27 août 1960
Je voudrais bien te voir beaucoup plus souvent, trois fois, quatre fois par semaine, tous les deux jours — si les gens me... C'est la même chose avec les lettres. Ils m'assassinent de lettres.
J'ai un panier où je les range; maintenant il ne ferme plus ! J'ai là-haut trois quarts d'heure tous les matins pour écrire des lettres. Et on me donne six, sept, huit, dix lettres tous les jours; alors comment est-ce qu'on peut faire ? Sri Aurobindo, lui, y passait toute sa nuit finalement à écrire des lettres — jusqu'à ce qu'il ait perdu la vue.
Moi, je ne peux pas, parce que j'ai autre chose à faire. Et je ne tiens pas à perdre la vue non plus. J'ai besoin de mes yeux, ce sont mes instruments de travail.
Ajouté à cela, il y a les gens qui veulent me voir. Maintenant tout le monde veut me voir ! Et alors, quand ils sont venus une fois, comme ils sont contents, ils demandent que ça se répète ! Si j'étais très désagréable et que je leur dise... (Mère rit) mais ça ne peut pas se faire, n'est-ce pas !
... Il ne faut pas se laisser troubler. Vraiment, il n'y a qu'une chose à faire: rester dans un état de paix constante, d'égalité constante, parce que les choses ne sont pas... ne sont pas plaisantes, n'est-ce pas. Oh ! si tu savais, toutes ces lettres qu'on m'écrit... si tu savais, d'abord la quantité formidable d'âneries qui n'auraient pas du tout besoin d'être écrites; puis, ajouté à cela, un tel déploiement d'ignorance, d'égoïsme, de mauvaise volonté, d'incompréhension totale, et une ingratitude qui n'a pas d'égal, et tout ça... avec une candeur, mon petit ! Ils me jettent tout cela dessus, tu sais, tous les jours, et des sources les plus inattendues.
Si cela devait m'affecter (Mère rit), il y a longtemps que je serais... je ne sais où. Ça m'est tout à fait égal, tout à fait, mais tout à fait — ça ne me fait rien, n'est-ce pas, ça me fait sourire.
(silence)
Voilà, alors ne te laisse pas troubler... Souvent je pense à toi parce que je sais que tu es très sensible à tout ça. C'est... c'est

 

vraiment vilain; il y a tout un domaine de l'intelligence humaine (appeler cela « intelligence » est un trop grand compliment), du mental humain qui est très-très... c'est répugnant. Il faut sortir de là. Ça ne nous touche pas. Nous sommes ailleurs — ailleurs. Nous ne sommes pas dans ces ornières-là ! c'est automatique. Nous avons la tête dehors.
Moi je te vois dehors, je te sens dehors, je te rencontre toujours. Voilà, au revoir.