2 mai 1970
J'ai quelque chose pour toi... (Mère désigne une note écrite.)
C'était il y a deux ou trois jours, c'est venu impérativement comme ça, à propos d'une histoire. Ils ont des réunions à Auroville, à «Aspiration»; je crois que ce sont des méditations, ou quelque chose comme cela, je n'en sais rien. Il y en a un qui est arrivé et qui a placé ma photographie; alors un autre s'est précipité dans sa chambre et puis il est revenu avec une croix!... Et il a dit: «Non, si vous mettez une photographie de Mère, moi, je mets ma croix.» On m'a raconté cela. On me l'a raconté parce que celui qui avait mis la croix était venu me voir avec les autres (ils viennent une fois par semaine, quelques-uns, quatre ou cinq), on ne m'avait rien dit. Il est venu, il s'est assis en face de moi... je lui ai trouvé un air un peu inquisiteur (je ne savais rien du tout, n'est-ce pas), et quand ils sont partis, j'ai demandé qui c'était. Alors on m'a dit qu'il était catholique et on m'a raconté cette histoire1.
Après cela, est venue toute une série de choses. Mais il faut dire qu'il y a littéralement une invasion là-bas (à différents endroits d'Auroville), parce que ce n'est pas gardé, il y a des bouts de terrain libres; et surtout au centre, ce sont des gens qui sont installés là et il y en a qui viennent tout le temps et qui s'installent sans demander de permission. Et on avait pensé qu'il allait falloir avoir un «badge» pour ceux qui sont vraiment Auroviliens (Mère montre un échantillon du badge). Cela fait déjà plusieurs jours que l'on pense à organiser cela: pour la première année, ils auront une sorte de carte d'identité, et après, si au bout de l'année ça va bien, on donne le badge.
Mais moi, ce qui m'est venu, c'est ça (Mère désigne ses notes). Ce n'est pas fini... (Sujata s'apprête à apporter la lampe pour que Mère puisse lire.) Je n'ai pas besoin de lumière, je ne vois plus clair.
(le disciple lit)
1. Nous avons retrouvé parmi les papiers que Mère nous a donnés, un très intéressant fragment de lettre à une disciple française; cette lettre semble bien coïncider avec l'histoire que Mère vient de raconter: «On me dit que tu as l'intention de distribuer une reproduction du portrait que tu as fait de moi. Il vaudrait mieux ne rien introduire de personnel dans cette réunion, qui puisse suggérer l'atmosphère de religion naissante.»

 

«Auroville est pour ceux qui veulent vivre une vie essentiellement [religieuse], mais qui renoncent à toutes les formes de religion, qu'elles soient anciennes, modernes, nouvelles ou futures1...
Douce Mère, je m'excuse, mais pourquoi n'as-tu pas mis «spirituelle» au lieu de «religieuse»?
Je ne suis pas encore sûre.
Ça m'a fait un drôle d'effet!
Oui, j'ai vu!... Il vaut peut-être mieux mettre «spirituelle». Je vais voir.
«... La connaissance de la Vérité ne peut être qu'expérimentale.
«Personne ne doit parler du Divin à moins qu'il n'ait eu l'expérience du Divin...
Ça, c'est le point important.
«... Connaissez le Divin, alors vous pourrez en parler...
Tu comprends, on peut mettre «spirituel», mais...
«... L'étude objective des religions fera partie de l'étude historique du développement de la conscience humaine...
Je mets les religions en-dessous: dans le domaine mental.
Oui, justement, oui!
Dans le domaine mental, et c'était un «sujet d'études».
C'est drôle, il y a deux jours, cela m'est venu presque comme une expérience: la religion, c'est le monde mental.
1. La fois suivante, Mère a corrigé la phrase «toutes les formes de religion» pour mettre à la place, simplement, «toutes les religions».

 

Oui-oui! C'est la mentalisation, un essai de mentalisation de... ce qui dépasse de beaucoup le mental.
«...Les religions font partie de l'histoire de l'humanité et c'est à ce titre qu'elles seront étudiées à Auroville; non pas comme des croyances auxquelles on doit ou l'on ne doit pas adhérer, mais comme le processus du développement de la conscience humaine qui doit mener l'homme vers sa réalisation supérieure.»
Alors, «programme»... (Mère rit)
PROGRAMME
La recherche expérimentale de la Suprême Vérité. Une vie divine mais
PAS DE RELIGIONS
C'est bien!
Oh! très bien!... C'est le «religieuse», là, qui me gêne. Alors on va l'enlever!
Parce que, justement, tu dis: «Pas de religions.»
Non, je prenais «religieux» dans l'autre sens, mais ça fera toujours une confusion.
Ça a pris un sens si faux.
Oui. Je vais t'expliquer, je n'ai pas voulu mettre «spirituel» parce que, d'abord le mot spirituel en français a un autre sens, et puis les gens qui vivent une vie «spirituelle» rejettent la Matière, et nous ne voulons pas rejeter la Matière. Alors ce serait faux.
Je reconnais que «religieux» n'est pas un bon mot parce que immédiatement... J'employais «religieux» au sens d'une «vie essentiellement préoccupée de la découverte ou de la recherche du Divin.» Il n'y a pas de mots en français, et ce n'est pas spirituel.
Divine?

 

Il faut trouver un mot – on peut mettre ça:
«Auroville est pour ceux qui veulent vivre une vie divine...
Oui, «une vie essentiellement divine», oui. «Divine», c'est large, douce Mère.
(silence)
C'est fini?... Il y en a eu tant, je n'ai pas tout noté... C'était avant-hier, je crois, toute la journée était prise comme cela dans l'expérience, et j'ai eu l'impression de la révélation du but véritable d'Auroville, et que c'était ça qu'il fallait dire, et ça qui... will select the people, sélectionnera les Auroviliens. Les vrais Auroviliens sont ceux qui veulent faire la recherche et la découverte du divin. Mais justement, n'est-ce pas, ce n'est pas par des moyens mystiques: c'est dans la vie.
Ça aussi, ça devrait être dit.
(Mère écrit)
«Notre recherche ne sera pas une recherche par des moyens mystiques, c'est dans la vie que nous voulons trouver le divin1
(Mère achève d'écrire sa note et passe sa main sur ses yeux)
C'est une très curieuse chose: à mesure que... Voyons, il y a deux manières de le dire. L'une, c'est: à mesure que la vision et l'audition naturelles diminuent, l'autre croît. Mais je crois qu'il est beaucoup plus vrai de le mettre de l'autre manière: à mesure que l'audition et la vision... comment l'appellerons-nous?
Vraies? Ou «supérieures» en tout cas.
Supérieures. Mettons supérieur, parce que «vrai», ce n'est peut-être pas la suprême vérité... À mesure que l'audition et la vision supérieures se développent, la vision et l'audition matérielles s'estompent.
Toutes les manières de dire me paraissent... pas tout à fait vraies.
1. Notons que Mère a écrit «divin» en lettre minuscule. Plus tard, elle a rajouté cette phrase: «Et c'est grâce à cette découverte que la vie pourra être réellement transformée.»

 

J'ai l'expérience, par exemple, qu'avec certaines personnes ou un certain genre d'occupation, il y a une dominante de... mettons, la «prochaine manière»: la prochaine manière de voir, la prochaine manière d'entendre; et alors, toute intrusion de l'ancienne manière, immédiatement diminue la perception. C'est-à-dire que la vision ordinaire est comme derrière un voile, et alors le voile devient plus épais. Mais si les circonstances, les gens ou le travail me laissent entrer plus complètement dans la conscience nouvelle, la perception devient de plus en plus claire.
Le corps a compris ça, il a été amené à comprendre ça: il ne s'inquiète pas de la diminution de vision ou d'audition, et il s'aperçoit, il se rend compte que plus celle-là (la manière ordinaire) s'estompe, s'atténue, plus l'autre augmente – à condition que je ne fasse pas d'efforts pour garder l'autre. Si je laisse aller naturellement, c'est comme cela.
Tout effort pour garder la vieille manière est devenu... produit un malaise, un malaise presque intolérable. Tandis qu'une acceptation confiante des conditions donne une sorte de... oui, je ne sais pas, on ne peut pas appeler ça «bien-être»... c'est une paix confiante.
Mais maintenant, ce n'est plus seulement la vision et l'audition: c'est tout. La parole devient de plus en plus difficile... Manger est très difficile: c'est un mélange de quelque chose qui se passe sans que l'on s'en aperçoive et tout à fait facilement, ou bien d'une lutte contre une grande difficulté. Et c'est seulement maintenant, parce que je veux le dire, que je l'observe et que j'essaye d'exprimer, autrement il n'y a pas d'activité mentale.
Ces choses-là se sont imposées.
(Mère plonge)
Est-ce que l'on mettra un titre à ces notes sur Auroville?... Par exemple: «La Position d'Auroville à l'égard des religions»?
Si l'on mettait: «Nous voulons la Vérité»?... J'emploie ce mot-là parce que personne au monde n'oserait dire: nous ne voulons pas la vérité! (rires)
Pour la plupart des gens, c'est comme cela: ce que nous voulons, c'est la vérité! (rires)
J'ai montré à R le «Programme d'Auroville», (riant) ses cheveux se sont dressés sur sa tête: «Mais... mais les gens ne peuvent pas tolérer ça maintenant – Ah?...
Et alors, les Auroviliens doivent vouloir la Vérité quelle qu'elle soit... Ils appellent la Vérité ce qu'ils veulent, tandis qu'ils doivent vouloir la Vérité quelle qu'elle soit.

 

(Mère écrit sa dernière note sur Auroville)
Nous voulons la Vérité
«Pour la plupart des hommes, c'est ce qu'ils veulent
qu'ils appellent la vérité.
«Les Auroviliens doivent vouloir
la Vérité quelle qu'elle soit.»
Je mets «Vérité» avec une majuscule. (Mère rit) Parce que, à dire vrai, ce n'est pas cela, c'est: «Nous voulons le divin.» Mais alors tout de suite c'est la discussion! Alors il vaut mieux «Vérité»1.
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