25 août 1971

(Mère reste très longtemps à «regarder» le disciple, semble-t-il. Son œil gauche est encore gonflé.)

Qu’est-ce que tu as à dire?

Tu vois quelque chose?

Moi, il n’y a rien.

(Mère plonge pendant 40 minutes)

Tu n’as rien à dire?

Qu’est-ce qui t’absorbe comme cela[1]?

(après un silence)

Tout le temps, tout le temps, il y a la «pensée» du Divin, mais comme une... une espèce de – une soif d’être et de comprendre. Toutes les notions mentales me paraissent artificielles... Il y a des fois, c’est une angoisse terrible; il y a des fois, c’est une paix parfaite.

(long silence)

C’est curieux, il y a des fois où j’ai l’impression que la mort fait beaucoup moins de changement qu’on ne croit, et d’autres fois où c’est une chose tout à fait incompréhensible... C’est curieux, comme les deux extrêmes: une fois, ça fait très peu de différence; l’autre fois, c’est une... quelque chose... qu’est-ce que ça veut dire, la mort?

J’aime mieux ne pas parler parce que... Ce n’est pas mentalisé du tout, alors ça n’a pas de...

(silence)

Je t’ai dit qu’il y a des activités la nuit (je n’ai pas l’impression de dormir, mais le corps est dans un parfait repos), et alors là, il y a des gens qui sont vivants et il y a des gens qui sont «morts» selon le langage ordinaire – et ils sont absolument pareils. Excepté que les vivants semblent avoir encore des réactions égoïstes que les autres n’ont pas. Mais c’est... (geste fluide)... Ce qui pour nous, est réel, n’existe plus. Mais c’est très concret.

Je suis dans l’état où l’on ne sait rien, voilà.

Et alors, mon seul, mon seul refuge, c’est comme si je me blottissais dans le Divin, tu comprends... Comme si...

Être Toi, c’est tout. Fais de moi ce que Tu veux, c’est tout... Même pas comme ça (avec des paroles ou une pensée), même pas ça.

(silence)

C’est la transition entre la vieille manière d’être, qui devient de plus en plus lointaine, et puis... c’est le Divin qui fait tout. Même, par exemple, la nourriture est devenue une chose très difficile, parce que la vieille manière de manger paraît de plus en plus lointaine, et c’est remplacé par quelque chose... inexprimable. C’est inexprimable.

C’est comme si l’on était sur une crête (geste), et le moindre faux pas vous jetterait dans un trou.

(silence)

Tout paraît différent, tous les... tout paraît différent. Les relations avec les autres changent de nature, tout change de nature, mais quoi? quoi?

(long silence)

C’est comme si l’on était à la veille ou sur le point, ou... en équilibre – un Pouvoir formidable (un pouvoir formidable, j’ai des exemples), et en même temps, une impuissance formidable.

J’aime mieux ne pas parler parce que... parce que ce n’est pas ça. Ce qu’on dit... (Mère hoche la tête)

(silence)

Tu sais: comme si l’on était suspendu entre le plus merveilleux et le plus ignoble. Comme ça.

(Mère plonge longtemps)

Je ne sais pas combien de temps ça prendra...

Je ne sais même pas vers quoi je vais – si je vais vers la transformation ou si je vais vers la fin. La conscience est là (geste au-dessus), elle n’est pas affectée... Je ne sais pas... Mais je suis tenue dans ce corps (geste à bout de poigne), comme si l’on voulait que je reste dans cette conscience. Et alors, toutes ces cellules deviennent conscientes, mais... Est-ce que cela dépend de la forme ou pas? Je ne sais pas.

Je ne suis pas dans un état où je peux aider les autres extérieurement.

(Mère prend les mains du disciple)

Il y a des fois où le corps a l’impression que ça peut durer une éternité comme cela; il y a des fois où il a l’impression qu’il peut se dissoudre à n’importe quel moment... Et tout-tout comme cela.

Eh bien, on verra.

La Force, la Puissance est de plus en plus grande, mais... (je ne sais pas comment dire), mais ce n’est pas une puissance personnelle, du tout[2].

@

[1]. Vers cette heure-là, une ancienne disciple, Rani Maïtra, femme de l’ancien recteur de l’université de Bénarès, était en train de mourir (sans que Mère en sache rien dans sa conscience extérieure).

[2]. Il existe un enregistrement de cette conversation.

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