22 juillet 1972

Il y a des choses pour toi.

(Mère tâtonne près d’elle puis tend une note)

Man is the creation of yesterday. Sri Aurobindo has come to announce the creation of to-morrow.[1]

Ça s’arrête là?

Je l’ai écrit en français, et j’ai mis «la création de demain, la venue de l’être supramental.» Parce qu’ils vont l’appeler «surhomme» si je ne mets pas «l’être supramental». C’est la venue de l’être supramental.

Nous sommes juste au milieu. Nous ne sommes plus ça, pas encore ça – le moment le plus...

(court silence)

* * *

(Satprem avait donc envoyé la note signée par Mère à SABDA et à «All India Press». Comme il fallait s’y attendre, la réaction a été immédiate et Satprem était accusé de «vouloir de l’argent». Mère avait bien vu le guêpier dans lequel se jetait le disciple et elle nous avait écrit une lettre la veille – que nous n’avons pas comprise – pour tenter de nous dire de passer ailleurs, dans une autre conscience, au lieu de nous débattre avec ces malfaiteurs. La conversation qui suit est le plus triste souvenir que nous ayons de ces dix-sept ans de conversations avec Mère. C’était si douloureux de voir la fatigue de Mère et de nous battre malgré tout pour démasquer le mensonge – comme si elle ne le connaissait pas! Mais nous faisons de l’Histoire ici et nous essayons de relater les faits ou de décrire les personnages d’une façon aussi exacte que possible.)

Qu’est-ce que je t’ai écrit?

Tu m’as écrit des choses injustifiées.

Injustifiées.

Oui.

Ça m’étonnerait... Ce n’est pas moi qui ai écrit. Et cela m’étonnerait. Quelles étaient ces choses injustifiées?

Tu disais que mon action était déformée.

Non – sûrement je n’ai pas dit cela.

C’est bien ce que j’ai compris... Après, tu m’as écrit [une deuxième lettre] que tu avais confiance en moi...

Mais naturellement!

Bon. Alors si tu as confiance en moi, il faut me défendre et m’aider.

Défendre?

Et m’aider.

Défendre contre qui?

Je ne voulais pas venir te voir ce matin, en fait. Je suis venu parce que Sujata m’a convaincu de venir. Elle dit que si je m’en vais, ce sont les éléments les moins bons qui resteront et qui... ne t’aideront pas. Par devoir, je suis venu.

Tu es si fâché?

Oui, douce Mère. Je suis venu ici ce matin, par devoir, parce que je pense que...

Tu ne m’aimes pas du tout?

Mais, douce Mère, ce n’est pas la question. La question est une question matérielle.

Question matérielle?

Oui.

Les questions matérielles sont dans une confusion totale.

Eh bien, justement douce Mère. Si tu as confiance en certaines personnes, tu dois croire leur parole et ne pas céder ou écouter des gens qui te trompent.

Mais je ne sais pas ce que tu veux dire parce que... (Mère prend son front entre ses mains). Je ne comprends plus.

Oui, douce Mère, je sais très bien que tu ne comprends plus ces choses matérielles. Je t’ai expliqué plusieurs fois la situation. Je t’ai dit simplement que j’ai demandé des renseignements à «SABDA»...

Mais ils ne te les ont pas donnés?

Non, bien entendu.

Mais je leur ai dit, je leur ai écrit qu’il fallait absolument qu’ils te les donnent.

Oui. Alors là-dessus, M [le directeur de «All India Press»] t’écrit une lettre, et tu lui réponds: «Je suis très satisfaite de votre travail.» Alors conclusion, il dit: «Parfait, je continue comme je faisais avant.»

Non, je lui ai dit qu’il fallait... André ne t’a pas dit?

Mais c’est ce que André m’a dit justement! André m’a dit: «Mère a dit à M: je suis satisfaite de son travail.» Alors c’est bien!

Ça, par exemple, c’est formidable!

Mais oui, douce Mère!... Tu comprends, dans la vérité essentielle, il n’y a pas de doute, je suis avec toi pour l’éternité. Bon. Si je suis dans la Matière, je dois me battre selon les lois de la Matière, avec la vérité que je peux posséder. Sur ce plan, j’ai vu qu’il y avait un mensonge, et je lutte contre ce mensonge, et je demande ton aide contre ce mensonge... Ou alors il faut se retirer de l’action complètement.

Mais je le connais le mensonge! je l’ai dit à M! Et c’est cela que je ne comprends pas, il y a quelque chose que je ne comprends pas, parce que j’ai dit à M non seulement que ce n’était pas ce qu’il fallait faire, mais je lui ai dit ce qu’il fallait faire. Alors je ne comprends plus rien... Qu’est-ce qui...? Il y a un coulage.

Mais oui, douce Mère, ces gens ont la grande habileté de tout embrouiller. C’est cela, leur pouvoir: ils embrouillent.

Mais M, je ne le crois pas du tout! je ne crois pas du tout à ce qu’il me dit! Je lui ai dit... Alors on transforme ce que j’ai dit?... Non, vraiment je ne comprends plus. Non seulement je l’ai fait dire à M, mais je l’ai fait dire à... comment s’appelle-t-il?

B [«Sabda»].

B, oui. Et B a dit que j’avais tout à fait raison. Alors où est la confusion[2]?

Oui?

(silence)

Ce que je t’ai écrit...

Si tu veux bien me relire ce que je t’ai dit?... Pour dire la vérité (je n’aime pas dire cela, mais) pour dire la vérité, c’est Sri Aurobindo qui est venu et qui m’a dit de te dire ça. Il devait y avoir une raison, mon petit.

Oui. Voilà ce que tu as dit:

«L’homme individuel, quelle que soit sa valeur, n’est qu’un point dans l’univers...

Ça, c’est sûr!

C’était cela. Et alors?

«... Il ne commence à exister vraiment que lorsque sa conscience devient universelle par l’union avec le Divin...

C’est parfaitement exact.

«Vraiment nous ne commençons à exister que lorsque nous laissons le Divin agir à travers nous...

C’est tout à fait vrai.

«... sans qu’aucune ignorance déforme Son Action.»

Oui, c’est tout à fait juste.

Oui. Alors quand tu m’envoies cela, je comprends que je déforme Son Action.

Non, mon petit!

Alors qu’est-ce que cela veut dire, douce Mère?

Ce n’est pas cela. Ça veut dire... Oh! c’était si clair quand il me l’a dit... Et ce n’était pas du tout une question individuelle: c’était une question, une vision générale – que les choses ne sont pas telles qu’elles paraissent, qu’il y a derrière... (Mère prend son front entre ses mains). Je ne sais plus, mon petit.

Je sais que lorsque c’est venu, c’était au contraire pour te dire de ne pas faire attention aux erreurs des autres parce que... il fallait voir les choses au point de vue général, dans le Tout. C’était cela. J’avais l’impression que ce serait le dernier mouvement qui te ferait monter dans la Vision, justement cette vision générale. Mon impression, quand je l’ai écrit, c’est que tu étais prêt pour avoir cette vision générale et qu’il fallait te le dire pour que, justement, tu donnes ton accord extérieur. Quand on m’a dit que tu étais mécontent [de ma lettre], je n’ai pas compris – pas compris. Pourquoi?... C’était au contraire l’impression que le moment était venu pour toi de monter au-dessus de toutes les conceptions humaines et de voir la création et tous les événements – TOUS les événements – , les voir dans le Grand Plan, l’immense plan divin. Voilà mon impression.

Oui. Mais alors qu’est-ce qu’il faut faire, n’est-ce pas? Ou bien on se retire dans cette Conscience, on cherche à atteindre cette Conscience, et on laisse, mon dieu, les actions du monde matériel se dérouler comme elles peuvent avec les éléments mensongers; ou bien...

Moi, maintenant, c’est ce que je suis poussée à faire.

Alors, est-ce cela que je dois faire? Est-ce que cela veut dire: je laisse le terrain à ce mensonge?

Quel mensonge? Je sais ce que j’ai dit à M et à B; je leur ai dit (et surtout à M) que ce n’était pas une manière d’agir, qu’il ne fallait pas agir comme cela. Je l’ai dit. Je lui ai dit que, pour tout ce qui concernait tes livres, il ne fallait rien décider sans te demander... Alors je ne comprends plus.

Oui.

Il y a là une chose que je ne comprends plus. Je le lui ai dit d’une façon tout à fait claire. Qu’est-ce qu’André t’a dit, alors? Il ne t’a pas dit cela?

Non, douce Mère. Mais André ne raconte pas d’histoires, André dit la vérité. André n’est pas avec ces brigands, n’est-ce pas! Ni André ni moi ne sommes des gens à dire des mensonges.

Il peut ne pas avoir compris, alors. Tu veux qu’on appelle André et qu’on voie ça?

Appeler André, c’est très bien, douce Mère, mais ça reste dans le domaine des paroles. Ces gens, on leur a dit de ta part – André leur a dit de ta part – qu’ils devaient donner certains comptes, mais ils ne bougent pas! Ils ne font rien. Ils n’obéissent pas.

Aujourd’hui, ils n’ont rien fait?

Non, ils n’ont rien fait. Et pour les livres de Sri Aurobindo, c’est là où ils te trompent. Ils ne bougent pas, ils ne font rien. Ils refusent de donner le moindre renseignement sur ce qu’ils font – qu’est-ce qu’ils ont à CACHER, ces gens, n’est-ce pas?... Tant qu’on leur dit des paroles, ça reste en l’air. Alors quel acte peut les décider?...

(silence)

Je sais en tout cas que cette lettre que je t’ai écrite, c’était Sri Aurobindo qui insistait sur la nécessité d’avoir cette Conscience, et qu’il m’a dit que tu étais prêt à l’avoir. Il m’a dit cela.

Alors, douce Mère, est-ce que je dois me retirer de l’action?

Qu’est-ce que tu entends par te «retirer de l’action»?

Eh bien, laisser faire. Ne plus rien faire. Réellement ne plus rien faire jusqu’à ce que la conscience soit réellement dans cet état-là.

Non...

On s’enferme, on va dans l’Himalaya et on ne bouge plus.

«Faire»... il y a des tas de domaines de «faire». Peut-être... (Mère prend son front entre ses mains).

Je te fatigue, douce Mère, et je regrette vraiment.

N’est-ce pas, on «fait» dans le domaine supérieur. Sri Aurobindo insistait, il disait que tu étais prêt à avoir la conscience du surhomme – pas du «surhomme»: du supramental, la conscience supramentale. Et c’était cela qu’il voulait te donner. Il voulait... il insistait pour que ce soit ça qui te préoccupe, qui t’occupe, parce que tu es capable. Et justement c’est là où le nombre est TRÈS petit et où il est important que tous ceux qui peuvent le faire le fassent. C’était comme cela que je le voyais.

Je comprends.

... Comme cela que je l’ai compris, comme cela que je l’ai écrit...

Bon, je comprends ce que tu veux dire.

... que toutes les préoccupations qui proviennent de l’autre conscience, de la vieille conscience humaine, si éclairée soit-elle, pour le moment qu’elles soient laissées de côté pour émerger complètement dans cette Conscience. C’est tout. C’est tout ce que j’ai fait.

Oui, ça je comprends.

Ces gens, je leur ai dit ce que je savais, et je leur ai dit qu’ils avaient tort et qu’il fallait faire autrement. Que puis-je faire d’autre?

Oui.

(silence)

Tu leur avais demandé quoi?

Écoute, douce Mère, si je dois laisser tomber ces questions (qui me dérangent beaucoup), veux-tu que ce soit Sujata qui s’en occupe et que, demain, quand M viendra te voir, à ce moment-là que Sujata soit là et que tu donnes à M les instructions devant Sujata, et Sujata suivra l’affaire. Et moi, je ne m’en occupe plus.

Non, le malheur, c’est que je ne lui donne pas des instructions à lui-même (directement à M), je les ai données par André. Il n’a peut-être pas compris?

Mais alors si, demain, M est devant toi et Sujata est là, et que tu lui donnes les instructions, Sujata suivra. Ou si tu veux, André, Sujata et M peuvent être là tous les trois...

(Mère prend sa tête entre ses mains)

Je m’excuse, douce Mère, c’est un vilain travail que je suis obligé de faire. Simplement il faut que ce soit réglé – non seulement pour moi, mais pour les œuvres de Sri Aurobindo... Parce que André ne dit rien, mais il est comme moi, il souffre. Il souffre de cette situation. Parce qu’il voit comment ces gens trompent, ces gens tordent, et rien n’est fait.

Alors André n’a rien dit?

Mais Mère, «dire» ne suffit pas! Si tu les as en ta présence – André, M et disons, Sujata: tous les trois – et que tu dises clairement tes instructions, à ce moment-là il sera obligé de faire. Et ce sera fini[3].

Mais quelles instructions, à propos de quoi?

À propos de te rendre des comptes de ce qu’ils font avec les livres de Sri Aurobindo et avec les livres de Satprem.

Ils ne rendent pas de comptes?

Mais ce n’est pas une question de comptes financiers! c’est ce qu’ils FONT, combien d’exemplaires ils vendent...

Oooh!

Ce n’est pas de l’argent que l’on demande, du tout, c’est combien d’exemplaires ils vendent en Inde ou à l’étranger. Pas autre chose.

Ooh!

Ce ne sont pas des finances que l’on demande[4]. Et c’est le moyen de savoir exactement, d’avoir un contrôle sur ce qu’ils font. N’est-ce pas, ils doivent te dire: nous avons vendu tant d’exemplaires de Sri Aurobindo en Suisse ou en Allemagne.

Ça, je sais qu’ils ne l’ont pas fait.

Alors!... Mais c’est justement le moyen de les contrôler.

Aah!

Et c’est cela que je veux pour mes livres – ce ne sont pas des finances!

Ah! il y a une confusion parce que, d’après ce qu’André m’a dit, j’avais compris que c’était de l’argent.

Mais l’argent, on s’en fiche, douce Mère! Tout le monde s’en fiche – sauf eux.

Ooh!... André lui-même n’a pas compris. Ou alors je n’ai pas compris ce qu’il m’a dit.

(ici, l’assistante sort de la salle de bains pour défendre M et dire qu’il verse tout son argent à Mère: la maffia était à tous les étages)

Ce n’est pas du tout une question d’argent, du tout – comme si, et moi et André, nous étions intéressés par l’argent! On s’en fiche, n’est-ce pas, mais ce qui nous intéresse, c’est de savoir ce qu’ils FONT.

Mais oui, naturellement! Mais ils devraient, au moins à moi, me donner un compte exact.

Mais oui! Mais ça, ils s’en gardent bien.

Je vois bien qu’ils s’en gardent – aah! je comprends. Maintenant j’ai compris.

Et c’est pour cela qu’ils ont lutté furieusement contre moi quand je leur demandais ces renseignements, parce qu’ils sentaient bien qu’on commençait à mettre le doigt sur leurs affaires.

Ooh!... Mais moi, tu sais, j’ai beaucoup de difficultés à parler...

Mais oui, douce Mère, je comprends, et c’est très désagréable d’être obligé de faire ce vilain travail auprès de toi.

... Alors, si, au moment où M est là, je ne peux plus parler, ce sera stupide.

(silence)

Écoute, tu veux me faire plaisir?

Mais sûrement, douce Mère, moi je veux que la Vérité triomphe!

Va chercher André et ramène-le.

(Satprem va chercher André: ils reviennent ensemble.)

Ah! (à André) maintenant, qu’est-ce que tu vas dire?... Je ne comprends plus rien! (André rit)

(André:) Non, Satprem est intéressé de savoir ce qui se passe avec ses livres...

Oui, il a raison.

Bon. Et par la même occasion, il serait bon que nous sachions – que quelqu’un à l’Ashram sache – ce que M fait pour les œuvres de Sri Aurobindo.

Mais oui, c’est ça.

Or, on ne sait rien du tout. Ils impriment des choses. «SABDA» cherche à vendre à droite et à gauche – il a des procédés de vente qui sont excellents, mais on n’a aucune idée de ce que c’est. On ne sait pas ce qui se passe. Ça va même... je vais plus loin, Mère: je n’ai pas pu, depuis deux ans, savoir quelles sont les corrections apportées aux négatifs, c’est-à-dire à la reproduction «offset» de l’édition du Centenaire [des œuvres de Sri Aurobindo].

Il y a eu des corrections?

Il y a eu des corrections. Je sais qu’il y en a eu parce que M me Va dit. Je lui ai demandé d’en avoir la liste...

Quelles corrections? Qui a fait des corrections?

Il y a un garçon chez lui qui fait des corrections.

Mais enfin c’est incroyable! Sous prétexte que je ne peux pas voir moi-même, alors on ne me montre même pas ça!! On fait des corrections sans me le dire!

Je ne sais pas si elles sont graves ou pas, je n’en sais rien du tout.

Ah! mais il n’est pas question de «grave» – on ne peut pas faire de corrections sans me le demander.

Oui, Mère.

Mais enfin!... Alors, qu’allons-nous faire?

(Satprem:) Oui, douce Mère, il faut absolument que tu aies un contrôle sur ces gens. Moi, je crois que la meilleure façon, ce serait d’appeler B [Sabda], M et André, et qu’André mette noir sur blanc les points nécessaires.

Ah! mais André n’est pas combatif.

(André:) Si, Mère! [rires] Moi, je suis convaincu. Seulement...

Non! je n’ai pas dit «convaincu»: j’ai dit «combatif».

Combatif? Ah! moi, je ne suis pas combatif du tout, Mère.

Non. Mais justement c’est cela que je dis.

Je ne suis pas combatif du tout parce que... je cherche à me mettre à leur point de vue, et alors je ne sais plus qui a raison!

Oui! (rires), c’est cela exactement.

(Satprem:) Non, les choses élémentaires à leur demander, c’est leur production et leur distribution. C’est tout.

(André:) Ça, oui.

Ah! oui. Mais je leur demande. N’est-ce pas, ils disent que je ne vois plus... C’est vrai, je ne vois plus – je vois, mais... c’est une vision mitigée. C’est intéressant (je ne la souhaite à personne parce que les gens qui verraient...). Mais je vois dans les choses ce qui est vrai au point de vue supramental. Et c’est tout à fait intéressant. J’entends des bruits qu’eux n’entendent pas, parce que ces bruits ont une réalité supramentale. Je vois des... Les gens me parlent, et en même temps je vois non pas ce qu’il pensent (ça, c’est une vieille chose), mais je vois ce qui est vrai au point de vue supramental. Tout le temps comme cela. Et les deux ensemble. Et parce que mon corps n’a plus la même... (comment dire?)... j’ai de la force, mais c’est le vieux type d’énergie qui est parti; mais celle qui vient est beaucoup plus considérable – mais je n’aime pas en parler. Si je le dis, j’ai l’air de me vanter. Alors je ne le dis pas. Je vous le dis maintenant pour vous expliquer.

Je ne suis plus ça, je ne suis pas encore ça; je suis au milieu – c’est difficile. Mais tout de même, je suis capable de contrôler ce que ces gens font... En tout cas, ils n’ont aucun droit de faire des choses avec toutes les œuvres de Sri Aurobindo. Et moi, j’avais dit que les œuvres de Satprem, c’était à moi qu’il les avait données...

(Satprem:) Oui[5].

... et que moi, j’avais le contrôle; mais si j’ai le «contrôle», ça ne veut pas dire que l’on peut faire ce qu’on veut!

(André:) Oui, c’est ça, Mère... N’est-ce pas, je vais te dire franchement ce qui me gêne. Ce qui me gêne, c’est que je sais par expérience que tu as toujours raison parce que tu es toujours à un plan supérieur à celui auquel nous sommes. Et je sais par expérience que même si, sur le moment, j’ai l’impression que tu dis quelque chose...

(Mère rit)

... qui ne correspond pas à ce que je pense, eh bien, c’est toi qui as raison. Et c’est pour cela que j’hésite beaucoup à être «combatif».

Mais tu ne sais pas! je ne «pense» pas, mon petit!

Eh bien, oui, justement, Mère!

C’est tout à fait juste.

(Satprem à Mère:) Oui, mais alors tu te sers d’instruments humains pour ces choses...

Oui, oui.

... Alors il y a des instruments comme André, qui sont véridiques et qui peuvent faire les choses pour toi.

Mais tu vois, il dit lui-même qu’il n’est pas combatif!

(Satprem:) Oui, c’est ça! [rire général]

Voilà.

(André:) Non, n’est-ce pas, quand M (et je crois qu’il est parfaitement honnête à ce point de vue avec lui-même), quand il te dit qu’il est malheureux, que tout le monde se tourne contre lui, qu’on lui fait des misères de tous les côtés...

Oh! M est dans un état... Il est comme cela (geste comme un chiffon).

Mais oui justement! alors, à ce moment-là, on hésite beaucoup à être combatif avec lui.

Mais ce n’est pas une raison pour qu’il fasse... Il vaudrait mieux lui dire franchement. Il faudrait savoir exactement ce que l’on veut savoir de lui.

(Satprem:) C’est cela.

Et le mettre par écrit. Et je lui dirai que je tiens à le savoir.

(Satprem:) C’est cela, il faut le mettre en quatre lignes sur un morceau de papier.

(André à Satprem:) Oui, ce que vous avez fait pour vos livres était très bien.

Alors, s’il ne le fait pas, il se met tout à fait dans un mauvais cas – mais je crois qu’il le fera. (À André:) Tu ne comprends pas?

(André, sans enthousiasme:) Eh bien, je vais préparer un papier court et je t’en parlerai.

(Satprem:) La même demande pour les livres de Sri Aurobindo: savoir leur production, leur distribution et te rendre compte des réimpressions, etc.

Oui, c’est ça.

(André:) Et qu’ils t’en rendent compte par écrit de façon à ce que ce ne soit pas...

Oui: pas des paroles.

(André:) Il faut qu’il y ait un compte rendu écrit, parce que tout ce qu’il fait est verbal.

Oui, j’exige un compte rendu écrit. Je lui demande de dire les choses en détail, exactement. Un compte rendu véridique et complet de ce qu’ils font.

(Satprem:) M et sabda, les deux, n’est-ce pas.

Oui.

(André:) C’est d’ailleurs surtout sabda qui est le plus...

Oui, «Sabda» est...

(Satprem:) C’est là où est le mensonge.

SABDA est beaucoup plus difficile.

(Satprem:) Oui, justement.

Il est devenu... Le mental de B... (geste tordu).

(André:) Oui, c’est là que c’est le plus difficile, parce que c’est là... (comment dire?) qu’ils dissimulent le plus.

Il faut que vous mettiez cela par écrit très clair et je le signerai. Il faudra que j’écrive une phrase moi-même, que cela n’ait pas l’air simplement d’une signature.

(Satprem:) En quatre lignes, cela peut être dit.

Oui, ça n’a pas besoin d’être long. Je veux que Satprem soit ici quand je signe.

(Satprem:) Oh! douce Mère, ce n’est pas nécessaire du tout.

Mais moi, j’aime mieux.

(Satprem:) Bon! comme tu veux [rires].

Alors mettez-vous d’accord, faites le papier et venez me le faire signer quand ce sera prêt.

(Satprem:) Ce soir même.

Demain, c’est quel jour?

(Satprem:) Mais ce soir même, douce Mère, il y a quatre lignes.

C’est le jour d’André, alors tu viendras.

(Satprem:) C’est cela, nous viendrons tous les deux.

(À André:) Tu dis oui?

(André, résigné:) Je dis oui! [rires]

(Satprem:) Ce sera réglé une fois pour toutes.

Mais ne croyez pas du tout que... (Se tournant vers André) Tu fais de ton mieux – tu as dit que tu avais peur d’aller contre ma pensée...

(André:) Oui.

Mais mon petit, il faut que tu comprennes!...

(silence)

Je ne peux pas le dire, vous ne comprendriez pas. Je ne sais même pas comment le dire... Je sais que même les fautes (ce que nous appelons les «fautes») et les difficultés sont le résultat de la manifestation de la Conscience Divine pour aller progressivement et par... (comment dire?) par un modelage constant, vers la Perfection future. Et c’est cela, ça que je vois. Et c’est pour ça...

(Satprem, en aparté à André:) ... qu’il ne faut pas craindre les fautes.

(André:) Oui, il ne faut pas craindre les fautes.

Chacun joue son rôle et tient sa place.

(Satprem, en aparté à André:) Il ne faut pas avoir peur de sa vérité, André.

Il y a deux choses importantes: c’est d’y mettre aussi peu que possible de l’ego individuel mélangé à la vision divine. Voilà.

(André:) C’est ça, oui.

(silence)

C’est difficile, je ne peux pas parler. C’est si merveilleux si on le voit! Mais je ne peux pas parler.

Quand je pourrai le dire vraiment tel que c’est, alors je le dirai... Encore pas maintenant.

N’est-ce pas, la sensation de mon corps, c’est comme s’il était... comme si j’étais grande comme le monde et que je tenais tout dans mes bras, vraiment comme une Mère tient ses enfants – mais c’est cent fois mieux que ça! Mais c’est ça, c’est comme cela que je vis.

Je ne peux pas expliquer... Plus tard.

Plus tard.

Voilà. Alors vous faites ce papier. À ce soir.

(À André:) Mon petit, je sais la vérité des choses, je n’ai pas le pouvoir d’exprimer. Et je ne peux pas le dire justement parce que je n’ai pas le pouvoir d’expression. Mais il faut faire comme ça.

(Satprem:) Oui, douce Mère, sûrement!

(exit, André)

Mon petit[6]...

(Mère embrasse Satprem sur le front)

@

[1]. «L’homme est la création d’hier. Sri Aurobindo est venu annoncer la création de demain.»

[2]. La vérité est que, probablement, l’intermédiaire de Mère, André, a dû avoir peur de dire les choses telles qu’elles sont.

[3]. Quelle illusion!...

[4]. Au point que c’est l’Ashram qui continue à percevoir nos droits d’auteur en Inde et dans quelques autres pays – après nous avoir tout de même expulsé de l’Ashram!

[5]. Dans une lettre à Mère, un mois plus tôt, le 13 juin, nous disions ceci: «Mes droits d’auteur dans tous les pays du monde t’ont toujours été versés sans qu’il en manque un centime, et je voudrais bien être sûr que mes droits dans l’Inde te soient versés directement et personnellement sans se perdre dans la “masse des affaires”...»

[6]. Bien entendu, le résultat de toute cette conversation et des notes signées par Mère a été nul et les marchands ont continué leurs affaires comme auparavant. Le seul effet a été de provoquer des réactions violentes, qui naturellement sont retombées sur Mère, puis sur nous... un peu plus tard. [Il existe un enregistrement de cette conversation.]

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