16 février 1972

Comment ça va?

Sais pas.

(Mère rit et reste à nous regarder)

Tu n’as rien, pas de lettres?

Si, j’ai reçu une lettre d’A, qui m’envoie un message de mon éditeur, B.C. (c’est lui, tu sais, qui a édité «L’Aventure de la Conscience»). Enfin, B.C. a écrit une lettre [lecture à Mère] où il dit qu’il est en train de lire «L’Idéal de l’Unité Humaine», mais que de toute façon il voudrait publier «La Synthèse des Yoga». Alors A répond [lecture à Mère] qu’il envoie sa lettre à Pondi-chéry «pour instruction», mais qu’à son avis «il vaudrait mieux publier d’abord L’Idéal, qui est peut-être accessible à un public occidental plus large que La Synthèse et conviendrait mieux pour l’année du centenaire de Sri Aurobindo[1]

Je ne suis pas du tout de cette opinion! Je crois qu’il vaut beaucoup mieux publier «La Synthèse des Yoga» que de publier «L’Idéal».

D’abord «La Synthèse».

Oui. Il y a une différence de niveau entre les deux.

Oui, bien sûr, mais ce que veut dire A., c’est que «L’Idéal de l’Unité Humaine» est un problème qui intéresse tous les esprits.

Oui, mais justement, ça ne les sort pas de leurs idées! Tandis que «La Synthèse» (ils ne comprendront pas grand-chose, mais) c’est un coup pour les sortir de leur routine.

Bien, douce Mère, entendu.

N’est-ce pas, il y aura peut-être deux ou trois personnes qui comprendront, mais il vaut mieux cela que l’autre et que les gens disent: «Oh! bien oui, c’est très bien, c’est très bien» – mais ça ne les secoue pas de leur routine.

Reste la question de principe: est-ce que l’on confie ces ouvrages à B.C. et l’encourage à faire une publication assez générale des œuvres de Sri Aurobindo? – Après tout, c’est le premier éditeur qui ait l’air de s’intéresser à Sri Aurobindo.

Oui! pourquoi?... Tant mieux pour lui! (Mère rit) N’est-ce pas, tout le monde, y compris A., voit toujours l’autre côté, comme si NOUS, nous étions intéressés – eh bien, ce n’est pas ça! Ce sont EUX. C’est leur chance à eux...

Mais oui! oui, bien sûr, je suis bien d’accord, douce Mère!

Ce n’est pas notre chance à nous!

C’est une grâce qu’on leur fait.

Oui. Dans cinquante ans, le monde, toute la partie réceptive (je ne dis pas intellectuelle, je dis réceptive), toute la partie réceptive du monde sera comme englobée – pas «englobée»: ABSORBÉE par la puissance de la pensée de Sri Aurobindo.

Ceux qui le sont maintenant, ils ont l’avantage d’être les premiers. Voilà tout.

(silence)

Tu sais, c’est très intéressant: la majorité des hommes vivent en arrière; il y en a un bon nombre (et ce sont les plus intéressants) qui vivent dans le moment présent; et il y en a (peut-être un nombre infinitésimal) qui vivent en avant. Voilà.

Moi, j’ai l’impression – j’ai toujours l’impression quand je regarde les gens et les choses, de faire marche arrière! (Mère fait te geste de se retourner). Et je sais (ce n’est pas même «je sais» ni «je sens», ce n’est pas cela), je SUIS – je suis en avant. Dans ma conscience, je suis en l’an 2000. Alors je sais comment ce sera et... (Mère rit) c’est très intéressant!

(long silence)

Les trois quarts de l’humanité sont périmés.

Oui! (rire général)

(silence)

C’est tout ce que tu as?... A. a besoin de se retremper ici, il est en train de... (geste en rond).

Bon, alors j’encourage cet homme à publier le plus d’ouvrages possibles de Sri Aurobindo.

Oui, oui.

À commencer par «La Synthèse».

La Synthèse.

Pour moi, de toutes celles que j’ai lues, c’est celle qui m’a aidée le plus. C’est d’une inspiration très haute et très universelle dans le sens que pendant longtemps ce sera nouveau.

(silence)

Tu as lu toute la «Correspondance avec Nirod»?

Je suis en train de la traduire au fur et à mesure, alors je ne l’ai pas lue tout entière.

Il y a des choses extraordinaires là-dedans. Il a l’air de plaisanter tout le temps mais... c’est extraordinaire[2].

N’est-ce pas, j’ai vécu combien? Trente ans, je crois, avec Sri Aurobindo – trente ans, de 1920 à 1950. Je croyais que je le connaissais bien; alors quand j’entends cela, je m’aperçois que... (geste comme des horizons qui s’ouvrent).

(silence)

Mais comme les choses sont merveilleusement arrangées quand on s’en remet vraiment, sincèrement au Divin! Juste cette année, c’est comme un bain de Sri Aurobindo, tu sais, comme cela[3].

(Mère entre en méditation)

Tu n’as rien à demander, rien à dire?

Il y a ici des textes de Sri Aurobindo dont tu pourrais te servir cette année, pour le Centenaire:

«I have never known any will of mine for any major event in the conduct of the world affairs to fail in the end, although it may take a long time for the world-forces to fulfil it[4]

(October, 1932) On Himself, XXVI.55

«I have never had a strong and persistent will for anything to happen in the world – I am not speaking of personal things – which did not eventually happen even after delay, defeat or even disaster[5]

(19.10.1946) On Himself, XXVI.169

C’est intéressant.

Tu veux l’un des deux pour le 15 août?

Quel est le plus fort des deux?

Le deuxième, je crois.

Je crois, oui.

Le premier est de 1932 et le dernier de 1946.

Oh!...

@

[1]. L’enregistrement du début de cette conversation n’a pas été conservé.

[2]. Mère est en train d’écouter la lecture de l’année 1935.

[3]. Il existe un enregistrement de cette conversation. La suite n’a pas été conservée.

[4]. «Je n’ai jamais vu qu’une volonté de moi pour un événement important dans la conduite des affaires du monde ait échoué finalement, bien que les forces mondiales puissent prendre longtemps pour la réaliser.» (octobre 1932)

[5]. «Je n’ai jamais eu de volonté forte et persistante pour que quelque chose arrive dans le monde (je ne parle pas de choses personnelles), sans que cela se produise finalement, fût-ce après un retard, une défaite ou même un désastre.» (19.10.1946)

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