16 octobre 1971

Alors, quoi de neuf?

J’ai quelque chose ici... Il y a un certain temps, j’ai reçu une lettre d’un monsieur qui avait travaillé avec Théon[1].

Oh!

Alors il me demandait de tes nouvelles, si tu étais toujours de ce monde, et puis il a écrit un livre sur la «tradition cosmique». Il voulait t’adresser un exemplaire de ce livre en témoignage de sa «déférente admiration». Et finalement, il a envoyé le livre par avion. Le voici: ça s’appelle «À l’ombre de la Tradition Cosmique.»

(Mère rit) Tu l’as vu?

Je ne l’ai pas lu, mais j’ai vu. (Riant)

C’est très fantaisiste!

Simplement, dans la préface, il te mentionne et il dit ceci: «La philosophie cosmique est un rayonnement qui a dépassé les frontières des groupes cosmiques de France, on le comprendra si l’on note, par exemple, que la Révérende Mère de l’Ashram de Pondichéry (!), la collaboratrice de Sri Aurobindo, avait été l’élève de Max Théon à Tlemcen...» Voilà, c’est tout ce qu’il dit à ton sujet.

Je t’ai raconté l’histoire. Il y avait des choses étonnantes... Je t’ai dit que je l’ai vu détourner un éclair!

Oui, oui.

Je l’ai VU (Mère touche ses yeux). Je ne peux pas dire que j’ai rêvé: je l’ai VU. Comment il l’a fait? Je ne sais pas.

Il n’est plus sur terre? Il a quitté son corps?

Oh! oui, il y a longtemps. Il est parti, je crois, avant que je ne vienne ici. Il y a longtemps. Il doit le dire là-dedans?

Non, il ne le dit pas – enfin je n’ai pas lu le livre, bien sûr, mais il ne le dit pas dans la préface.

Non, la tradition cosmique, c’est très fantaisiste, mais tout de même il y a quelque chose... Tu pourrais voir si tu as le temps.

Oui, douce Mère.

Tu peux voir la préface, s’il dit quand Théon est parti.

Non, j’ai lu la préface, mais il n’est pas question du départ de Théon. Il dit: «le Sage oriental, Max Théon», c’est tout.

Il était... Je ne sais pas s’il était Russe ou Polonais.

Mais tout ce genre de pouvoirs qu’ils avaient sur les choses matérielles, tout cela ne te serait d’aucune utilité matériellement?

D’aucune utilité – AUCUNE utilité.

Seulement, il m’a bien appris l’occultisme. À ce moment-là, j’étais vraiment très calée!... (Riant) Moi aussi, j’ai fait un nombre de miracles! Mais je n’y attachais pas de valeur ni d’importance.

Et par exemple, ce pouvoir qu’avait Mme Théon d’absorber la vitalité, etc. – tu te souviens, quand elle mettait un pamplemousse sur sa poitrine?...

Oui, oui.

Des choses comme cela ne seraient pas utiles non plus?

Ça, oui. Ça pourrait être utile... Mais Théon ne pouvait même pas la protéger! – elle a perdu un œil dans une expérience comme cela (je ne me souviens plus).

Oui, c’est un changement plus profond qu’il faut.

Oh! oui.

(silence)

Alors, on lui envoie quelque chose?

Oui, douce Mère, ça a l’air d’être un brave homme d’après ce que j’ai vu. C’est un grand blessé de la première guerre. Et dans sa dédicace (il te fait une dédicace), il te pose une question. Il te demande une réponse. Voilà ce qu’il te dit:

«À la Mère. À l’Initiatrice idéale de l’universalisme spirituel divin et cosmique...

Quoi? je ne comprends pas.

Il dit: «À l’Initiatrice idéale (c’est toi, l’initiatrice)... en témoignage d’admiration et de reconnaissance. Hommage respectueux de l’auteur, qui serait heureux de recevoir, écrit de sa main, le conseil concernant la technique psycho-mentale dont la pratique donnerait... la maîtrise et l’autorité sur les fonctions neuro-physiologiques en vue de diminuer et de vaincre la sensation de douleur et la souffrance physico-nerveuse.»

Oh! oh!... Ce qui est curieux, c’est justement les expériences que j’ai maintenant. Ça, c’est assez curieux. Je voulais justement t’en parler aujourd’hui.

Le corps est dans un état où il voit que tout dépend simplement de... comment il est branché au Divin – de son état de soumission réceptive. J’ai eu l’expérience encore ces jours-ci (je te le disais la dernière fois, mais je l’ai eue d’une façon tout à fait précise): la même chose, qui est cause, plus que d’un inconfort – d’une souffrance, d’un malaise presque insupportable – , avec juste un changement dans la réceptivité du corps vis-à-vis du Divin, tout d’un coup, ça disparaît – et même, ça peut aller vers un état béatifique. J’en ai eu l’expérience plusieurs fois. Et pour moi, c’est seulement une question d’une certaine sincérité qui touche à l’intensité – dans la conscience que tout est l’action du Divin et que Son action va vers la réalisation la plus rapide possible étant donné les conditions. Quelque chose comme cela.

Quelle est sa question?

J’imagine qu’il doit souffrir, cet homme. Il demande des conseils concernant:

«la technique psycho-mentale dont la pratique donnerait au “cerveau-centre” de l’activité des facultés psychologiques la maîtrise et l’autorité sur le “cerveau-centre” des fonctions neuro-physiologiques, en vue de diminuer et de vaincre la sensation de douleur et la souffrance physiconerveuse.»

(après un silence)

Je pourrais dire: il faut que les cellules du corps apprennent à ne chercher leur support QUE dans le Divin, jusqu’au moment où elles peuvent sentir qu’elles sont l’expression du Divin. C’est clair?

Oui, douce Mère, c’est très clair.

C’est en effet l’expérience que j’ai maintenant. L’expérience (comme je l’ai dit) de changer l’effet des choses, je l’ai; mais ce n’est pas mentalisé, alors je ne peux pas faire des phrases. Mais c’est vraiment que les cellules arrivent à sentir, d’abord qu’elles sont entièrement gouvernées par le Divin (ce qui se traduit par: ce que Tu veux, ce que Tu veux..., cet état-là), et puis une sorte de réceptivité (comment dire?), ce n’est pas immobile, c’est... Probablement, on dirait une réceptivité passive (Mère ouvre les mains dans un sourire). Mais je ne sais pas comment expliquer.

(Mère ferme les yeux dans un sourire)

Tous les mots sont faux, mais on pourrait dire: «Toi seul existes» – n’est-ce pas, que les cellules sentent: «Toi seul existes.» Comme cela. Mais tout cela, c’est comme si ça durcissait – les mots durcissent l’expérience. C’est une espèce de plasticité ou de souplesse (souplesse confiante, très confiante): ce que Tu veux, ce que Tu veux...

(silence)

Si tu peux arranger une réponse pour cet homme?

Oui, sûrement, douce Mère. Si tu lui envoyais un «paquet de bénédictions» comme support à tes commentaires?

(Mère donne un paquet)

Tu sais, le «Cosmique» a eu une très intéressante action dans ma vie. J’étais tout à fait contre «Dieu»: la notion européenne de Dieu était pour moi tout à fait repoussante. Et en même temps naturellement, cela m’empêchait d’avoir aucune expérience. Et avec l’«enseignement cosmique» du dieu intérieur (c’était ça, l’idée de Théon: le dieu intérieur – Mère touche sa poitrine – , celui qui est au-dedans de chacun), brff! (geste, comme si des murs s’écroulaient). L’expérience a été foudroyante. Je lui en suis très reconnaissante. Ça a été le moyen; en suivant son indication et en cherchant au-dedans de l’être, derrière le plexus solaire, j’ai trouvé. J’ai trouvé, j’ai eu une expérience... une expérience absolument convaincante.

Seulement, les gens vont trouver quelque force vitale et ils croient que c’est l’âme, alors... Il faut être très sincère, c’est la condition absolue. Il faut être très sincère, très sincère – non seulement il n’est pas question de tromper les autres, mais il ne faut pas se tromper soi-même, il faut être très sincère. Et alors, on trouve. On trouve, c’est une expérience absolument concrète.

C’est une expérience que j’avais eue avant de venir ici. Avant de venir, avant de connaître Sri Aurobindo, j’avais eu l’expérience.

Alors c’était comme si les trois quarts du travail étaient faits... Je n’avais pas la connaissance mentale (la connaissance mentale n’était pas extraordinaire), mais elle est inutile pour l’expérience. Si l’on est sincère, on a l’expérience sans penser, on n’a PAS BESOIN de penser. Mais il faut être sincère.

Mais maintenant mon corps, c’est ça qu’il a, ce sont ces expériences-là qu’il a. Seulement les mots sont...

Dans une certaine attitude (mais ça, c’est difficile à expliquer ou à définir), dans une certaine attitude, tout devient divin. Tout. Et là, ce qui est merveilleux, c’est que quand on a l’expérience que tout devient divin, tout ce qui est contraire tout naturellement (suivant les choses: vite ou lentement, tout de suite ou peu à peu) disparaît.

Ça, c’est merveilleux. C’est-à-dire que de devenir conscient que tout est divin, est le meilleur moyen de rendre tout divin – tu comprends – , d’annuler les oppositions.

(Mère plonge)

Quand as-tu reçu ce livre?

Je l’ai reçu hier.

Aah!...

(silence)

On pourrait dire que la guérison de tous les désordres physiques, c’est que les cellules deviennent convaincues – conscientes et convaincues – qu’elles sont l’expression du Divin, ou même qu’elles sont divines dans leur essence.

Justement dans la nuit d’hier à aujourd’hui, je suis restée des heures... (maintenant je dors très-très-très peu, je reste des heures dans une espèce d’état qui n’est pas le sommeil et qui n’est pas l’activité, qui est quelque chose d’assez nouveau), et dans cet état, le corps a eu conscience qu’il n’était rien, qu’il ne savait rien, qu’il ne pouvait rien, qu’il... une espèce de nullité presque totale. Il a eu cela pendant des heures. Et alors, lentement, ça s’est changé... ça s’est changé dans une... quelque chose comme une sensation (ce n’est pas une sensation ordinaire, mais c’est quelque chose comme une sensation); le «rien» – le rien, la nullité totale – a commencé à sentir qu’elle n’existait que PAR le Divin; et puis petit à petit, POUR le Divin, et... une espèce de paix... (Mère ferme les yeux avec un sourire), de paix... (puis elle ouvre tout d’un coup des yeux immenses) toute-puissante.

Et alors, tout ce qui était douloureux a disparu. Paisible...

Seulement, le corps (de Mère) a un avantage dans la vie: c’est qu’il a été construit et conçu de telle façon qu’il ne désire pas les sensations agréables. Il ne désire pas (comment dire?) oui, la sensation de plaisir, les choses agréables, ça lui est tout à fait indifférent – spontanément. Il n’a pas eu d’effort pour surmonter ses désirs, ça lui était toujours égal. Il protestait seulement contre la souffrance, et ça, ça disparaît totalement.

Maintenant, je crois que l’ego corporel est en train de disparaître. Alors ce sera parfait.

Vraiment, c’est tout à fait spontané – spontané et sincère: Toi, Toi, Toi... Ce que Tu veux, ce que Tu veux... ce que Tu veux[2].

@

[1]. M. Benharoche-Baralia, qui, en fait, n’a pas «travaillé» avec Théon, mais plus tard a fait partie des «groupes cosmiques».

[2]. Il existe un enregistrement de cette conversation.

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