «Vous voulez faire durer votre corps et votre entourage tel qu'il est comme ça?» – Ah! non

 

merci! (Mère rit) Durer, c'est justement devenir conscient, pleinement conscient dans le monde éternel.
(silence)
Il savait tout cela, Sri Aurobindo... Tu as vu encore les derniers Aphorismes?
Sur le rire?
(le disciple lit)
479 – Un Dieu qui ne peut pas sourire n'aurait pas pu créer cet univers plein d'humour.
(Mère rit)
477 – Quand donc le monde changera-t-il à l'image du ciel? – Quand toute l'humanité deviendra telle des garçons et des filles jouant ensemble dans le jardin du Paradis, avec Dieu se révélant comme Krishna et Kâli – le garçon le plus joyeux et la fille la plus forte de la foule. L'Éden sémitique était assez bon, mais Adam et Eve étaient trop âgés, et même son Dieu était trop vieux et trop sévère et trop solennel...
Oh!... (Mère rit)
... pour que l'on puisse résister à l'offre du Serpent.
C'est vraiment admirable!
(silence)
(S'adressant à Sujata) Alors, la prochaine fois, si tu la vois, tu lui diras: «Ton heure sera bientôt passée.»
(Sujata:) Je lui ai dit tout simplement: «Ô Mère de l'Ignorance, c'est à la Mère de Lumière que je veux aller.»
Ça a suffi1! (Mère rit)

 

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