6 septembre 1972

(L’entrevue commence à 10h30 au lieu de 10h.)

Tes jours, le mercredi et le samedi, je ne vois que les birthdays [anniversaires] de l’Ashram, mais figure-toi, nous sommes maintenant plus de deux mille personnes! Alors... Les autres «birthdays», je les vois les autres jours et en groupe, et malgré cela, il y a des tas de gens qui viennent à tes jours – particulièrement samedi prochain, le 9 (il y a des quantités de gens qui sont nés le 9, des gens de l’Ashram).

Oui-oui, entendu, douce Mère, j’ai compris! (rires)

Alors je serai obligée de te faire venir à 10h30 au lieu de 10h[1]. Et toi, comment ça va?

Un petit peu mieux [un œil abîmé].

Mais le monde semble être tout à fait dans une espèce de chaos violent. Aux jeux olympiques, ils se battent!... On a tué un athlète à coups de feu[2]. Voilà.

Oui, c’était un Israélite qu’on a tué.

Oui, ce sont les Arabes.

Ces musulmans, ils ont quelque chose de tout à fait... quelque chose qui doit disparaître, douce Mère. Ils sont tellement fanatiques!

Ils sont très violents.

Oui, fanatiques.

Très violents.

Je ne sais pas ce qu’ils représentent dans l’économie universelle, mais on a l’impression de...

La force.

La force... Ils passent leur temps à se poignarder mutuellement.

(après un silence)

N’est-ce pas, ils sont persuadés que l’on vit après la mort du corps – pour eux, la mort du corps n’est pas du tout la fin de la vie.

Mais ils croient en un «paradis», c’est tout. (Riant)

Le paradis des assassins!

(long silence)

Ça devient presque, presque impossible de manger. Et en même temps, je ne sais pas du tout ce qui va remplacer la nourriture (Mère balaye son front): je ne vois rien.

Tout devient... je ne peux pas dire une souffrance, mais un malaise, un malaise – un malaise perpétuel – , comme si l’on faisait vivre à mon corps toutes les choses qui doivent disparaître. Et alors, c’est perpétuel. De temps en temps, pendant quelques secondes... (Mère ouvre des yeux émerveillés), même pas assez longtemps pour pouvoir le définir. Mais c’est très rare. Le reste, c’est presque perpétuel. Tout: les choses du dehors, les choses du dedans, les choses de ce qu’on appelle «les autres», les choses de ce qui concerne ce corps, tout-tout: terrible-terrible-terrible...

C’est certainement la façon dont le Bouddha avait vu les choses, et il avait dit que la vie était un mensonge et qu’elle devait disparaître – mais moi, je sais! je SAIS que ce n’est pas un mensonge. Mais il faut qu’elle change... Il faut qu’elle change... Et en attendant...

C’est seulement quand je suis (geste, mains ouvertes) tout à fait silencieuse dedans, partout... que ça devient tolerable.

(silence)

J’ai l’impression d’un Pouvoir formidable (Mère touche le bout de ses doigts), mais... avec la perception de la petite personne absolument... (comment dire?) contenant toutes les choses qui doivent disparaître. Comme si les négations s’étaient accumulées afin que ce soit moi qui fasse le travail, et «moi», je ne sais pas qui c’est.

Ce corps, ce pauvre corps, il n’est pas heureux – il n’est pas malheureux. Il a le sens de ne pas exister. Et tout ce qui lui vient, toute l’organisation, toute sa vie est la négation de ce qui lui paraît... la Beauté à réaliser.

Voilà[3].

(Mère plonge)

@

[1]. C’est-à-dire à 1 lh au lieu de 10h30!

[2]. En fait, une douzaine d’athlètes israéliens ont été tués par des terroristes arabes.

[3]. Il existe un enregistrement de cette conversation.

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