1er décembre 1971

Rien de nouveau de ton côté?

Je suis en train de devenir une nouvelle personne... Mais... C’est intéressant.

(Mère plonge)

Tu comprends, je suis en train d’assister à la transformation de la nature. Quand je n’ai rien et que je reste très tranquille, c’est très clair, je vois trois choses: la nature qui se transforme, ou plutôt la nouvelle nature, la façon que nous pouvons appeler supramentale de voir les choses (ça devient de plus en plus clair; il reste le souvenir de la vieille nature qui va s’atténuant de plus en plus au point que parfois, c’est presque incroyable, ça paraît fantastique d’avoir été comme cela); et puis, il y a la déchéance physique qui vient de l’âge: par exemple, l’incapacité physique de faire ce que je faisais, le corps qui devient vieux; mais cette vieillesse est purement physique, c’est-à-dire que je reste là assise toute la journée et j’ai de la difficulté à me déplacer, des choses comme cela, mais au point de vue perception, conscience, il n’y a pas de diminution, au contraire: ça devient de plus en plus clair et de plus en plus précis. Mais par exemple, j’ai de la difficulté à parler (Mère touche sa poitrine, elle est essoufflée), c’est difficile pour moi de parler; je ne peux pas parler librement, c’est difficile. Des choses comme cela. Cela fait trois choses.

Mais quand je suis très tranquille (la nuit par exemple), la nouvelle conscience devient de plus en plus claire, mais elle ne peut pas encore s’exprimer facilement par des mots parce que... c’est une espèce de... (comment dire?) c’est presque comme un nouveau mental qui se forme (mais ce n’est pas mental). Et alors la parole, les mots... c’est un mauvais moyen, tandis que la communication directe devient de plus en plus précise et de plus en plus forte. C’est pour cela que je ne peux pas parler. C’est purement physique. Mais la base de l’équilibre, c’est-à-dire de la santé physique, est en train de changer, c’est-à-dire qu’elle se déplace: ce qui était la condition de bonne santé ne l’est pour ainsi dire plus et est remplacé par une autre condition qui commence à s’installer, mais qui n’est pas encore là; alors tout est en... (geste instable), tout n’est plus ça, n’est pas encore ça. C’est comme cela. Et c’est inexprimable. C’est pour cela que je ne peux pas m’exprimer.

(silence)

Je le vois d’une façon très intéressante à ma façon de comprendre; par exemple, ce qu’a écrit Sri Aurobindo est TRÈS différent... C’est un peu comme si, avant, on voyait à travers un rideau, et que, maintenant, le rideau est en train de s’en aller – ce n’est pas complètement parti, mais ce n’est plus complètement là.

Mais tu vois, parler m’essouffle – sans raison, simplement parce que... parce que ce n’est plus naturel.

(silence)

Et alors, la façon de percevoir le temps et l’espace devient très différente. C’est en train de changer totalement. Cette notion de temps et d’espace, et l’objectivité, la subjectivité – que les choses soient concrètes ou pas – , cela paraît avoir été des... devices [expédients], des moyens de préparer la conscience à une nouvelle façon d’être.

C’est le fonctionnement de la conscience qui commence à être différent. Mais je ne peux pas expliquer.

(silence)

Et alors, pour la vue, par exemple, quelquefois je vois plus clair avec les yeux fermés qu’avec les yeux ouverts, et c’est la MÊME vision: c’est la vision physique, purement physique; mais un physique qui paraît... plus complet, je ne sais pas comment dire. Par exemple, quand j’écris; parfois les yeux fermés, je vois plus clairement ce que j’écris, où j’écris, qu’avec les yeux ouverts – et c’est la même chose que je vois, mais je la vois... (comment dire?... on peut faire des phrases, mais les phrases, je n’aime pas ça). N’est-ce pas, c’est comme si ce que l’on voyait était plus complet, et c’est la même chose, mais ça contient plus que la vision purement physique.

J’écris des cartes de birthday [anniversaire], et Sri Aurobindo me... J’allais dire, j’ai l’impression que Sri Aurobindo me fait écrire, mais ce n’est pas comme cela, c’est beaucoup mieux que ça!... Mais quand je me mets à écrire, par exemple, je ferme les yeux, et je vois mieux ce que j’écris. C’est Champaklal qui me fait écrire les cartes, et il m’a dit que quelquefois j’écris trois ou quatre cartes avec les yeux tout à fait fermés, et alors l’écriture est beaucoup plus droite et c’est beaucoup plus exactement à l’endroit où ça devrait être.

Mais il n’y a pas de volonté personnelle, d’effort personnel, c’est... c’est spontané. Alors...

Et puis il y a une espèce de «quelque chose» qui s’est formé dans le corps pour remplacer le mental qui est parti, et ça a ses manières mentales de dire, mais c’est très imparfait. Et pour ce «quelque chose», les perceptions mentales paraissent si minces, comme l’écorce, l’écorce de quelque chose – c’est desséché, il n’y a pas, derrière, la vraie vie.

Mais c’est surtout cette difficulté de parler (Mère touche sa poitrine). Je ne sais pas, j’ai la même difficulté pour manger. Je ne crois pas que ce soit l’effet de l’âge parce que je me sens forte: je sens la force, ce n’est pas une fatigue, je ne me sens pas fatiguée du tout – c’est... un changement. Mais alors il y a l’âge qui fait que ça donne l’apparence de... de la raison (!) Et alors (riant) je ne sais pas si c’est ces jours-ci (hier ou avant-hier), tout d’un coup j’ai compris, comme si Sri Aurobindo me faisait comprendre que c’est venu à cet âge avancé pour donner une apparence de raison, mais que c’est pour... pour me donner (vis-à-vis de mes relations avec les gens) le maximum de tranquillité possible.

Je ne peux pas expliquer.

Les choses sont essentiellement ce qu’elles doivent être et c’est cette conscience humaine si... (comment dire?) si mince: il lui manque quelque chose qui fait qu’on ne voit pas les choses comme elles sont et qu’on ne les sent pas comme elles sont.

Pour cette question d’entendre, j’ai observé une chose: par exemple, quelqu’un peut me dire quelque chose sur un ton de voix très élevé, en faisant beaucoup de bruit – je ne comprends rien; tandis que d’autres fois, un bruit que les autres n’entendent même pas, je l’entends très clairement[1]... C’est une certaine atmosphère consciente dont j’ai besoin pour entendre, et cette atmosphère n’est pas perçue par la plupart des gens.

@

[1]. Ici, la bobine magnétique est arrivée au bout et le disciple a eu un mouvement d’anxiété, qui a été immédiatement perçu par Mère (elle parle les yeux clos) et presque instantanément, Mère a interrompu la conversation. En fait, Mère ne pouvait parler que quand il y avait une transparence totale. (Il existe un enregistrement de cette conversation.)

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