15 avril 1972

(Mère a eu des difficultés cardiaques la veille.)

Alors?... Tu as quelque chose?

Et toi? (rires)

Moi... (riant) ça va. Il y a des choses qui sont plus difficiles les unes que les autres. C’était ce que j’appelle le «changement de gouvernement» du cœur, alors... un moment difficile. Mais ça va.

J’avais vu l’autre jour (je le vois encore) ce petit enfant qui joue et qui donne des coups sur une GROSSE tête mentale – c’est le supramental. Mais comment va-ton appeler cet être?... Il ne faut pas l’appeler le «surhomme», ce n’est pas le surhomme: c’est le supramental. N’est-ce pas, le changement de l’animal à l’homme est clair pour nous; le changement de l’homme à l’être supramental se fait (ou ne se fait pas) à travers le surhomme – il se peut qu’il y ait quelques surhommes (il y en a), qui fassent le passage, mais ce n’est pas comme cela que ça se fait vraiment. C’est d’abord cet être supramental qui doit naître[1]. Maintenant, ça devient de plus en plus clair. L’autre jour, j’ai vu ce petit être (c’était un enfant, mais c’est symbolique) qui était assis sur une grosse tête mentale: c’était l’être supramental, pour symboliser son autorité «indépendante», pourrais-je dire, sur le mental.

Les choses deviennent plus claires. Mais nous sommes juste au temps de transition et c’est le plus difficile.

Certains atteindront-ils à un état analogue – au moins analogue, en tout cas préliminaire du supramental?... Ça semble être cela, la tentative, ce qui est en train de se faire. Et alors on n’est plus ça, on n’est pas encore ça – on est... (geste en suspens). C’est une condition assez incertaine.

Il est évident que tous ceux qui sont nés maintenant et qui sont ici maintenant, c’est parce qu’ils ont demandé à participer et ils se sont préparés en des vies antérieures. Mais au point de vue de la connaissance mondiale, il est intéressant de savoir comment ça se passe et ce qui se passe. Au point de vue individuel, ce n’est pas exactement très agréable (!), c’est un moment difficile: on n’est plus ça, on n’est pas encore ça – on est au milieu, voilà.

Oui, pour passer à cet être supramental, il n’est pas nécessaire de passer par le surmental.

Je ne comprends pas.

Je veux dire que, pour toucher ou atteindre à cette conscience ou cet être supra-mental, il n’est pas nécessaire de passer par l’être surmental.

Qu’est-ce que tu appelles «être surmental»?

Ce que Sri Aurobindo appelle «overmind».

Ah! non. Non.

Ce n’est pas nécessaire.

Ce que Sri Aurobindo appelait le surmental, c’est le domaine des dieux.

Il n’est pas nécessaire de passer par là.

Ah! non, le domaine des dieux est... à côté. Je crois qu’il n’a pas grand-chose à faire avec les problèmes de la terre. C’est seulement parce que ça les amuse, ces dieux, de s’occuper de la terre. Ils n’ont pas grand-chose à voir avec le grand Mouvement de transformation.

Oui, c’est cela.

Ils sont immortels, n’est-ce pas, ils sont libres (dans une grande mesure ils sont libres et immortels). Ils n’ont participé au développement terrestre que presque comme une curiosité ou une occupation!

Oui!

Peut-être ont-ils aidé l’humanité à comprendre qu’il y avait autre chose que leur vie terrestre. C’était leur utilité.

Il y a un temps (riant) où j’étais très proche de ces êtres, ils se manifestaient en moi, ils... enfin ça les amusait, quoi! – et moi, ça m’amusait aussi! Ça m’intéressait; mais cela ne m’a jamais paru essentiel.

Alors, en somme, l’être nouveau que tu as vu, c’est le bébé supramental!

(Riant) Oui! Mais je crois que ce «bébé» n’est bébé que symboliquement... Je ne sais pas s’il viendra petit et grandira – je n’en sais rien. Il y a encore des choses que je ne sais pas – beaucoup!

Mais ce qu’il y avait avant-hier, c’est que dans la nuit, le cœur a passé du vieux gouvernement de la Nature au gouvernement divin, et alors il y a un moment où... ça a été difficile. Mais avec... c’est un sentiment étrange, une espèce de sentiment... la chose la plus proche, c’est la conscience psychique. Mais elle gouverne l’être depuis très longtemps; c’est pour cela que l’on a pu renvoyer le mental et le vital, parce que l’être psychique avait pris le gouvernement depuis très longtemps.

Je voulais justement te dire (je ne sais pas si je te l’ai dit[2]): la première fois que je suis allée à Tlemcen (je ne sais plus quand c’était), le premier jour où je suis arrivée à Tlemcen, Théon est venu me chercher, et il m’a dit... (je ne comprenais pas; maintenant je comprends!), il m’a dit: «Vous êtes seule avec moi, vous n’avez pas peur?» Alors je lui ai répondu, mais absolument consciente et tranquille... Je me souviens, nous marchions dans son immense propriété; nous marchions, montions à pied vers la maison; je lui ai dit (Mère lève l’index): «Mon être psychique me gouverne – je n’ai peur de rien.» Alors... (sursaut de Théon, comme s’il avait été brûlé).

Cette conscience psychique, je l’avais eue juste avant de partir pour Tlemcen. Et là-bas, elle s’est fortifiée.

Mais je ne sais pas si c’est noté quelque part?

Oui, tu m’en avais parlé aussi autrefois[3].

Ah! je t’avais dit cette conversation?

Oui, douce Mère, tu m’en avais parlé.

Ça m’a frappée, je ne l’ai jamais oublié. Tout d’un coup, mon être psychique était là: «Je suis consciente de mon être psychique, il me protège, je n’ai peur de rien...» Ce ne sont peut-être pas exactement les mots, je ne sais pas, mais c’était la réponse.

(long silence)

Tu as quelque chose?

J’ai l’impression qu’un changement s’est produit en moi.

Ah! quoi?

Je ne sais pas, la dernière fois, tu avais parlé de la «résistance» [du subconscient], et le soir même de ce jour, j’ai eu comme l’impression d’une «lumière de grâce».

Oui.

Et puis, je me suis senti allégé.

Aah! oui...

Et j’ai l’impression – je ne sais pas si c’est une illusion, mais j’ai réellement l’impression que quelque chose a changé et qu’il y a comme une... il y a la Grâce qui est venue, qui a défait un nœud.

Oui.

J’ai l’impression que quelque chose a changé.

Ça, c’est vrai. C’est vrai, mais je ne savais pas si tu étais pleinement conscient.

Oh! si, j’ai eu l’impression... mais j’ai toujours peur de me faire des illusions, tu comprends.

Non – non, ça, c’est le mental, mon petit, donne-lui une tape sur la tête!

Mais j’ai eu l’impression réellement que... la Grâce avait FAIT les choses.

Oui, c’est ça. Il n’y a que la Grâce qui peut faire.

Oui, douce Mère, oui!

C’est vraiment cela qui était symbolisé par ma vision; ce n’est pas du tout à la manière mentale que se fera la transition: c’est un bébé qui est assis sur le mental et qui joue. Je le vois encore.

Oui, c’est une expérience très forte pour moi, comme c’est la Grâce vraiment qui fait.

Oui, oui.

Tout ce que l’on peut faire, c’est... d’appeler la Grâce, n’est-ce pas.

Oui, appeler, être réceptif – anxieux de réponse.

Mais j’ai eu cela très fort, hier. Le moment était difficile, il y avait des douleurs, le battement était devenu tout à fait irrégulier (tantôt ça partait, tantôt ça s’arrêtait), et il y avait une douleur; et alors, à ce moment-là, simplement l’être a... (Mère ouvre les mains): «Ce que Tu voudras, Seigneur, ce que Tu veux.» – En quelques heures, tout s’est calmé. Comment ça s’est fait? Je n’en sais rien. Seulement ça (Mère ouvre les mains).

Et pour tout-tout, tous les problèmes (Mère ouvre les mains), c’est ça: ce que Tu voudras, Seigneur, ce que Tu voudras...

Je sais très bien, je dis «voudras», mais ce n’est pas une vision, ce n’est pas une volonté du Divin... c’est Sa manière d’être. C’est une manière d’être – ce sont des manières d’être qui se succèdent. Toujours, nous croyons que c’est une «volonté consciente»; ce n’est pas cela: c’est Sa manière d’être. La manière d’être de Sa conscience. Il a projeté Sa conscience dans une création: c’est Sa manière d’être. C’est Sa manière d’être qui change.

Alors on comprend que le mental n’est pas nécessaire – c’est la manière d’être qui change. Tu saisis[4]?

(méditation)

@

[1]. Par erreur, Mère a dit «cet être surmental». C’est cette erreur qui a probablement motivé la question que le disciple pose après.

[2]. Quelques jours plus tôt, pour une question biographique, le disciple avait demandé à Mère en quelle année exactement elle avait eu l’expérience du gouvernement de tout l’être par le psychique. Et Mère avait répondu: en 1907, à Tlemcen.

[3]. Voir Agenda II du 4 février 1961.

[4]. Il existe un enregistrement de cette conversation.

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