14 août 1971

(Nous sommes à la veille du 15 août. Mère nous reçoit sans avoir eu le temps de terminer de voir son entourage habituel.)

Tu as quelque chose à dire?

Non, rien du tout!

Ça va – ça va bien même.

Ça va bien. Le corps commence à... je pourrais dire à avoir la vraie attitude. C’est-à-dire qu’il sent de plus en plus d’une façon concrète et aiguë, pourrais-je dire, qu’il n’y a qu’un moyen d’exister, c’est dans la Conscience Divine. Tout le reste lui paraît... lui paraît dangereux, inconnu.

Être comme baigné constamment dans la Conscience Divine, ça lui paraît être la seule façon d’exister. Il n’y en a pas d’autre. Ça, c’est l’attitude du corps. N’est-ce pas, il a... c’est plus qu’une impression, c’est... je ne sais pas, presque une sensation aiguë, qu’on ne peut exister que dans le Divin et être constamment concentré sur le Divin. Et que c’est ça, la transition pour aller vers quelque chose qui est encore... je ne dirais pas un rêve, mais un émerveillement. Ça...

Il aime de moins en moins parler.

Oui!

Tout ce qu’on dit, ça lui paraît être des enfantillages.

(silence)

Il n’a pas le besoin de savoir: il a le besoin d’être entièrement moulé et mis en mouvement, utilisé de toutes façons [par le Divin], et il n’a qu’un rêve, c’est d’oublier qu’il existe – de devenir spontanément l’expression... (Mère a un sourire béatifique) de quelque chose... de quelque chose qu’il appelle le Divin, qui est la seule chose vraie.

(silence)

Et Sri Aurobindo, lui, qu’est-ce qu’il fait?... Tu le vois?

Je ne le «vois» pas: je sens sa présence.

J’ai eu l’occasion de lire des lettres de lui sur moi... Comment? vraiment c’est un miracle que j’aie survécu [à son départ]... C’est tout mon... [être qui s’écroulait]. C’était une protection et un soutien si merveilleux!

L’être intérieur n’a pas été affecté parce que c’est resté comme c’était – cette proximité, cette intimité est restée la même – , mais l’être physique... C’est un miracle qu’il ait survécu.

Il y a quelques jours, j’ai vu Sri Aurobindo, et il s’occupait d’argent – il recevait de l’argent, il recevait même des choses en or[1].

(Mère rit)

Ça m’a surpris.

Pourquoi?

Je ne sais pas, je ne le voyais pas dans ce genre d’activité!

Mais ce n’était pas nécessaire parce que j’étais là[2]. Mais je sais que ça l’intéressait, dans le sens qu’il pensait que l’argent devait venir très librement et en abondance. Il pensait toujours que les gens devaient donner tout ce qu’ils avaient – ça, pour lui, c’était une règle absolue. On ne devait pas avoir à demander: ils devaient donner spontanément tout ce qu’ils avaient.

(silence
Mère prend les mains du disciple)

Mercredi prochain, on sera plus tranquilles.

Le corps n’a qu’une «ambition», pourrais-je dire, c’est qu’il n’existe plus que le Divin, et que, lui, soit comme... comme quelque chose que le Divin utilise, et qu’il soit absolument plastique et expressif. C’est ça. Jusqu’au moment où il n’existera que dans le Divin.

Il y a une espèce de prescience d’un état où seule la Conscience Divine est. Ça... (Mère ferme profondément les yeux avec un sourire extatique)

Seule la Conscience Divine[3].

@

[1]. Nous ne savons pas si c’est une coïncidence, mais deux jours plus tard (le 16 août), le dollar a été «dévalué» et les accords monétaires de Bretton-Woods ont été rompus.

[2]. Mère veut dire: du vivant de Sri Aurobindo, ce n’était pas nécessaire qu’il s’occupe d’argent, parce que Mère était là.

[3]. Il existe un enregistrement de cette conversation.

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