9 mai 1970
(L'état physique de Mère, ces jours derniers, était sérieux.) Tu as reçu l'Aphorisme d'hier? Non, on ne me l'a pas donné.
Ah?... C'était comme cela... (Mère cherche à se rappeler) «la plus étrange expérience de l'âme...» Je ne sais plus.
Oui, c'est celui-ci:
508 – La plus étrange des expériences de l'âme est celle-ci: quand l'âme cesse de se soucier de l'image et de la menace des afflictions, elle s'aperçoit que les afflictions mêmes n'existent plus nulle part dans notre voisinage. Alors, derrière ces nuages irréels, nous entendons Dieu qui rit de nous.
Alors, hier, j'ai écrit (je ne me souviens plus des mots): «Et quand Tu veux transformer L'IMAGE à Ta ressemblance, que se passe-t-il'?» Quelque chose comme cela. Et j'ai reçu la réponse cette nuit!... Deux activités du physique subtil.
Oh! je dirai la première (riant): je tuais quelqu'un à bout portant!...
Ah!
Et la seconde était plus personnelle. Et alors, j'ai compris: c'est que le corps lui-même, la conscience elle-même (conscience physique) est pleine de tous ces mensonges et de toutes ces illusions et
1. «Seigneur, et quand Tu veux que l'image change à ta ressemblance, que fais-Tu?» Le lendemain, la personne à qui Mère avait envoyé cette réponse, a écrit pour demander: «Je n'ai pas compris ce que tu as écrit hier.» Mère a encore répondu (le 9): «Ce que Sri Aurobindo appelle "l'image", c'est le corps physique. Alors j'ai demandé au Seigneur ce qu'il faisait quand Il voulait transformer le corps physique, et la nuit dernière, Il m'a répondu en me donnant deux visions. L'une était à propos de la libération de la conscience corporelle de toutes ces conventions à l'égard de la mort; et dans l'autre, Il a montré ce que sera le corps supramental. Tu vois que j'ai bien fait de le Lui demander!»

 

de toutes ces idées préconçues, et quand ça, c'est parti, alors le Seigneur peut se manifester là-dedans.
Ça a été... c'était vécu, et c'était une réalisation foudroyante, mon petit!
Ça (le corps), ça ne va pas encore tout à fait bien – il y a beaucoup à faire, mais... j'ai eu l'impression que j'avais chaviré du bon côté.
C'était simplement merveilleux!... merveilleux.
Et tu sais, c'est simplement un mouvement comme ça (geste de léger renversement ou de bascule) et... Vraiment j'étais, on peut dire misérable (je parle au point de vue purement physique: nausée, tout-tout ce que l'on peut imaginer, constant, constant), et puis ça fait comme ça (même geste de léger renversement) : une béatitude... Le corps.
Cette expérience que l'on a, que l'on a eue dans la conscience (vitalement, mentalement, tout cela), cette expérience qui, une fois qu'on l'a, c'est fini, on est libre... il restait le corps: misérable, n'est-ce pas, il souffrait d'une façon effroyable (ce n'était pas violent et c'était pire que ça, constant), et alors, simplement ça (même geste): béatitude.
J'ai de la peine à garder ça parce que... tous les contacts ramènent la vieille conscience – je ne connais pas de gens qui soient dans cet état-là. Quand je suis très tranquille...
Mais ce n'était pas comme cette nuit, ce n'était pas si complet, si total, mais tout de même il y a le souvenir, et puis j'ai l'impression... que le corps a basculé du bon côté. N'est-ce pas, il était en train de... il était en train de faire ce qu'ils font tous: de se désintégrer, de se désorganiser. L'impression que ça a l'air d'être arrêté1. Mais ce n'est pas encore ça, c'est seulement... Mais c'était merveilleux.
N'est-ce pas, la vision ordinaire: partie; l'audition ordinaire: partie; la capacité de travailler (Mère fait le geste d'écrire) : partie. Et ça ne peut plus revenir que de la vraie manière, quand... Mais j'ai eu la preuve que tout peut revenir merveilleusement. Savoir si...
J'ai compris, le corps a compris – le corps a compris –, il a compris, il a eu l'expérience. Qu'est-ce qui viendra après? On verra.
Je voulais te le dire.
C'est ça, n'est-ce pas, c'est ça, et le corps est capable. J'ai dit hier quand j'ai lu cet Aphorisme, j'ai dit à Sri Aurobindo: «Mais tu as dit que le corps changerait lui aussi; là (dans l'Aphorisme) c'est «l'image», l'image qu'on dépouille au moment où l'on retourne
1. Tout de même, dans l'après-midi, le docteur a fait un contrôle qui indiquait le cœur à 120 et le pouls à 70.

 

vers la Vérité; mais tu as dit que la vraie Vérité, c'était ICI que ça changerait...» – I challenged, yes! [Je l'ai défié, oui!] Et j'ai eu la réponse comme cela. Deux... ce que l'on pourrait appeler deux «rêves», mais je ne rêve plus. C'étaient deux activités du physique subtil (riant) extraordinaires!
Mais qui est-ce que tu tuais?
Je ne sais pas, c'était... c'était quelqu'un que j'aimais beaucoup! J'aimais beaucoup (Mère rit)! Je ne sais même pas si je savais qui c'était. Et il n'y avait pas de raison! Il n'y avait pas de raison, c'était... Je tuais, je crois que c'était d'un coup de pistolet (ça n'avait aucune importance, l'individu n'avait pas l'air malheureux!), c'était le geste, c'était l'acte qui importait, l'acte qui avait de l'importance... J'étais pleine d'affection et de tendresse pour la personne, et puis je la tuais. Je ne connais pas cette personne. Mais c'était un homme jeune – c'était peut-être un type symbolique, je ne sais pas. Je ne sais pas. Et il y avait l'impression sur la vieille conscience... Tiens, je savais que c'était la nuit, je savais que c'était une activité de la nuit (tout-tout pleinement conscient), et je me suis dit même (riant) : «Tout de même, éveillée, c'est une chose que je ne ferais pas (!)» Et alors j'ai entendu très bien la voix de Sri Aurobindo me répondant: «Ce n'est pas nécessaire!» (Mère rit) Ça aurait pu être tout à fait comique, toute l'affaire.
(un disciple entre pour arranger le magnétophone qui ne fonctionne pas bien)
Qu'est-ce qu'il y a?
On arrange la machine, on a eu des ennuis avec cet appareil
Ah!... (riant) peut-être qu'il ne voulait pas que ce soit pris!... Ça ne fait rien, ça m'est tout à fait égal! tout à fait égal.
(silence)
Comment t'expliquer?... J'avais la même objectivité que l'on a éveillé: j'étais pleinement éveillée, je ne dormais pas, ce n'était pas un rêve. Objectivité: je voyais le fait et puis je raisonnais dessus – tout à fait, tout à fait une nouvelle conscience.

 

Je sais maintenant quelle est cette conscience, je le dis d'une façon positive (je veux dire que c'est le corps qui parle, il le sait positivement – il demandait hier). Et alors, son attitude est comme cela: «Je sais maintenant, et c'est Toi qui décides si... si je suis capable de l'avoir ou si c'est seulement pour me montrer.» On verra... Il y a quelque chose qui doit matériellement changer, c'est la conscience de ce corps. Il y a quelque chose qui doit changer... (est-ce que ça peut changer? Je ne sais pas), il y a quelque chose qui doit changer dans la constitution – est-ce que ça peut se faire? Je ne sais pas.
(silence)
Pour la conscience ordinaire, ça a l'air d'un autre mode de vibration – ce n'est pas cela... Évidemment, c'est la Conscience, mais... Alors c'est quelque chose qui doit changer dans la vibration pour que la Conscience puisse se manifester sans déformation.
Et alors, la déformation, c'est ça qui crée... une misère, n'est-ce pas, qui maintenant paraît effroyable à ce corps. Et quand ça, ça disparaît, ça se transforme: c'est une béatitude... Tout cela, dans ça, là (corps) : rien, pas de pensée, pas même de... on pourrait dire pas de sensation au point de vue vital – c'est seulement le genre de sensation qui est là-dedans (dans le corps).
Qu'est-ce que le Seigneur a décidé qui sera? Je ne sais pas... Le corps ne sait pas... Ce sera ce qu'il voudra.
(Mère entre en contemplation)
Il y a eu deux activités. L'autre, je ne peux pas la raconter parce que, naturellement, ça ne peut pas être utilisé. Mais la seconde vision était comme cela: je me promenais nue, mais exprès nue entre ici et là (geste entre le haut de la poitrine et les cuisses); (au-dessus), il y avait peut-être des vêtements; et je me montrais à certaines personnes exprès, et j'avais avec moi quelqu'un, qui est toujours la même personne, qui est la Mère physique. C'est la Mère physique, c'est l'image ou le symbole de la Mère physique. Elle était avec moi et j'avais sur moi, excepté sur la partie découverte1... (Mère s'interrompt) Ah! et cette partie que je montrais était insexuée, c'est-à-dire ni homme ni femme: il n'y avait rien; et ça
1. Mère avait sur elle, sauf à cet endroit, une «cape» dont elle parlera plus tard.

 

avait une couleur... un peu comme la couleur d'Auroville (orange), comme ça, mais vibrante, c'est-à-dire comme si c'était... pas lumineux, mais une sorte de luminosité. Et alors, la Mère avait mis une grande cape qui était comme un grand voile sur tout son être, de cette couleur-là, en me disant: «Tu vois, je l'ai mise parce que je l'ai acceptée – pour te dire que je l'ai acceptée.» C'était le second «rêve».
Et le reste de mon corps était aussi avec une étoffe... ce n'était pas une étoffe: c'était quelque chose comme cela (comme cette cape). Mais ça (cette nudité de Mère), c'était exprès; tu comprends, c'était un acte qui avait une grande importance. Et alors ces deux personnes (les deux témoins à qui Mère montrait son corps), je ne sais pas qui ils sont, mais ils avaient l'air d'être des hommes. Je ne sais pas qui ils sont (la nuit, je les connaissais très bien, mais je ne sais pas qui ils sont, réveillée). Et c'était pour leur dire: «Voilà, c'est comme ça; voyez, c'est comme ça.» Ils prenaient ça d'ailleurs très scientifiquement.
Et c'était surtout cela, cette Nature... Un peu plus grande que mon corps... Il y a des années, chaque fois que je vois la Nature, c'est cette personne-là que je vois; il y a des années que c'est pour moi la Nature; et ce n'est pas une «relation», mais comme ma mère qui serait ma sœur, ou ma sœur qui serait ma mère, comme cela (les choses ne sont pas tout à fait tranchées, les mots ne valent rien). Elle est grande, c'est une belle femme, et elle est très-très-très simple, très simple, et très formidable; et avec moi: comme un petit enfant. Et elle m'accompagnait, et elle me disait: «Tu vois, je l'ai mise, ta robe, j'ai mis ta robe pour te dire qu'elle est acceptée – je l'ai mise, ta robe.» Et c'était la même couleur que la couleur de la peau (la partie découverte de Mère), c'était quelque chose comme de la peau, et la robe avait exactement la même couleur. Et elle avait aussi une petite luminosité comme cela, quelque chose comme «efflorescent1». Et la peau était «efflorescente». Et c'était cela: pas de sexe, ni homme ni femme – pas de sexe. C'était une forme comme cela (Mère dessine une silhouette dans l'espace, très svelte), une forme qui ressemblait à notre corps, mais sans sexe: les deux jambes réunies.
C'était joli.
Ces deux «rêves» étaient évidemment la représentation des deux grosses difficultés de la conscience humaine – surmontées
1. Mère a probablement voulu dire «phosphorescent», mais «efflorescent» donne aussi son idée particulière.

 

complètement, ça n'existait plus. Alors, tous ces sentiments humains (le sentiment de l'horreur, de la crainte...), tout cela, absolument inexistant, c'était tout de la béatitude... Le premier «rêve», comme je le disais, c'était dans un amour intense, et le second c'était dans une dignité, n'est-ce pas, supérieure. C'est intéressant.
La mort, c'était le premier, et l'autre, c'était le second. Ça, c'était la vraie conscience.
Et c'est mon CORPS qui l'a eue, pas l'être psychique ni les êtres supérieurs (ça, il y a longtemps que toutes ces choses-là sont très familières), mais c'est le CORPS, le corps lui-même, ÇA, ça, ça.
Et ça lui a donné une paix!...
Ce sont les deux choses qui doivent être maîtrisées. Ce que nous appelons la mort, qui est... ça n'existe pas. Oui, je dois ajouter au premier «rêve», que je le tuais, mais qu'il bougeait tout de même! Je le tuais à bout portant mais il continuait à remuer... Je crois que je le tuais avec un pistolet (mais ça n'a pas fait de bruit et il n'y a pas eu de...) et il continuait à remuer très bien. Et il ne m'en voulait pas du tout!... N'est-ce pas, c'était l'image de l'irréalité du mensonge de toutes ces histoires-là.
Mais le second, j'avais toujours demandé, j'avais dit: «Comment est-il, le corps supramental, je voudrais bien le voir?» Eh bien, je l'ai vu, mon corps, comment ce sera. C'est bien! (riant) c'est bien!... Et c'est un corps... pas très différent, mais tellement raffiné! tellement... une chose si raffinée! Mais rien de tous ces mouvements – ces mouvements grossiers –, même simplement ordinairement humains ne peut exister là-dedans: les deux ne peuvent pas être ensemble; quand il y a l'un, il ne peut pas y avoir l'autre. Et c'est ÇA, il faut que ce soit... fini, décanté – qu'il ne reste rien, rien que... rien que la béatitude divine.
(silence)
Je la vois, je la vois encore, la Nature... Elle a des cheveux... je ne sais pas, ils n'ont pas la couleur de nos cheveux: c'est comme toutes les couleurs à la fois; et elle est coiffée comme moi, toujours (Mère montre son chignon derrière la tête); toujours, elle a toujours été coiffée comme moi. Et toujours des cheveux qui n'ont... Je ne sais pas, ça a toutes les couleurs à la fois. Et elle a une longue figure tranquille... Elle n'a pas d'âge: ni jeune ni vieille; je ne sais pas, ça n'a pas d'âge. Et une puissance extraordinaire dans la figure.

 

C'est la Nature matérielle, c'est la Nature physique, la Nature physique matérielle, et elle a dit: «J'ai mis la robe, j'ai mis ta robe – j'ai mis ta robe pour te dire que je l'avais adoptée.»
Cela veut dire que la Nature matérielle a adopté la nouvelle création1.
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